C’est une grosse intox relayée par les réseaux sociaux et reprise par certains médias interlopes comme Entrevue qui, citant de vagues «sources fiables», a cru pouvoir écrire que «la récente visite de Abbas Araghchi, ministre iranien des Affaires étrangères, à Tunis pour rencontrer le président Kaïs Saïed aurait eu pour véritable objectif de transférer la direction du Hamas en Tunisie.»
Latif Belhedi
Le magazine ajoute : «L’opération impliquerait l’utilisation de passeports iraniens en échange de fonds, soulevant de nombreuses interrogations sur les intentions de Téhéran et les implications pour la sécurité tunisienne.»
«Pourquoi la Tunisie ?», s’interroge l’auteur de l’articleJerôme Goulon, et s’empresse de répondre : «La Tunisie occupe une position stratégique entre le Maghreb et le Moyen-Orient. Relativement éloignée des conflits armés directs, elle pourrait constituer une base plus discrète pour le Hamas. L’intérêt de l’Iran à établir une présence indirecte en Afrique du Nord s’inscrirait dans une stratégie de contournement face aux pressions internationales et régionales.»
Une info qui a tout d’une fake news
L’analyste admet qu’un tel transfert des dirigeants du Hamas à Tunis, «bouleverserait les équilibres régionaux», car, ajoute-t-il, «la Tunisie, jusqu’ici relativement neutre, se retrouverait au centre d’un dossier explosif mêlant diplomatie, sécurité et enjeux internationaux.» En plus, affirme-t-il, «ce rapprochement renforcerait l’influence de l’Iran au Maghreb, tout en risquant de tendre les relations de Tunis avec ses partenaires occidentaux et arabes.»
Pour le moment, les responsables tunisiens n’ont pas cru devoir démentir officiellement une telle information qui a tout d’une fake news, sachant que les démentis, dans ce genre de situation, sont improductifs. On fera cependant remarquer que le magazine qui a relayée cette infox est édité à Dubaï aux Emirats arabes unis, un Etat qui a normalisé ses relations avec Israël et qui ne voit qu’une seule menace à ses frontières, celle de l’Iran. Ces mêmes Emirats qui ont mis fin aux nombreux projets d’investissement qu’ils avaient mis en route en Tunisie avant la révolution de 2011. Donner foi aux allégations d’un tel média financé par l’argent des pétrodollars, c’est confondre propagande politique sonnante et trébuchante et information objective prouvée car puisée à bonne source.
Sur un autre plan, la Tunisie soutient fermement la cause palestinienne, est clairement hostile à l’Etat hébreu et a renforcé récemment ses relations, très anciennes, avec l’Iran, de manière à souligner son indépendance et sa souveraineté vis-à-vis de ses alliés historiques, occidentaux en l’occurrence. Mais de là à accepter d’offrir l’hospitalité sur son territoire aux dirigeants du Hamas, une organisation problématique qui est classée comme terroriste par beaucoup de pays, il y a un pas qu’elle se garderait bien de faire. Car non seulement le régime en place dans le pays est fermement opposé aux mouvements islamistes, et le Hamas en est un, mais pour avoir déjà subi des attaques israéliennes sur son propre sol, et pas qu’une seule fois, sans avoir pu y réagir, la Tunisie sait qu’elle n’a pas les moyens d’assurer la sécurité de personnes pourchassées sur la scène internationale.
L’hospitalité aux Palestiniens
Tunis a certes offert l’hospitalité, entre 1982 et 1994, à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), mais c’était, à l’époque, dans le cadre d’un accord avec la communauté internationale pour éloigner les dirigeants palestiniens du Liban où ils étaient très menacés. Et puis, l’OLP n’est pas le Hamas : l’organisation est considérée, encore aujourd’hui, comme représentative de tout le peuple palestinien et ses dirigeants sont admis dans les instances et les capitales internationales. Leur présence à Tunis leur a d’ailleurs permis de faire avancer les négociations de paix et aboutir aux accords d’Oslo ayant donné naissance à l’Autorité Palestinienne.
Cela pour dire que la Tunisie, dont la diplomatie s’est toujours caractérisée par le non alignement, la pondération et l’équilibre, ne saurait aujourd’hui se lancer dans des aventures que ni sa position géostratégique, ni ses engagements internationaux ni ses moyens logistiques et militaires ne lui permettent d’en assumer les conséquences.
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