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Bloc-notes : Macron en Tunisie et la diplomatie de convenances

Caïd Essebsi reçu à l’Elysée par Macron en décembre 2017.

La visite du président Macron en Tunisie, au cours de la semaine prochaine, doit dépasser les thèmes éculés de la diplomatie classique et les rengaines éculées.

Par Farhat Othman *

Le président français Emmanuel Macron est en visite d’État en Tunisie le 31 janvier accompagné d’une importante délégation de ministres et d’hommes d’affaires et inaugurera, avec le chef du gouvernement, Youssef Chahed, le Forum économique franco-tunisien organisé par la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie (CTFCI).

Malgré son importance, surtout économique et politique, cette visite n’aura pas grand intérêt pour l’aspect symbolique, valeur stratégique aujourd’hui où tout est érigé en symbole et qui ne doit pas être négligée. Or, moyennant un minimum de courage politique, la visite de notre hôte pourrait augurer d’une sortie de l’actuelle diplomatie de convenances.

Sortir du partenariat de parade

Le jeune président de la France est supposé incarner le renouveau de son pays et de la politique; il pourrait donc être le mieux disposé au renouveau nécessaire de cette diplomatie. Cependant, dans le discours qu’il prononcera devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), il ne dépassera pas les thèmes éculés de la diplomatie d’un autre temps, se limitant à aborder les rengaines classiques éculées.

Même l’éventuelle annonce de conversion d’une nouvelle partie de la dette tunisienne en projets de développement ne suffira pas, la situation critique de la Tunisie imposant la conversion de l’intégralité de la dette ou la décision courageuse d’un moratoire à son remboursement, sinon son effacement pur et simple. C’est ce que n’ose pas demander la Tunisie; comment espérer alors l’obtenir de la France trop heureuse d’une pareille pusillanimité diplomatique ?

C’est un aspect essentiel de la coopération bilatérale et pour le développement de la Tunisie qu’on néglige ainsi au profit d’un pathétique usage de langue de bois ne trompant plus personne sur les sempiternels laïus en matière d’économie, de sécurité et surtout des tragicomiques questions migratoires. Tragicomiques, car, objectivement, on crée la clandestinité avec notre refus d’appeler à user de l’arme fatale pour l’immigration clandestine qu’est le visa biométrique de circulation.

La dernière péripétie d’inscription de la Tunisie sur la liste noire des paradis fiscaux est une bonne illustration de cette diplomatie qui n’honore pas un pays méritant tant de réussir sa transition démocratique. Certes, on a parlé de «décision injuste»; mais qu’a-t-on fait? Rien ou presque, la Tunisie étant toujours stigmatisée, puisque la liste grise est à peine meilleure que la liste noire, et notre pays y est pour une année au moins.

Si Khémaies Jhinaoui, notre ministre des Affares étrangères, dans une récente déclaration à France 24, dit espérer «se conformer aux conditions proposées par la partie européenne», il n’ignore pas que le seul partenariat de nature à aider la Tunisie à sortir de sa dépendance actuelle sans droits est celui de l’adhésion à l’Union européenne (UE) qui serait de nature à équilibrer notre dépendance par les droits d’État membre. Soit donc un statut de partenariat véritable et non l’actuel mensonger.

On le voit d’ailleurs avec les négociations de l’Accord de libre échange complet et approfondi (Aleca) dont M. Jhinaoui dit souhaiter y arriver «à une formule qui permettra de répondre aux sollicitations des conditions européennes». Ce n’est pas avec un tel discours qu’on réussira à obtenir gain de cause face à une Europe rivée à ses privilèges exorbitants, refusant même d’équilibrer cet accord en le transformant en Alecca (Accord de libre échange et de circulation complet et approfondi).

Le pis est que nos diplomates ne le demandent même pas alors que c’est bien à ce niveau qu’il faut agir, là où ils peuvent vraiment manœuvrer, étant le seul susceptible d’aider à faire changer la situation actuelle devenue dramatique.

La France, pour peu qu’on le lui demande, pourrait bien y aider au-delà des slogans vides de sens qui ne font plaisir qu’aux crédules et/ou serviles. C’est même le devoir du premier partenaire de la Tunisie; et si la France entend le rester, comme l’assure M. Macron, elle doit le démontrer concrètement. Mais cela impose d’abord, bien évidemment, de réinventer notre propre politique étrangère, sortant enfin des sentiers de traverse que nous pratiquons, cette diplomatie de convenances.

Le président Macron trouvera en Tunisie un chef de gouvernement, Youssef Chahed, jeune comme lui. 

Une diplomatie d’un autre temps

Dans un pays jeune, en un monde nouveau en gestation avec le renouvellement partout des mentalités et des élites, la diplomatie en général, et en Tunisie en particulier, ne peut demeurer scotchée au temps passé. Elle y est à l’exemple du chef de l’État, vieux à la tête d’un pays jeune; ce qui n’est pas en soi une mauvaise chose, la vieillesse étant un gage de compétence, d’expérience et de sagesse. À la condition, toutefois, de n’être pas la locomotive du pays, l’axe autour duquel tout tourne — être vieux imposant forcément les aléas de l’âge —, mais juste un référentiel n’excluant point d’innover, oser en ces temps de retour de l’esprit de conquête partout dans le monde.

En Tunisie, la diplomatie est le propre du prince; et ce dernier est un vieil homme qui, malgré son talent et sa ruse d’animal politique, est prisonnier de son passé, des concepts de son temps. Aussi ne tient-il pas compte assez des réalités du pays ni de celles du monde nouveau; ses yeux étant rivés sur ce dont il avait l’habitude de voir et de pratiquer d’art, consommé certes, mais de politique politicienne d’un monde révolu.

