Le chef islamiste Rached Ghannouchi considère parfaitement naturel le sexe gay et ne s’oppose pas à l’abolition de l’article 230 du code pénal sanctionnant l’homosexualité. Qui s’oppose donc encore à l’abolition de l’homophobie en Tunisie ?
Par Farhat Othman *
Dans sa récente déclaration aux médias, Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste Ennahdha, a considéré parfaitement naturel le sexe gay. Or, et nous l’avons signalé depuis longtemps, il s’était déjà engagé auprès de ses précieux soutiens d’Occident, sans lesquels il ne serait pas au pouvoir ni ne s’y maintiendrait, d’abolir l’article 230 du Code pénal si un texte venait à être proposé au parlement, tablant sur le fait que personne n’oserait le faire. Et il a eu raison de le penser.
En effet, malgré l’existence d’un texte ayant parfaitement les chances d’être voté, y compris par les islamistes, et que nous rappelons ci-après, personne n’a osé le reprendre par laïcisme ou souci de ne pas permettre aux religieux d’en tirer un profit politique.
Aussi, aujourd’hui que le parti le plus important au parlement confirme être prêt à voter l’abolition du honteux article 230 du Code pénal, les militants anti-homophobie ont l’obligation de démontrer qu’ils veulent vraiment l’abolition dudit article 230 et non juste en parler, en faire du business, et ce en osant proposer le seul texte utile en la matière, étant en parfaite conformité avec la constitution du pays qui réfère aux valeurs de l’islam.
Mieux servir la cause anti-homophobie
Certes, on a pu et on peut toujours dire qu’il ne s’agissait de la part du gourou islamiste que de paroles en l’air, des manœuvres de vieux renard; ce qui ne serait pas tout à fait faux sans être absolument vrai pour autant.
On le sait, M. Ghannouchi fait de la politique aux canons antiques; il ne croit pas à ce que je nomme poléthique, l’éthique en politique. Il est, cependant, loin d’être le seul, en Tunisie et dans le monde, à n’être pas aussi éthique et idéaliste comme on doit l’être, surtout dans un pays musulman où l’on se doit d’être idéaliste dans le sens de Jaurès, qui en fait du courage.
Si donc le chef islamiste manœuvre, qu’est-ce qui empêche ses adversaires, s’ils n’étaient pas aussi dogmatiques que lui, de le prendre au mot et de le pousser à conformer sa parole à des actes concrets ? Pourtant, les supposés démocrates s’abstinent à ne rien proposer ou alors juste des textes déconnectés des réalités du pays, n’ayant aucune chance d’être votés, risquant d’y être taxés de violer aussi la constitution qu’ils appellent à respecter et ce en ignorant ce qu’est supposé dire l’islam sur l’homosexualité.
Or, c’est bien un tel nœud gordien à défaire et qui condamne l’échec les projets jusqu’ici proposés par les militants associatifs se voulant laïques à l’occidentale alors que la constitution du pays impose le respect de l’islam et qu’on tient à ignorer au lieu de contester la fausseté de qui prétend qu’elle serait homophobe. Car vouloir abolir l’homophobie nécessite de rappeler d’abord que l’islam ne l’a jamais été. Ce qui a été largement prouvé.
Si l’on veut abolir l’homophobie en Tunisie — et c’est fatal, mais quand et avec combien encore de victimes ? — on doit passer par la case islam en commençant par rappeler que cette foi humaniste n’a jamais interdit un sexe parfaitement naturel quoique minoritaire. Et c’est bien cela qui permet de se conformer à la constitution. C’est ce qu’a enfin compris M. Ghannouchi qui, sans nécessairement accepter l’abolition de l’article 230, veille à ménager d’ores et déjà l’avenir afin de pouvoir dire, le moment venu, y avoir été favorable. De plus, quel mal de dire que l’islam n’a jamais persécuté les gays, contrairement à l’Occident, et que se sont les musulmans qui, avec des lois coloniales le font à tort au nom de l’islam ?
Il est dommage que le texte rappelé en fin d’article continue d’être ignoré par les militants et les supposés humanistes. Pourtant, il ne fait que rappeler une vérité historique et est conforme à la fois à l’esprit et à la lettre du texte fondamental.
À défaut de libérer enfin le pays de la honte homophobe, il serait de nature de mettre à l’épreuve la sincérité de M. Ghannouchi qui n’aurait alors plus aucun prétexte pour refuser son vote. Certes, cela bouscule les esprits séculiers dans leur confort dogmatique, mais est-ce si peu quand il permettra de débarrasser la Tunisie et l’islam de cette tare qui brime les innocents et n’est qu’une importation de la pastorale chrétienne imposée au monde musulman à la faveur de l’impérialisme?
Tous responsables
Aujourd’hui, en Tunisie, force est de relever que, plus que jamais, ce sont les supposés modernistes qui refusent de libérer les Tunisiens du crime légal qu’est l’homophobie. Or, ils sont au pouvoir, qu’on le veuille ou non, et le gouvernement, même en l’absence d’action de la part de la société civile, est bien en mesure de prendre des initiatives salutaires au lieu d’attendre les réformes promises et toujours retardées sans se soucier du calvaire des innocents et de l’illégalité des lois de l’État devenu de non-droit.
À défaut de proposer lui-même le texte évoqué, qu’est-ce qui l’empêche d’indiquer le chemin qui mène à sa finalité en ayant, par exemple, le courage d’interdire cette ignominie du test anal ou de donner les instructions nécessaires pour que police et juges arrêtent de violer l’intimité des gens et à déférer au parquet pour des comportements relevant de la stricte liberté privative? Une simple circulaire ou un arrêté suffiraient ainsi à réaliser l’avancée tant attendue en interdisant la pratique moyenâgeuse et les violations des droits citoyens les plus basiques.
