Moyen-Orient | Israël planifie-t-il la partition de la Syrie ?

Dans un article reflétant la mentalité de certains cercles occidentaux et israéliens concernant l’avenir de la Syrie, révélant une attitude provocatrice et arrogante et ne cachant même plus les intentions vicieuses de redessiner la carte du Moyen-Orient, l’auteur israélien Jason Shvili a appelé dans les colonnes du journal Israel Hayom au démantèlement de la Syrie et à sa partition bien qu’il s’agisse d’un État indépendant qui existe depuis plus d’un siècle. Longtemps avant Israël lui-même.

Imed Bahri

Quand on sait qu’Israel Hayom est le journal le plus proche de Benjamin Netanyahu et qui a accompagné son ascension politique, quand on connaît la perfidie des Israéliens et leur capacité à souffler sur les braises surtout dans un contexte d’une Syrie si fébrile où le pouvoir central est en crise avec les composantes confessionnelles, on ne peut pas prendre à la légère les intentions israéliennes toujours soucieuse d’avoir un voisinage faible et divisé. 

La division en marche de la Syrie

Jason Shvili commence son article par un constat qu’il lance tout de go : «La Syrie ne fonctionne pas. Elle n’a jamais fonctionné et ne fonctionnera jamais. Elle doit être divisée»

Et cette partition, il la présente d’une manière vicieuse comme une solution, estimant que les principaux groupes ethniques et religieux –musulmans alaouites, chrétiens, arabes sunnites, druzes et kurdes– méritent l’autodétermination. Pour lui, ces communautés qui ont toujours coexisté en Syrie devraient avoir le droit de se séparer sinon l’alternative est un bain de sang supplémentaire. Il estime que les États-Unis s’obstinent et tentent ridiculement de maintenir l’intégrité territoriale de la Syrie après des décennies de guerre civile. C’est plutôt la mauvaise foi de Shvili qui est ridicule et cocasse. D’ailleurs, il appelle à l’autodétermination des composantes ethniques de la Syrie mais celle des Palestiniens n’existe pas à ses yeux.

L’analyste israélien se base sur les drames confessionnels du mois de ramadan et de cet été pour justifier la division de la Syrie. Il rappelle qu’Al-Charaa a promis que sous son règne l’État syrien s’engage à protéger toutes les minorités et communautés du pays sauf que ses actions et celles de son régime prouvent le contraire. En mars dernier, des forces liées au régime ont tué des Alaouites dans la région côtière syrienne de Lattaquié. Quelques mois plus tard, en juillet, des membres de tribus bédouines et d’autres forces fidèles à Al-Charaa ont brutalement assassiné des centaines de Druzes dans la province syrienne de Soueida. Et tout récemment, des musulmans alaouites ont été chassés de leurs foyers à Damas.

Shvili considère que le président Trump fait fausse route en soutenant le nouveau dirigeant syrien, Ahmed Al-Charaa, qu’il qualifie de terroriste islamiste dont la tête était mise à prix de 10 millions de dollars jusqu’en décembre dernier. Ce qui est vrai, mais les choses se présentent désormais différemment dans le pays.

Les drames confessionnels

Cependant, et malgré ces atrocités, toutes les minorités syriennes ont exprimé leur volonté de rester au sein du pays. Elles demandent simplement une certaine autonomie pour gouverner leurs propres communautés et ne pas être soumises à la tyrannie de la majorité arabe sunnite syrienne. Mais Al-Charaa refuse d’envisager toute possibilité d’autonomie régionale pour les minorités syriennes et insiste sur la création d’un État syrien unitaire. L’administration Trump partage cet avis et son envoyé spécial pour la Syrie, Tom Barrack, a déclaré qu’il devait y avoir «une nation, un peuple, une armée, une Syrie».

Sans ciller, Shvili s’interroge: «Pourquoi les États-Unis insistent-ils ridiculement sur le maintien de l’intégrité territoriale d’un pays qui n’aurait jamais dû être créé ?»

Il convoque l’Histoire et veut instrumentaliser l’échec des accords franco-britanniques de Sykes-Picot pour justifier la partition de la Syrie. Il estime qu’après la Première Guerre mondiale, les puissances alliées victorieuses qui décidèrent de se partager le butin de l’Empire ottoman vaincu au Moyen-Orient ont tracé des frontières arbitraires au mépris des aspirations des différents peuples de la région. C’est ainsi que naquirent la Syrie et une grande partie du Moyen-Orient actuel. Résultat : un siècle de conflits longs et sanglants entre groupes ethniques et religieux rivaux.

