En l’absence de leur principal marché libyen, les exportateurs tunisiens sont à la recherche de nouveaux débouchés et jouent la carte de l’agriculture biologique.
Par Marwan Chahla
Le rôle de l’Agence de promotion des investissements agricoles (Apia), qui consiste à développer l’investissement public et privé dans l’agriculture tunisienne, est peut-être plus crucial à présent qu’à aucun autre moment de l’histoire du pays.
La manne climatique
Depuis plus de six ans, la crise en Libye voisine a eu pour conséquence inévitable un net recul des exportations agricoles tunisiennes. A titre d’exemple, pour la seule saison 2016/17, les ventes de produits agricoles tunisiens sur le marché libyen ont enregistré une chute de 25%, en comparaison avec l’année précédente – même si les revenus de ces exportations ont affiché une augmentation de 13%, pendant cette même période, pour atteindre les 75 millions de dollars (plus de 180 millions de dinars tunisiens), selon les chiffres du ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche.
«Nous nous efforçons de tirer avantage de l’investissement étranger direct dans ce secteur, a confirmé Rachid Belanes, directeur des Affaires économiques à l’Apia, tant autant que de la technologie et du commerce. En Tunisie, nous produisons une grande variété de denrées, principalement des dattes, de l’huile d’olive, des tomates, des artichauts, des abricots, des grenades, des agrumes et des pommes de terre.»
Selon M. Belanes, en raison de sa situation dans une zone tempérée chaude, la Tunisie jouit de l’avantage de la production précoce par rapport à la concurrence européenne, un atout qu’accompagnent les efforts de limitation des coûts de la production.
«Le climat dans notre pays implique que nos produits sont présents sur les marchés mondiaux plus tôt que ce qui se produit en Espagne et en France, par exemple. Désormais, nous sommes également capables de chauffer ou de climatiser nos serres, par le moyen de l’eau du sous-sol désertique. Cela permet à nos agriculteurs de réduire sensiblement les coûts de leurs productions et de les aider à être en bonne position face à la concurrence des exportateurs espagnoles, égyptiens et marocains», explique le responsable de l’Apia, dans une interview au site ‘‘Fruitnet.com’’.
En l’absence du marché libyen, les exportations tunisiennes ont été orientées vers une vingtaine de nouveaux marchés, y compris notamment le Japon, la Chine, l’Arabie saoudite et l’Europe. «Le Moyen-Orient est un bon débouché pour nos grenades, notre huile d’olive et nos dattes», déclare M. Belanes, précisant : «Nous exportons directement vers ces marchés: pour les pays du Golfe, nous expédions nos produits par avion, pour la Russie par bateau, et pour l’Europe nous utilisons les deux moyens de transport.»
Rachid Belanes.
Le «bio», une nouvelle philosophie en Tunisie
Pour les dattes et l’huile d’olive, la Tunisie a toujours compté sur une appréciable production biologique. «Nous souhaitons faire de plus en plus de culture organique. Il existe en Tunisie de bonnes opportunités pour l’agriculture biologique. Nous sommes capables d’en produire très naturellement et, par conséquent, le passage à la culture organique est tout à fait aisé pour nos exploitants agricoles», insiste le directeur des Affaires économiques auprès de l’Apia.
Samia Maamar, directrice générale de l’Agriculture biologique au ministère de l’Agriculture, confirme cet élan «bio» tunisien. Pour elle, il s’agit d’une nouvelle philosophie, d’une nouvelle approche, amplement récompensée. Elle en veut pour preuve «les cinq zones pilotes qui ont été lancées pour la production du tout biologique. Le bon rendement du secteur a été mondialement reconnu par le certificat de conformité aux standards internationaux octroyé à la Tunisie pour son secteur organique, son système de contrôle-qualité et son système de développement. Cette reconnaissance qui nous a été accordée par la Commission européenne est très importante.»
Le groupe Boudjebel (Société Boudjebel SA Vacpa), principal exportateur de dates tunisien, écoule plus de 12.000 tonnes de dattes dans une quarantaine de pays. «Nous sommes les premiers producteurs de la variété organique de Deglet Nour au monde. Nous formons une association de 13 producteurs et nous regroupons 700 agriculteurs qui opèrent, tout au long de l’année, sous la supervision de nos ingénieurs agronomes agréés. Nous sommes fortement soutenus dans cette orientation par les petits exploitants. Et cela donne plus de vitalité à nos efforts de développement de la production bio», aime à rappeler Mohsen Boudjebel, Pdg du groupe.
Le géant Fresh Del Monte, un des producteurs mondiaux les plus importants dans la distribution de fruits et légumes frais et transformés, ne pouvait rester indifférent à ce qui se passe en Tunisie. La multinationale de l’agro-alimentaire compte non seulement investir dans notre pays mais également ouvrir une représentation à Tunis. «Ce bureau ciblera principalement le marché européen et la région d’Afrique du nord (…) Nous avons été impressionnés par la grande expertise des agronomes tunisiens. La Tunisie devrait pouvoir exporter vers l’Europe, notamment des produits comme les raisins précoces et les légumes d’hiver», a déclaré Mohammed Abbas, vice-président de Del Monte, chargé de la région Moyen-Orient et Afrique du nord.
La voie semble donc bien tracée pour l’agriculture tunisienne: attirer encore plus l’investissement dans le secteur et miser plus franchement sur le «bio» – les ressources pour produire et l’adaptation aux goûts du consommateur du 21e siècle.
(avec ‘‘Fruitnet.com’’).
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