Ne serait-ce pas un biais utile pour qu’il n’y ait plus d’application de ces textes si honteux qu’on n’ose même plus évoquer de peur du scandale auprès des gens civilisés? On pourrait même dissuader les plus récalcitrants en décidant de poursuivre quiconque s’obstinerait ainsi à violer la légalité constitutionnelle en risquant lui-même d’être poursuivi pénalement pour atteinte à la dignité humaine (pour la prescription du test anal) et de violation des libertés citoyennes pour le reste.
Aujourd’hui, la honte est sur tous nos responsables du fait de leur silence et inaction en vue enlever au plus vite la tare homophobe qui n’a aucune racine dans le pays. Le gouvernement est bien en devoir d’agir, car il ne peut plus se targuer de la peur de la réaction négative des islamistes qui se sont enfin décidés de mettre à jour leur logiciel sur le sexe. Continuerait-il donc à user lui le système obsolète de ce fallacieux prétexte que la société serait conservatrice; ce qui est absolument faux?
Une mentalité sociale homophile
Au vrai, le prétexte du conservatisme social est le plus fréquent, mensonger qui plus est, car il n’y a pas de plus mensonger que de prétendre la société tunisienne homophobe. Il ne s’agit que d’apparences, une hypocrisie ou labilité sociale qu’instaure l’environnement légal répressif qui en arrive à contraindre les gens à simuler et dissimuler leurs mœurs dans ce que je qualifie de jeu du je bien caractéristique des Tunisiens et des Arabes plus largement, comme le résume ma parabole du moucharabieh consistant à veiller à soigner son image. Or, c’est aussi dans l’esprit du temps.
Pourtant, il suffit de scruter l’intimité au quotidien du Tunisien pour se rendre compte qu’il est loin d’être homophobe, étant ouvert à tous types de sexe, sa nature le portant vers cette bisexualité qui est le sexe le plus répandu chez les créatures de l’univers. Certes, il y a bien des minorités homophobes et qui sont voyantes, car actives et violentes, tirant profit de l’ignorance généralisée quant à une assise religieuse de l’homophobie. Il n’en demeure pas moins que la société, dans son ensemble, est libertaire et tolérante d’un sexe qu’elle ne désapprouve pas en tant que liberté privée, ne supposant aucun jugement sinon celui du créateur qui est, par définition, clément et miséricordieux. C’est ce qu’il importe de rappeler.
Une telle mentalité a marqué même la civilisation de l’islam; sa production non seulement littéraire et artistique, mais aussi théologique le prouve. Car l’islam n’est pas qu’un simple complexus de rites, il est surtout un art de vivre qui est libre et libertaire par définition. Ce fut le cas de l’islam avant d’être défiguré par les siens trop imbus par la tradition judéo-chrétienne pour oser assumer l’aspect sexuel novateur de leur foi.
Doit-on rappeler encore que contrairement à la Bible, le Coran ne comporte aucune prescription contre le sexe gay et qu’il n’est aucun dire du prophète le concernant dans la sunna authentique, tout ce qu’on colporte en la matière relevant de faux?
L’anathème actuel est issu d’un effort de jurisprudence de la part de jurisconsultes dont la plupart avaient un imaginaire marqué par la tradition judéo-chrétienne, reine encore à l’époque sur laquelle ils se sont alignés. Or, le christianisme tout autant que le judaïsme ont évolué, la foi monothéiste y ayant été rénovée, qu’attend-on pour faire de même en un islam qui a tous les outils pour ce faire, ayant même été une modernité avant la lettre, cette rétro-modernité que fut la lecture soufie ?
Il est temps que la Tunisie assume sa destinée d’exception en revitalisant sa saine lecture de l’islam en commençant par toiletter sa foi actuelle des scories qui lui sont étrangères. La meilleure façon d’y ouvrir la voie est la reconnaissance aujourd’hui du sexe gay, car en islam, comme dans la nature, le sexe est total ou il ne l’est pas, libre à chacun de vivre sa nature comme Dieu l’a voulue en lui.
Mesurons-nous à quel point une telle mentalité rénovée révolutionnerait le monde arabe et musulman ?
Projet d’une loi consensuelle
Voici le seul texte qui est de nature à ouvrir la voie vers une telle issue salutaire pour la Tunisie comme pour tout le monde de l’islam, le sortant de ses obscurités actuelles, permettant de revenir enfin à un islam des lumières ainsi qu’il est apparu et le fut durant les obscurités du Moyen Âge occidental! Qu’on le propose aux médias pour être proposé par dix députés au moins et enfin être voté une fois entré à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) ! Car, de source sûre, je sais que M. Ghannouchi et les plus éclairés de son parti y adhèrent. Que faudrait-il donc de plus ?
Abolition de l’homophobie
Attendu que l’homophobie est contraire aux droits de l’homme et au vivre-ensemble paisible, à la base de la démocratie;
Attendu que l’orientation sexuelle relève de la vie privée que respectent et l’État de droit tunisien et l’islam;
Attendu que l’article 230 du Code pénal viole la religion musulmane qui n’est pas homophobe étant respectueuse de la vie privée de ses fidèles qu’elle protège;
L’ARP décide :
Article unique
La vie privée étant respectée et protégée en Tunisie, l’article 230 est aboli.
* Ancien diplomate et écrivain.
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