Shvili, oubliant – ou feignant d’oublier –  qu’Israël lui-même est né de cet imbroglio géostratégique provoqué par la Grande-Bretagne, prétend vouloir mettre fin à ce cercle «vicieux de conflits» et réparer l’injustice commise contre les peuples du Moyen-Orient par les puissances coloniales occidentales il y a un siècle.

Dans le cas de la Syrie, cela signifie accorder aux différents groupes ethniques du pays le droit à l’autodétermination et déconstruire l’État syrien dans son intégralité et le remplacer par des États distincts pour les Alaouites, les Druzes, les Arabes sunnites, les Chrétiens et les Kurdes. Il estime que c’est la seule option pour les minorités syriennes d’obtenir ou de conserver leur autonomie car Al-Charaa refuse toute forme de décentralisation.

Des groupes géographiquement concentrés

L’Israélien considère que la partition est facile car tous ces groupes sont géographiquement concentrés : les Alaouites à Lattaquié, les Kurdes au Rojava (nord et nord-est de la Syrie), les Druzes à Soueida, les chrétiens à Wadi al-Nasara (vallée des chrétiens) et les Arabes sunnites dans le reste de la Syrie actuelle. La définition des frontières de ces nouveaux États ne devrait donc pas poser trop de difficultés.*

La difficulté, en revanche, sera d’assurer la viabilité des États nouvellement indépendants. Lattaquié, Wadi Al-Nasara et Soueida disposent de peu de ressources naturelles et ces deux derniers sont peu peuplés. Le Rojava, doté de ressources naturelles et d’une population importantes, est enclavé et confronté à un puissant «ennemi», la Turquie, qui rejette l’idée qu’une partie du Kurdistan obtienne son indépendance. Wadi Al-Nasara et Soueida sont également enclavés, tout comme le sera le nouvel État arabe sunnite.

Selon l’apprenti sorcier israélien, tous ces nouveaux États auront besoin d’une aide extérieure pour garantir leur indépendance. Le nouvel État arabe sunnite peut probablement compter sur un soutien important de la part des autres États arabes sunnites et de la Turquie. Lattaquié peut compter sur le soutien de la Russie car elle abrite encore des bases aériennes et navales russes vitales.

Israël, selon lui, aidera certainement les Druzes de Soueida à maintenir leur sécurité et à développer leur économie rappelant que l’État a déjà pris des mesures contre les forces d’Al-Charaa afin de protéger les Druzes de nouvelles atrocités. Il estime qu’il serait également avantageux pour Israël de s’assurer de nouveaux alliés en aidant les nouveaux États de Wadi Al-Nasara, de Lattaquié et surtout du Rojava car Israël et les Kurdes ayant une longue histoire d’amitié.

En réalité, le soutien israélien au Rojava pourrait s’avérer nécessaire car la Turquie recourra très certainement à la force militaire pour empêcher cette région désormais semi-autonome d’accéder à l’indépendance, à moins qu’une autre puissance régionale, comme Israël, ne s’engage à la défendre. En effet, la Turquie et son mandataire, l’Armée nationale syrienne, occupent déjà de vastes zones du nord et du nord-est de la Syrie. De plus, rien ne garantit que les troupes américaines actuellement stationnées au Rojava y resteront. Le président Trump a déjà réduit leurs effectifs et souhaite, à terme, le départ de toutes les troupes américaines de la zone. Israël peut conclure une alliance stratégiquement très avantageuse avec le Rojava en armant ses forces et en garantissant sa sécurité face à la Turquie et au groupe État islamique (EI).

Un plaidoyer pour la partition

Shvili estime, à la fin de son plaidoyer pour la partition, que ni le Rojava ni aucune partie de la Syrie actuelle n’ont la moindre chance de prospérer s’ils sont contraints de rester au sein du même pays. De son point de vue, en insistant sur le maintien de l’unité syrienne, les États-Unis et leurs alliés condamneront son peuple à de nombreuses années supplémentaires de tyrannie et de massacres. «Le président Trump a toujours affirmé son ambition de voir naître un Moyen-Orient nouveau et plus prospère. Il peut commencer par permettre et encourager les peuples de l’actuelle République arabe syrienne à rechercher l’autodétermination dans leurs propres États indépendants», conclut l’analyste israélien.

En voyant avec quelle certitude Jason Shvili appelle à la partition de la Syrie en cinq États qui plus est, dans un journal très proche du pouvoir israélien et en constatant avec quelle arrogance Benjamin Netanyahu ne cesse d’affirmer qu’il redessine le Moyen-Orient depuis le 7 octobre 2023, cette volonté de faire éclater la Syrie doit être prise très au sérieux surtout que depuis l’effondrement du défunt Axe de la résistance, Israël est complètement désinhibé et s’adonne à la domination et à la prédation sans se soucier de rien du tout.

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