Au milieu de paysages apocalyptiques plein de poussière où tout est détruit, des Palestiniens marchent des kilomètres au péril de leur vie pour atteindre les centres de distribution des aides où l’armée israélienne tire sur eux faisant quotidiennement plusieurs morts. Cette situation de chaos dure depuis qu’Israël a confié la distribution des aides à la Fondation humanitaire pour Gaza, une entité créée par les Israéliens et les Américains pour remplacer l’UNRWA qu’ils accusent à tort et sans preuves d’avoir des liens avec le Hamas.
Imed Bahri
Le New York Times a publié une enquête de Rawan Sheikh Ahmad et Adam Rasgon sur les dangers auxquels sont confrontés les Palestiniens lorsqu’ils se rendent dans les centres de distribution d’aide imposés par Israël dans le cadre d’un système supervisé par la très opaque Fondation humanitaire de Gaza. Selon les auteurs, des centaines de Palestiniens ont été tués dans ce guet-apens depuis le mois dernier.
Un mois après le lancement d’un nouveau système d’aide soutenu par Israël à Gaza, l’accès aux centres de distribution sous haute surveillance est devenu périlleux pour les Palestiniens entravant ainsi les efforts visant à acheminer suffisamment de nourriture à la population affamée. Le journal américain indique que des incidents violents répétés se sont produits à l’entrée des centres d’aide dont la plupart se trouvent à Gaza et sont gérés par des sociétés de sécurité américaines et gardés par l’armée israélienne.
Piège mortel pour les Gazaouis
Le ministère de la Santé de Gaza a déclaré mercredi que des centaines de personnes ont été tuées au cours du mois dernier à proximité des points de distribution.
Parallèlement, les agences des Nations Unies et les organisations d’aide humanitaire acheminent des vivres limités dans le nord de Gaza. Des personnes désespérées et affamées attaquent les camions transportant de la farine et d’autres marchandises à leur entrée dans la bande de Gaza selon des témoins.
Jens Leers, porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (Ocha), a décrit le nouveau système de distribution de «piège mortel pour les Gazaouis». Il a déclaré mercredi: «Gaza est l’endroit le plus affamé de la planète et dès qu’on parvient à faire entrer n’importe quelle chose, les gens la pillent. C’est dire le niveau de désespoir!».
Le système d’aide, géré par la Fondation humanitaire pour Gaza, s’étend au-delà de quelques centres du sud. Il a été mis en place après qu’Israël a imposé une interdiction de trois mois sur l’entrée de fournitures humanitaires dans la bande de Gaza. Cette interdiction n’a été que partiellement levée le 19 mai.
Ce nouveau dispositif vise à remplacer un système efficace et fonctionnel dirigé par l’Onu via des centaines de points de distribution. L’Onu et d’autres organisations humanitaires internationales ont critiqué le nouveau système affirmant que l’aide fournie est bien en deçà des besoins et qu’il oblige les gens à marcher des kilomètres dans des conditions dangereuses pour tenter de trouver de la nourriture. Elles ont accusé Israël d’instrumentaliser l’aide.
Des témoins oculaires ont rapporté à plusieurs reprises que les forces israéliennes avaient tiré sur les entrées des nouveaux centres d’aide. L’armée israélienne a prétendu avoir tiré des tirs de sommation lorsque des personnes s’approchaient de ses troupes, ce qu’elle a qualifié de menace. Les responsables israéliens affirment que la Fondation humanitaire pour Gaza est essentielle pour empêcher le Hamas d’accéder au système d’aide. Ils ajoutent que le mouvement a contrôlé la majeure partie de l’aide qui entrait auparavant dans la bande de Gaza en mettant la main sur une partie pour la revendre au marché noir.
