Lutte contre le narcotrafic | L’hypocrisie de Donald Trump

Donald Trump veut engager une opération militaire au Venezuela pour chasser du pouvoir Nicolás Maduro parce qu’il le considère comme un «narcoterroriste» mais en même temps, il vient de gracier l’ancien président du Honduras Juan Orlando Hernández impliqué dans le narcotrafic et qui purgeait une peine de 45 ans de prison en Virginie pour être impliqué dans l’entrée d’énormes quantités de drogue aux États-Unis. Allez comprendre ! Avec le très fantasque et erratique président américain, il n’y a aucune logique. Cependant cette attitude contradictoire remet sérieusement en doute la posture de champion de la lutte contre le narcotrafic qu’il veut vendre à l’opinion publique. 

Imed Bahri

Ishaan Tharoor, l’éditorialiste du Washington Post, est revenu sur ce que l’administration Trump veut présenter à l’opinion publique comme une volonté de s’attaquer à ce qu’elle qualifie de «narcoterroristes» en Amérique latine.  

Les États-Unis ont bombardé de nombreux bateaux dans les Caraïbes et le Pacifique, que les responsables de l’administration Trump accusent de transporter de la drogue vers les côtes américaines, tout en brandissant l’épée de Damoclès contre le régime vénézuélien de Maduro que la Maison-Blanche qualifie de dictateur illégitime et de chef de gang brutal.

Mardi, le président Trump a convoqué une réunion du cabinet pour discuter des plans américains potentiels concernant le Venezuela. Au cours de cette réunion, le secrétaire à la Défense, Pete Higseth, a félicité Trump d’être «prêt à se battre» et a déclaré: «Ce n’est que le début de l’envoi des trafiquants de drogue au fond de l’océan»

Deux poids, deux mesures

Tharoor fait remarquer que des événements survenus non loin de Washington racontent une toute autre histoire. Lundi, l’ancien président hondurien Hernández a été libéré de la prison américaine de Hazleton, en Virginie, après avoir bénéficié d’une grâce présidentielle totale et inconditionnelle accordée par Trump le week-end précédent. Un juge fédéral de New York avait condamné Hernández, président de 2014 à 2022, à 45 ans de prison l’an dernier pour trafic de drogue vers les États-Unis, notamment pour avoir facilité l’introduction clandestine d’au moins 400 tonnes de cocaïne dans le pays.

Trump considère Hernández –tout comme lui– comme une victime de la politique de l’administration précédente, un argument qu’Hernández semblait avancer directement dans une lettre apparemment adressée à Trump via des intermédiaires. Dans une publication sur les réseaux sociaux, Trump a suggéré que le dirigeant hondurien avait été traité très durement et injustement.

Lundi, l’ancienne première dame du Honduras, Ana Garcia de Hernandez, s’exprimant devant son domicile à Tegucigalpa, a décrit son mari en termes trumpiens, affirmant qu’il était la cible d’une «chasse aux sorcières» et accusant les procureurs américains de monter un dossier politique contre lui.

Le pré carré américain

En même temps, Trump avait clairement influencé le scrutin hondurien de dimanche, allant jusqu’à menacer de couper l’aide au pays si son candidat de droite préféré, Nasri Asfurah, ne l’emportait pas. La commission électorale du pays a annoncé lundi une «égalité technique» entre l’homme d’affaires soutenu par Trump et son principal rival Salvador Nasralla, un réformateur de centre-droit que Trump a qualifié sur les réseaux sociaux de «communiste au bord de l’extrémisme».

Le Honduras n’en est pas à son premier scandale électoral. Avant le vote de dimanche, des candidats de tous bords, y compris la gauche au pouvoir, arrivée loin derrière, ont mis en garde contre d’éventuelles fraudes. La victoire d’Hernandez en 2017 avait été entachée par de nombreuses allégations de trucage des élections.

Alors que le dépouillement se poursuivait, Trump a clairement indiqué qu’il s’attendait à la victoire d’Asfurah et du Parti national hondurien (le parti d’Hernandez). La Maison-Blanche s’est activement employée à renforcer les perspectives politiques des gouvernements ou candidats de droite en Amérique latine et devrait présenter la victoire d’Asfurah comme un nouvel exemple de la tendance dans la région, qui a déjà connu des victoires de la droite (ou des défaites de la gauche) en Bolivie, en Équateur et en Argentine.

