Essai | Les chantiers de la mort de l’antiquité à nos jours

Des millions d’esclaves et d’ouvriers ont trouvé la mort dans les chantiers de la Tour de Babel, des Pyramides d’Egypte, de la Muraille de Chine ou encore, plus près de nous, de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar. Un sociologue tunisien a consacré une étude fouillé à ces grands oubliés de l’Histoire.      

Le Pr Sofiane Bouhdiba, enseignant de démographie à la Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis, vient de publier aux éditions L’Harmattan à Paris un nouvel essai intitulé ‘‘Les chantiers de la mort. La mortalité des ouvriers du XIXème siècle à nos jours’’.

L’auteur nous, qui nous surprend souvent par l’originalité des thématiques qu’il aborde, qui questionnent sans cesse la mort, les souffrances, la maladie, la violence…, rend hommage dans ce nouveau livre, le 23e du nombre, un hommage, à ces millions d’hommes et de femmes qui, depuis l’aube de l’humanité, ont laissé leur vie en bâtissant des tours, des murailles, des pyramides, des chemins de fer… autant de grands ouvrages – pas toujours utiles d’ailleurs – édifiés grâce à la sueur, les larmes, le sang de ces ouvriers, esclaves, prisonniers, ou migrants misérables, piégés dans de sordides règlementations de permis de séjours, d’autorisation de travail et de visas.

L’histoire de la mortalité des ouvriers remonte à plusieurs millénaires. Les travailleurs de la construction ont toujours été exposés à divers dangers, d’abord en raison de la nature de leur travail, impliquant souvent des travaux en hauteur, l’utilisation d’outils dangereux, puis des machines lourdes, qui broient autant les pierres que les chairs. La taille exceptionnelle des ouvrages implique également le plus souvent un travail en plein air, exposant naturellement les hommes aux éléments, aux maladies, à la malnutrition, aux insectes et aux bêtes sauvages.

On le voit bien dans le nouveau livre du Pr Sofiane Bouhdiba, l’éloignement des proches, le stress, le respect minimaliste des droits de l’homme les plus élémentaires, sont autant d’éléments qui font des grands chantiers de véritables espaces de mort. Survivre dans ces conditions devient une gageure, avec à la clé des séquelles qui finalement raccourciront l’espérance de vie. Car, l’auteur le démontre clairement dans son ouvrage, la mort survient souvent des dizaines d’années après l’achèvement des travaux.

Pendant des millénaires, les ouvriers du bâtiment ont été confrontés à des risques de mortalité extrêmement élevés sur les grands chantiers de construction, que l’auteur tente de retracer tout au long des ‘‘Chantiers de la mort’’, à travers des recherches de terrain qui l’ont mené aux confins les plus hostiles de l’Afrique de l’Ouest.

Au fil des siècles, une plus grande précision des risques, l’introduction de règlementations du travail plus strictes, l’évolution drastique des normes de sécurité, le passage de l’esclavage au prolétariat puis au Code du travail, auraient dû être à l’origine d’un effondrement de la mortalité des ouvriers. L’auteur montre au cours de ses réflexions que ce ne sont là que pures illusions.

A cet effet, le Professeur Sofiane Bouhdiba a choisi d’examiner les chantiers les plus meurtriers de l’histoire de l’humanité, remontant à la plus lointaine antiquité. La construction des premières pyramides d’Egypte, qui date de trois millénaires avant notre ère, et plus récemment celle de la grande muraille de Chine au IIIe siècle avant J.-C., constituent ainsi les chapitres introductifs de l’ouvrage.

Le livre contient deux grandes parties, à peu près équilibrées. La première, organisée autour de quatre chapitres, rappelle ce qu’étaient les chantiers de la mort de l’antiquité et du moyen âge avant d’examiner la mortalité sur quelques grands chantiers du XIXe siècle, à l’ère de la révolution industrielle.

La deuxième partie du livre, partagée en cinq chapitres, est recentrée sur le XXe siècle, tout en s’intéressant à quelques chantiers de la mort qui ont fait scandale ces dernières années. Après avoir rappelé, à travers le cas de la dernière Coupe du monde de football 2022 au Qatar, que l’ouvrier moderne reste un esclave soumis à son maître, l’auteur montre dans cette deuxième partie que, globalement certaines améliorations ont été enregistrées depuis l’érection de la grande muraille de Chine.

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