Affaire Salima Melizi | L’Algérie entre silence et résistance

L’arrestation puis la libération de l’écrivaine et éditrice Salima Melizi, connue pour son indépendance d’esprit, ont provoqué une onde de sidération dans le milieu culturel algérien. Au-delà du choc, cette affaire met en lumière un climat d’inquiétude et de crispation qui traverse la scène littéraire dans le pays. (Ph. Salima Melizi et en médaillon, son époux Abdelaziz Gharmoul.)

Latif Belhedi

La semaine écoulée a été traversée par un malaise difficile à taire. L’arrestation puis la libération de l’écrivaine et éditrice Salima Melizi, figure respectée du monde du livre, ont secoué le milieu littéraire algérien. Au-delà de l’émotion suscitée par la détention d’une femme de lettres de 65 ans, c’est tout un climat qui se dévoile : celui d’un espace public sous tension, où la parole critique devient vulnérable.

L’information n’est pas venue des journaux — ces voix affaiblies par la censure et la fatigue — mais des réseaux sociaux, devenus la véritable agora des Algériens. Dans ce vide médiatique, le téléphone, lui, continue de jouer son rôle discret mais central : celui d’un instrument parallèle où les décisions circulent sans procédure, ni transparence.

Un réflexe d’enfermement

Au Salon international du livre d’Alger (Sila), c’est dans les couloirs, à voix basse, que la nouvelle s’est répandue. Les écrivains se sont parlé, souvent entre deux dédicaces, dans un mélange de sidération et d’impuissance. Comment un simple post sur Facebook peut-il encore mener à une mise en détention ? Pourquoi ce réflexe d’enfermement plutôt que celui du débat et du droit ?

Mais au-delà de l’inquiétude pour Salima Melizi, une autre préoccupation s’est imposée : celle pour son époux, l’écrivain et journaliste Abdelaziz Gharmoul, que beaucoup considèrent comme leur aîné, un homme de lettres et de conviction qui incarne une génération restée fidèle à la dignité de la parole. L’épreuve qui a touché son foyer résonne comme un avertissement lancé à tous ceux qui continuent de croire que la littérature peut encore parler au pays.

La même semaine, la procédure visant les éditions Koukou est venue rappeler la fragilité du lien entre culture et liberté. Derrière ces affaires, c’est la tension ancienne entre le pouvoir et la pensée critique qui refait surface, dans un contexte où le champ intellectuel semble se rétrécir davantage.

L’intériorisation du silence imposée

Au Sila, les conversations se font à voix basse, comme si la peur s’était installée jusque dans le bruissement des livres. Le problème n’est plus la censure ponctuelle, mais l’intériorisation du silence imposée. Les écrivains ne se battent plus contre l’interdiction : ils apprennent à vivre avec elle.

Il flotte ainsi un malaise feutré mais profond, une inquiétude qui touche la conscience même de ceux qui écrivent, publient, traduisent, rêvent encore de liberté. Et c’est peut-être là, dans cette inquiétude partagée, que la littérature algérienne continue, malgré tout, de résister.

Au-delà des frontières, ce sentiment d’étouffement n’est pas propre à l’Algérie. Il traverse d’autres pays du Maghreb, où les créateurs, journalistes et intellectuels affrontent les mêmes fragilités, les mêmes censures invisibles. D’Alger à Tunis, de Casablanca à Oran, la question reste la même : que devient la liberté quand la parole cesse d’être entendue ?

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