Du trafic de drogue à la CIA, le destin agité du taximan Blerim Skoro

C’est un destin hors du commun qu’a connu le Kosovar immigré aux États-Unis Blerim Skoro mais au-delà de sa vie qui ressemble à un roman, cette histoire révèle les méthodes des renseignements américains qui exploitent pernicieusement la situation précaire de certaines personnes en leur faisant miroiter qu’ils peuvent arranger leur situation puis les laissent livrés à eux-mêmes.

Imed Bahri

Le journal britannique The Times a publié des détails passionnants sur un espion qui travaillait pour l’agence de renseignement extérieur des États-Unis, la Central Intelligence Agency (CIA), qui est parvenu à infiltrer Al-Qaïda et l’État islamique mais sa vie actuelle comme ses débuts est difficile du fait qu’il vit des revenus du taxi qu’il conduit. 

Dans un article intitulé «J’ai donné ma vie à la CIA, ils m’ont trahi», l’espion Blerim Skoro a raconté à la correspondante du journal britannique Josie Ensor comment les services secrets américains ont pu le recruter le matin du 12 septembre 2001 lorsque des agents du Federal Bureau of Investigation (FBI) et de la CIA lui ont rendu visite dans un centre de détention de Brooklyn à New York où il a été arrêté pour trafic de drogue. Les agents présentaient au détenu Blerim Skoro une offre qui allait complètement changer le cours de sa vie.

Skoro, qui avait fui la guerre au Kosovo dans les années 1990 et purgeait une peine de sept ans de prison pour trafic de drogue, affirme que ces agents lui ont dit qu’ils avaient besoin de son aide et que lui voulait juste sortir de prison et retourner auprès de sa famille. 

Skoro, aujourd’hui âgé de 53 ans, a déclaré avoir vu à travers la fenêtre de sa cellule le deuxième avion s’écraser sur l’une des tours du World Trade Center le 11 septembre 2001.

Patriote américain d’abord et ensuite musulman

Selon Ensor, les agents des renseignements considéraient Skoro comme un «agent idéal» car personne ne soupçonnerait un musulman kosovar condamné à une lourde peine de prison donnant ainsi l’impression aux autres détenus qu’il ne peut pas collaborer avec le gouvernement. Un profil au-dessus de tout soupçon. 

Skoro a pris sa mission en prison au sérieux. Il a immédiatement commencé à se laisser pousser la barbe et à mémoriser le Coran. Il a rapidement gagné le respect et la confiance de centaines de détenus musulmans dont un certain nombre étaient des combattants islamistes et ont rencontré Oussama Ben Laden avant les attentats du 11 septembre 2001. Skoro a transmis ce qu’il avait entendu d’eux aux officiers de la CIA. 

Dans le même temps, Skoro a remercié les États-Unis pour leur soutien au peuple du Kosovo dans sa lutte contre les forces serbes. Il a déclaré qu’il n’a pas réfléchi un seul instant avant de collaborer: «Je voulais rendre la pareille à ce pays». Il a dit se considérer à l’époque comme un patriote américain d’abord et ensuite un musulman.

Toutefois, au moment de sa libération en 2007, Skoro a été détenu pendant des mois aux services de l’immigration et des douanes avant d’être expulsé vers le Kosovo. Cela faisait partie d’un plan délibéré de la CIA visant à l’envoyer par la suite dans certains pays pour espionnage, selon ses confidences au Times.

Dans un camp d’entraînement d’Al-Qaïda

Ces missions se sont d’ailleurs étendues de l’Afghanistan à la Syrie, à l’Irak, au Yémen et à travers les Balkans. Skoro a infiltré les camps d’Al-Qaïda au Pakistan dans le cadre de la traque d’Oussama Ben Laden et intercepté les complots terroristes de l’Etat islamique en Syrie. Tout cela avec la promesse qu’un jour il retrouverait sa femme Susan et leurs deux filles Medina et Dafina, toutes citoyennes américaines vivant à New York.

Skoro a suivi une formation auprès de la CIA qui lui a fourni cinq passeports différents et lui a attribué un modeste salaire mensuel. Il a déclaré que les agents des renseignements l’avaient mis en garde contre deux choses: ne dire à personne qu’il travaillait pour eux et ne tuer personne. Il admet avoir rapidement enfreint le premier avertissement en informant sa femme Susan.

Entre 2007 et 2010, il a passé du temps dans un camp d’entraînement d’Al-Qaïda près de la frontière pakistano-afghane avant de prêter allégeance au groupe islamiste et de gravir les échelons de ses rangs.

Ce qui a irrité la CIA à son sujet c’est qu’il n’est jamais entré en contact avec Ben Laden malgré les diverses promesses qu’il leur a faites qu’il allait le rencontrer.

Skoro a mentionné dans son entretien avec le Times qu’un soir alors qu’il se rendait dans une «maison sûre» appartenant à la CIA en Macédoine pour discuter des plans de son prochain voyage au Yémen pour rencontrer Anwar Al-Awlaki, l’un des les dirigeants d’Al-Qaïda, il a été pris dans une embuscade et a été blessé à la jambe.

«Ils m’ont promis beaucoup de choses mais ce n’étaient que des mensonges»

Il explique qu’au lieu de le transporter par voie aérienne vers les États-Unis pour sa sécurité, la CIA lui a demandé de traverser la frontière avec le Kosovo voisin après lui avoir remis une somme d’argent dans une enveloppe. Il a décidé à ce moment-là que c’en était assez. «Ils m’ont promis beaucoup de choses et qu’ils me libéreront pour aller aux États-Unis mais ce n’étaient que des mensonges», a-t-il dit. 

Skoro a pu se rendre au Canada où il a mené une vie normale et a gagné un revenu décent grâce à son travail de vendeur de voitures mais en octobre 2015, il s’est infiltré clandestinement aux États-Unis en se cachant dans un bateau de pêche.

Des agents du FBI et de la police de New York l’ont arrêté après avoir découvert qu’il se trouvait illégalement dans le pays et il a été libéré après avoir passé six mois de détention.

Aujourd’hui, Skoro travaille comme chauffeur de taxi à New York. Leçon de sa vie, il a dit au Times qu’il ne conseille à personne de travailler pour les services secrets américains.

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