Le président américain a menacé de lancer des attaques ciblées au Nigeria en réponse à ce qu’il a qualifié d’«horrible massacre de chrétiens» suite à des informations faisant état de dizaines de civils tués lors d’attaques attribuées à des groupes armés dans le nord du pays. Encore une fois, Donald Trump applique aux relations internationales les méthodes des gangsters du Queens, quartier où il a grandi, et de la prédation immobilière de Manhattan, quartier où il a construit sa Trump Tower et un certain nombre de ses immeubles.
Imed Bahri
Ces accusations portées contre le Nigeria, l’un des pays les plus importants d’Afrique, sont à la fois un mélange de désinformation, de mauvaise foi et de la récupération politicienne.
Tout d’abord, ce sont des groupes djihadistes et à leur tête Boko Haram qui conduisent ces massacres. Ensuite, ils attaquent aussi bien les musulmans que les chrétiens ce qu’occulte sciemment le président américain car il veut donner une dimension de guerre religieuse à la question. Et puis, il n’est pas loin de penser qu’un musulman de moins, c’est toujours bon à prendre.
Également, le gouvernement nigérian, comme beaucoup d’États africains, est confronté au fléau djihadiste et mérite d’être soutenu et non pas culpabilisé et voué aux gémonies.
Trump attise la guerre de religions
Toutefois, tout cela n’a pas d’importance pour M. Trump. Les Évangéliques qui sont son socle électoral le plus solide veulent présenter la chose comme «génocide contre les chrétiens», il surfe sur la vague et fait de la récupération politicienne et tant pis si la vérité est dévoyée.
The Times rapporte que les menaces du président américain d’envoyer des troupes au Nigeria ont provoqué un tollé et qu’il a en fait cédé à la pression de son électorat évangélique qui réclame la protection des chrétiens contre ce qu’il qualifie de «persécution religieuse».
Le magazine britannique indique que cette nouvelle mesure fait suite à l’assassinat du militant conservateur et grande figure évangélique Charlie Kirk dont les campagnes étaient axées sur ce qu’il considérait comme un «génocide des chrétiens» au Nigeria. Ce sujet était son cheval de bataille. Kirk s’appuyait sur des chiffres controversés faisant état de 125 000 chrétiens tués et de 19 000 églises détruites en 15 ans.
Le Times souligne toutefois que, si la source de ces chiffres demeure incertaine, ils ont été largement repris par d’autres membres du mouvement Make America Great Again (Maga).
Dans un message publié samedi dernier sur sa plateforme de médias sociaux Truth Social, Trump a déclaré avoir ordonné au Pentagone de commencer à planifier une action militaire «rapide et décisive» et avertissant qu’il couperait toute aide et tout soutien américains au Nigeria si son gouvernement ne prenait pas de mesures immédiates pour mettre fin à ce qu’il a qualifié de «massacres de chrétiens».
Le Times rapporte que le président américain, s’exprimant depuis Air Force One le lendemain, a réitéré son intention d’intervenir militairement, décrivant le Nigeria comme un «pays de la honte», ajoutant que l’intervention pourrait inclure l’envoi de troupes ou le lancement de frappes aériennes.
Selon le même journal, ces menaces feraient suite à des déclarations faites vendredi dernier, dans lesquelles il affirmait que «le christianisme est confronté à une menace existentielle au Nigeria» et que «les extrémistes islamistes sont responsables de ces massacres».
Le gouvernement nigérian, qui essayait de ménager Trump, a répondu qu’il accueillait favorablement le soutien américain à condition que sa souveraineté soit respectée, affirmant que les déclarations de Trump sont perçues davantage comme de la rhétorique politique que comme une menace réelle. Le président nigérian Bula Tinbo a expliqué que son pays défend la liberté de croyance et la tolérance religieuse et refuse d’être qualifié de nation intolérante.
Plus de musulmans tués que de chrétiens
Les propos de Trump ont été accompagnés d’une campagne de soutien menée par des personnalités religieuses influentes de son entourage, telles que la révérende Paula White et le vice-président J.-D. Vance, tandis que le révérend Franklin Graham -fils de Billy Graham qui était surnommé le Pape des Évangéliques- qualifiait la situation au Nigeria de «génocide contre les chrétiens».
À l’inverse, le journal britannique rapporte que des données américaines indépendantes indiquent que les violences au Nigeria sont complexes et multiformes et que leurs victimes appartiennent à diverses religions. Plus de 20 000 personnes ont été tuées depuis 2020, musulmans et chrétiens.
Pour sa part, Olajumuke Oyandele, universitaire au Centre des affaires mondiales de l’Université de New York, a averti que se focaliser sur l’identité religieuse ou ethnique des victimes pourrait aggraver la crise, soulignant que «ce à quoi nous assistons, ce sont des massacres qui ne ciblent aucun groupe en particulier».
The Times note que les relations entre les deux pays se sont tendues cette année après que le Nigéria a rejeté les pressions américaines sur les nations africaines pour qu’elles acceptent les prisonniers expulsés des États-Unis, tandis que des pays comme l’Ouganda et le petit royaume d’Eswatini ont accepté de le faire.
Il a rapporté que la position de Trump semble contredire celle de son conseiller pour les affaires arabes et africaines, Massad Boulos, qui a déclaré aux médias nigérians le mois dernier que «Boko Haram et l’État islamique tuent plus de musulmans que de chrétiens», ajoutant que «la souffrance touche tout le monde, quelles que soient ses origines».



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