Attaques israélienne à proximité des sites de distribution d’aide
Mardi, la France a condamné les tirs des forces israéliennes sur des civils rassemblés autour des sites de distribution d’aide à Gaza affirmant que ces tirs avaient fait des dizaines de morts et de blessés parmi la population civile. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a indiqué mardi près d’un site géré par la Fondation humanitaire pour Gaza à Rafah dans le sud de la bande de Gaza. Le CICR a ajouté que son hôpital de campagne de Rafah, proche du centre, avait reçu 149 blessés après l’incident dont 16 ont été déclarés morts à leur arrivée et trois ont succombé à leurs blessures.
L’armée israélienne a déclaré ne pas être au courant de l’incident signalé sur le site de distribution d’aide à Rafah. La Fondation humanitaire pour Gaza n’a pas commenté spécifiquement l’incident mais a indiqué qu’il existait de fausses allégations d’attaques à proximité de ses sites de distribution d’aide et que les médias internationaux associaient à tort ses opérations à des violences à proximité des convois de l’Onu.
«En fin de compte, la solution pour mettre fin aux violences réside dans l’augmentation de l’aide ce qui renforcera la sécurité et réduira l’urgence de la situation. Il n’y a toujours pas de nourriture pour nourrir tous ceux qui en ont besoin à Gaza», indique un communiqué la Fondation.
L’organisation a appelé les Nations Unies et les autres parties à coopérer avec elle.
Depuis que la Fondation humanitaire pour Gaza a commencé à distribuer de l’aide à la mi-mai, la Croix-Rouge a signalé que son hôpital de campagne à Rafah avait activé ses procédures d’évacuation massive à 20 reprises. «Nous condamnons fermement le fait que, depuis un mois maintenant, des personnes soient blessées et tuées quotidiennement en tentant d’accéder à la nourriture dont elles ont désespérément besoin dans une zone de guerre», a déclaré jeudi Christian Cardon, porte-parole principal de la Croix-Rouge.
Dans un communiqué distinct publié lundi, le chef du commandement sud de l’armée israélienne a défendu l’importance de poursuivre la guerre à Gaza lancée selon lui pour écraser le Hamas après le 7 octobre 2023 contre Israël. «Nous ne pouvons tolérer le Hamas ici. Nous ne mettrons pas fin à cette guerre tant que la menace ne sera pas éliminée», a déclaré le général de division Yaniv Asor.
Un contexte de faim et de désespoir croissants
Malgré l’arrivée de fournitures humanitaires des agences des Nations Unies et du Programme alimentaire mondial, l’Onu estime que Gaza est confrontée à une famine catastrophique après plus de 20 mois de guerre et d’approvisionnements insuffisants ayant entraîné une pénurie alimentaire. L’agence humanitaire des Nations Unies a déclaré dans un rapport publié jeudi: «Les familles de Gaza risquent leur vie pour accéder à la nourriture et des pertes massives sont signalées presque quotidiennement. La plupart des familles survivent avec un seul repas par jour et sont privées de leurs apports nutritionnels tandis que les adultes sautent régulièrement des repas pour donner la priorité aux enfants, aux personnes âgées et aux malades, dans un contexte de faim et de désespoir croissants».
Ahmed Samir Qufina, du camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de Gaza, a déclaré avoir risqué sa vie à trois reprises en essayant d’atteindre les centres de distribution car sa famille élargie dépendait de lui pour l’approvisionnement alimentaire.
À chaque fois, il quittait le domicile familial au milieu de la nuit et marchait 45 minutes jusqu’aux centres de distribution, généralement accompagné de proches et de voisins. Un jour, il a réussi à obtenir une petite portion de nourriture mais il a été accueilli par des tirs. «J’ai vu la mort là-bas!», indique-t-il, expliquant avoir craint la bousculade et avoir vu des gens utiliser des objets tranchants pour voler la nourriture à ceux qui en avaient reçu. Malgré les risques et le danger qu’il court, il n’a pas le choix. «Nous n’avons pas les moyens de nous procurer de la nourriture», affirme-t-il.
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