En cela, le chef suprême de la diplomatie tunisienne, le président Béji Caïd Essebsi, est une autre forme de l’autre gourou de la politique en Tunisie, cet islamiste dont l’univers relève de l’âge d’or bien fini de l’islam, Rached Ghannouchi. D’où cette alliance plus que privilégiée entre nos supposés modernistes et nos intégristes islamistes. Certes, elle est inévitable, mais non pas comme on la pratique en une alliance de faussetés : d’un modernisme laïque de forme et d’une caricature d’islam modéré.

Cela ne serait pas dommageable pour le pays si le président pouvait compter sur des conseillers ayant un rayonnement personnel et osant prendre des initiatives, innovant là où sa vision antique ou sa mentalité marquée par le passé ne le permet pas. Ce qui est parfaitement possible eu égard aux véritables compétences qui existent dans le pays; mais ce n’est pas encore le cas, en diplomatie surtout.

Ainsi, malgré sa pointure et son talent propre, étant un diplomate de carrière au talent avéré, l’actuel ministre des Affaires étrangères a pour principe catégorique de n’être que l’ombre du président de la République qui demeure le seul chef de la diplomatie. De la sorte, la Tunisie a beau ne pas manquer d’atouts pour innover diplomatiquement, faire montre de véritables initiatives courageuses, elle ne pratique pas moins du surplace en diplomatie, les choix actuels du pays la réduisant à n’avoir que la diplomatie des convenances que nous déplorons.

Certes, la convenance peut signifier, en général, ce qui convient, une sorte de bon goût, et même la bienséance; mais cela convient à la diplomatie antique. En diplomatie de notre temps, elle n’est, au mieux, que semblable au mariage de convenance, déterminé par les rapports de fortune ou par la position sociale des conjoints; et ce n’est même plus un mariage de raison, mais de déraison.

Ce qui manque à la diplomatie actuelle de notre pays, c’est qu’elle n’agit pas dans l’intérêt de la patrie à travers ses masses, sa jeunesse en premier, dont le premier souci est de circuler librement, d’avoir la jouissance de ses droits et libertés. Notre diplomatie est plutôt conforme aux vues de la classe dirigeante, relevant d’un temps fini, selon une politique à l’antique.

C’est bien le cas pour les rapports développés avec la France, notre partenaire historique, où rien de véritablement bon n’est fait au profit de notre communauté expatriée, la plus importante à l’étranger. On ne se soucie que d’expédients, négligeant l’essentiel pour aller dans le sens de la politique française, forcément égoïste. Pour cela, on se satisfait des slogans creux de l’amitié et du support à la transition démocratique, continuant à servir la politique occidentale en matière de maintien du pays en une sorte de réserve aux frontières cadenassées vivant d’aumônes et non de fonds structurels de l’Union européenne.

Car la dépendance actuelle de la Tunisie, qu’on le veuille ou non, en fait un membre informel de l’UE qu’on a tort de ne pas revendiquer par souci, non point de souveraineté, mais d’alignement sur les intérêts, sinon les exigences, d’autrui, aussi bien d’Occident que d’Orient.

Refonder la francophonie

Outre ce qui a été évoqué ci-dessus, et pour en finir avec la diplomatie de convenances, que pourrait-on faire en plus à l’occasion de la visite de M. Macron? Se rappeler, par exemple, qu’en plus d’être le premier partenaire économique et politique de la Tunisie, la France est le chef de file de la francophonie, un mouvement dont on n’use que pour l’épate au niveau culturel. N’est-il pas venu le temps de transformer ce mouvement en levier politique au moment où rien n’échappe à la politique?

M. Jhinaoui dit, à propos de la visite de l’hôte de la Tunisie, avoir préparé plusieurs feuilles de route fixant des axes de la future coopération souhaitée avec la partie française; mais cela tourne quasi exclusivement autour de l’augmentation des investissements. Ce qui n’est ni suffisant ni réalisable dans le contexte actuel de frontières fermées et de tête-à-tête avec la France. Pourquoi donc ne pas proposer une coopération étendue dans un espace francophone où la liberté de circulation humaine sera garantie aux humains, les seuls créateurs des richesses, du moment qu’ils sont ressortissants de pays francophones ayant réussi leur transition démocratique ou étant en train de la réussir?
Le mouvement francophone, dont la Tunisie est un éminent membre, pourrait se révéler très utile. D’autant que les drames récurrents en Méditerranée n’autorisent plus de se satisfaire de l’actuelle politique sécuritaire. Bien comprise, celle-ci suppose et impose même le droit à la libre circulation avec l’outil précité, respectueux des réquisits sécuritaires, et que l’Europe ne saurait continuer à refuser sans faire montre de mauvaise foi. Il reste cependant que la Tunisie doit le demander au préalable.

Bien que les occasions pour le dire à nos partenaires d’Europe, y compris et surtout historiques, n’ont pas manqué, notre diplomatie ne l’a pas fait. Le fera-t-elle à l’occasion de la visite de M. Macron? À défaut d’appeler l’Union européenne à transformer le visa actuel en visa de circulation dans le cadre d’un espace méditerranéen de démocratie, pourquoi donc ne pas appeler la France à un espace francophone de démocratie qui soit un espace de libre circulation entre démocraties francophones?

Assurément, le monde a changé et les mentalités populaires bougent à vitesse hallucinante; il est bien temps que nos responsables arrêtent de l’ignorer et de ne pas tenir compte, du coup, de l’esprit de la Tunisie nouvelle, ce qu’il impose surtout en termes d’innovation politique et diplomatique.

* Ancien diplomate, écrivain.

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