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Tunisie-Syrie : Caïd Essebsi otage de son allié islamiste

La Tunisie ne nomme pas un ambassadeur en Syrie, non parce qu’il y a la guerre dans ce pays, mais parce que Caïd Essebsi ménage ainsi ses alliés islamistes.

Par Farhat Othman *

Lors de sa campagne pour la présidentielle, en 2014, le président Caïd Essebsi avait affirmé que la reprise des relations diplomatiques entre la Tunisie et la Syrie, rompues deux ans auparavant et de manière intempestive par son prédécesseur Moncef Marzouki, serait l’une de ses priorités s’il était élu à la tête du pays. Or, cela fait deux ans et demi qu’il siège au Palais de Carthage, et il n’a fait aucun geste concret dans cette direction. Au contraire, il tente de justifier son immobilisme diplomatique par des arguments oiseux et qui sonnent faux.

S’il est un travers en Tunisie, chez nos politiciens, et qui empêche le pays d’innover, ce dont il est fort capable, c’est ce jeu des faux fuyants et des faux semblants. C’est censé être du tact alors qu’il n’en est rien. Au mieux, est-ce une labilité sociopolitique qui relève de l’hypocrisie érigée en art, celui de simuler et dissimuler; ce que j’ai qualifié de «jeu du je».

Il est vrai, une telle psychologie a des racines dans notre culture en Tunisie, arabe surtout, mais aussi berbère, et qui préfère jouer à cache-cache avec les sentiments, les apparences, afin d’apparaître sous le meilleur jour au regard de l’autre.

Cela correspond bien à cette dictature de l’image dont on connaît l’importance de nos jours où tout est apparence, y compris trompeuse (le fameux fake); c’est ce que je nomme «parabole du moucharabieh». De tout cela, nous avons eu une illustration éloquente avec le discours du président de la république, hier, dimanche 13 août 2017, célébrant la journée nationale de la femme.

Un argument sans consistance

En effet, Béji Caïd Essebsi, quand il a évoqué les relations avec la Syrie, a beau user du subterfuge intelligemment trouvé par son ministre des Affaires étrangères, à savoir que le non-respect des formes par l’ancien président provisoire Moncef Marzouki a fait que, juridiquement, la Tunisie n’a pas rompu ses relations diplomatiques avec la Syrie.

Or, au lieu d’aller jusqu’au bout dans le sens de la logique d’une telle trouvaille en annonçant la nomination, ou future nomination, d’un ambassadeur à Damas, il a ruiné tout l’intérêt de l’argutie juridique en prétendant que l’état de guerre en Syrie empêche la nomination d’un ambassadeur.

C’est bien beau comme exercice d’équilibriste, mais sans consistance politique ni diplomatique, et surtout pas assez convaincant venant d’un politicien rompu pourtant à l’art de la diplomatie qu’il sait être du tact et de l’habilité, quand elle est noble. Donc, non forcément pour tromper, mais tendre au discernement et au sens de la mesure des jugements dans les rapports avec autrui.

Mieux que quiconque, M. Caïd Essebsi sait pertinemment que cet art ne trouve ses lettres de noblesse que dans les situations de crise, mais aussi et surtout de guerre. C’est en de telles circonstances que tout pays se vantant d’une diplomatie subtile — et c’est le cas de la Tunisie — saisit pour faire montre de son talent, agir pour la paix.

De plus, dire que nous avons un consul général ne suffit pas, puisqu’on sait la différence qu’il y a entre relations diplomatiques et consulaires.

Enfin, l’argument massue à opposer au raisonnement du président est bien de lui rappeler qu’il y a guerre aussi ailleurs; alors va-t-on retirer nos ambassadeurs de tous les pays en guerre et dans ceux où elle risque d’éclater? On aura alors une drôle de conception de la diplomatie.

Un ambassadeur pour la paix et la vérité

Pourquoi donc ne pas oser enfin dire la vérité avec l’expérience qu’il a et sa carrière politique derrière lui — qu’on le veuille ou non — du fait de son âge ? Qui donc, en Tunisie, ignore que c’est le partenaire islamiste qui s’oppose au véritable rétablissement des rapports diplomatiques, car ce serait pour lui ouvrir la boîte de Pandore sur les turpitudes des uns et des autres au lendemain de la révolution?

Qui ignore, par ailleurs, que le président ne fait rien de nature à mécontenter son alter ego, le gourou Rached Ghannouchi, qui est allé récemment violenter l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) osant montrer, sur le dossier syrien, comme le lui permet son patriotisme, une indépendance inacceptable pour le parti islamiste Ennahdha à l’égard de sa ligne politique en la matière?

M. Caïd Essebsi, ai-je dit, a bien son avenir derrière lui en terme d’âge; mais on sait parfaitement bien que la jeunesse peut se révéler éternelle, à la condition toutefois que l’on croie en sa capacité d’innover en allant dans le sens de l’histoire quitte à bousculer le conformisme ambiant, mettre en colère ses partenaires moralement autistes.

Un tel conformisme, devenu logique, impose aujourd’hui en Tunisie de ne pas précipiter le retour des relations diplomatiques avec la Syrie, porteuses de trop de vérités de nature à faire des dégâts irréparables pour certains acteurs politiques.

Pourtant, ce qu’impose aussi le sens de l’histoire, outre la morale, c’est bien de nommer au plus vite un ambassadeur en Syrie afin d’y agir pour la paix et d’arrêter, par la même occasion, de cacher la vérité au peuple en ne faisant plus la politique à l’ancienne.

Que M. Caïd Essebsi ose donc incarner le génie tunisien perceptible chez le peuple, y compris le premier venu de nos rues, bien mieux que dans les cercles du pouvoir, même chez les plus talentueux, figés sur des moeurs et des réflexes antiques, supposés canoniques! La Tunisie a changé comme le monde entier et il est fatal que la pratique politique suive le cours de l’histoire.

* Ancien diplomate.

 

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