L’avocat hondurien des droits de l’homme, Joaquín Mejía, a déclaré à Americas Quarterly: «L’ère Hernández était marquée par des scandales liés au trafic de drogue d’État et aux violences contre les civils, ainsi qu’à l’élargissement des privilèges des élites traditionnelles. La victoire d’Asfurah est susceptible de renforcer l’influence américaine et de rapprocher la politique hondurienne des intérêts géopolitiques des États-Unis. Cela soulèverait des questions de souveraineté et de respect du droit international»

Mascarade fondée sur des mensonges

Compte tenu de la position intransigeante de Trump face à la menace présumée des bateaux de drogue dans les Caraïbes, la libération d’Hernández a immédiatement suscité de vives réactions, note Tharoor.

Le représentant démocrate du Colorado, Jason Crow, écrit sur les réseaux sociaux: «Trump prétend vouloir éradiquer la drogue des rues. Puis il gracie un trafiquant de cocaïne condamné. Les Américains ne sont pas dupes. Ils sont parfaitement conscients de l’hypocrisie du président». Il fait aussi remarquer que, selon des documents du département de la Justice, Hernandez se serait vanté auprès d’un chef de cartel de la drogue de pouvoir injecter de la drogue directement dans le nez d’inconnus. Les procureurs américains ont écrit dans le mémoire de condamnation qu’il avait causé «un préjudice extrême» et des «souffrances inimaginables» aux États-Unis, recommandant une peine de prison à perpétuité assortie de 30 années supplémentaires.

«L’accusé s’est livré à cette conduite odieuse tout en se présentant publiquement comme un allié des États-Unis dans leurs efforts pour lutter contre l’importation de drogues qui ravagent d’innombrables vies dans ce pays. Mais en coulisses, l’accusé a protégé les trafiquants mêmes qu’il avait juré de poursuivre», précise un autre extrait des documents du département de la Justice. 

Mike Vigil, l’ancien chef des opérations internationales de la DEA (La Drug Enforcement Administration, dépendant du département de la Justice des États-Unis chargée de lutter contre le trafic et la distribution des drogues aux États-Unis), avait déclaré au Guardian: «Cela montre que toute la lutte antidrogue de Donald Trump n’est qu’une mascarade fondée sur des mensonges et de l’hypocrisie. Il gracie Juan Orlando Hernandez et s’en prend ensuite à Nicolas Maduro… C’est de l’hypocrisie pure et simple».

Un ancien agent de la DEA ayant travaillé sur l’affaire Hernandez, s’exprimant sous couvert d’anonymat en raison de la nature sensible du sujet, a déclaré à Samantha Schmidt, chef du bureau du Washington Post à Mexico: «C’est scandaleux. C’est absurde, même d’y penser, et encore plus de le faire!» 

Parallèlement, la nature des forces américaines déployées au large du Venezuela et les frappes américaines contre des embarcations légères font l’objet d’une attention accrue. Le Washington Post a rapporté vendredi que Higseth avait donné l’ordre verbal de tuer tous les membres d’équipage d’un navire soupçonné de transporter de la drogue dans les Caraïbes, la première d’une vingtaine de frappes de ce type menées par l’administration depuis début septembre.

L’administration Trump n’a fourni que peu d’éléments de preuve pour expliquer la culpabilité des personnes à bord des bateaux, ni pour démontrer qu’elle protège les Américains des tonnes de drogue introduites clandestinement dans le pays.

Les critiques ont rejeté l’argument juridique embarrassant avancé par l’administration Trump pour justifier ces raids comme faisant partie d’un «conflit armé non international»

David Cole, professeur de droit à l’université de Georgetown, a déclaré: «Nous ne sommes pas en guerre contre les trafiquants de drogue. L’expression “guerre contre la drogue” est une métaphore et non un terme juridique technique autorisant le meurtre de l’ennemi. Les personnes à bord de ces bateaux étaient des civils et même en cas de véritable guerre, le droit de la guerre interdit de cibler des civils, sauf s’ils sont directement impliqués dans les hostilités». Et de d’ajouter: «En l’absence de toute justification militaire plausible à ces actions, il est difficile de les considérer autrement que comme un meurtre délibéré, tout simplement».

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