L’Espérance sportive de Tunis (EST) s’est séparée de Khaled Ben Yahia. Le technicien paye, à première vue, la mauvaise série des «Sang et Or», avec trois matchs sans victoire dont une défaite sèche sur le terrain du Club sportif Sfaxien (CSS, 0-2), en Ligue 1. Mais le problème n’est pas Ben Yahia…
Par Hassen Mzoughi
À moins de deux semaines de la demi-finale retour de la Ligue des Champions d’Afrique, contre Primeiro de Augosto, ce changement précipité prend l’allure d’un saut dans l’inconnu.
Comme en 2015, lorsque le président Hamdi Meddeb avait remercié le même Ben Yahia avant de rater, sous la conduite du Portugais Jose Morais, et le titre de champion, pourtant à la portée, et la qualification pour les quarts de finales de la Ligue des champions.
Quatre appels et autant de renvois en 20 ans
D’abord, un constat : entre 1997 et 2018, soit à peu près vingt ans, l’Espérance aura fait appel quatre fois à Khaled Ben Yahia pour lui confier l’équipe première. Ce qui frappe en premier lieu, c’est la durée de son passage qui, à chaque fois, ne dépasse pas la saison. Illustration : en 1997, Slim Chiboub n’avait pas souhaité le garder plus de 6 mois; en 2006, Aziz Zouhir s’était résolu, sous la pression, à une séparation malgré le doublé la même année; en 2015, Hamdi Meddeb s’était trouvé contraint à le remercier au bout de sept mois avant de rater le titre national et une élimination dès le tournoi de groupes de la Ligue des champions.
L’actuel président de l’Espérance s’est retourné vers l’ancien défenseur central de l’équipe de Tunisie, en janvier dernier, après le limogeage de Faouzi Benzarti. Il a inauguré ce 4e retour par un titre de champion de Tunisie, le 28e du club. Sept mois après son arrivée, il est remercié mais le parcours de l’EST n’est pas aussi catastrophique sous sa direction. Au contraire, on serait tenté de dire que Ben Yahia et son staff ont réalisé un miracle en qualifiant l’EST pour les demi-finales de la Ligue des champions avec un tel effectif handicapé par les blessures et la méforme des joueurs de base, sans renforts significatifs pendant le mercato d’été et une ambiance des plus exécrables.
Quant à l’échec en Coupe arabe, dont on a fait une histoire, rappelons que l’EST a abordé cette compétition dans un contexte malsain suite à la défaite contre Al Ahly, le 17 août, en match de Ligue des champions sans aucun enjeu. La défaite contre le CSS, elle, n’a aucune signification dans l’ordre des priorités de l’EST. Ce n’était qu’un match sans aucune incidence en tout début d’un long championnat.
Le prestige du joueur écrase l’entraîneur
Ben Yahia a toujours été la cible privilégiée d’une bonne frange de «tarajistes», y compris de dirigeants et anciens joueurs. Ses courts passages sur le banc technique de l’EST pourraient s’expliquer d’abord par une défiance à son égard au sein de son «Taraji», malgré sa brillante carrière de joueur et ses résultats satisfaisants comme entraîneur au club. Son profil de technicien, pouvant convaincre par des mots simples et des arguments forts, demeure tout de même flou auprès des dirigeants, des supporteurs et des observateurs.
Ben Yahia se plaît à s’afficher comme le grand défenseur des valeurs du club, parle toujours de la pression qui pèse sur lui et les joueurs, du poids du résultat et de la difficulté de la tâche. Tout cela est archi connu. Tout le monde attend plus de lui : qu’il mette une fois pour toute le costume du technicien, de l’entraîneur. Ben Yahia a-t-il été vraiment exigeant par exemple auprès de la direction du club, pour consolider son effectif et combler les défaillances de l’équipe? Tous les entraîneurs s’assurent du potentiel humain avant de s’engager surtout avec un club de titres. Pourquoi a-t-il utilisé des joueurs saturés ? Pourquoi a-t-il hésité à toucher des «noms» qui n’étaient pas compétitifs? Craignait-il d’écorcher la susceptibilité de quelques dirigeants et autres personnes qui tournent autour du président?…
La campagne de déstabilisation du coach ne date pas de la défaite devant Al Ahly. En 2006 et en 2015, Ben Yahia avait connu la même cabale. «Il n’a pas l’étoffe pour entraîner l’EST», dit-on souvent et c’est l’opinion répandue, malheureusement pour lui, dans son propre club.
Le prestige de l’ancien capitaine du club écrase l’homme devenu entraîneur. À l’évidence, Ben Yahia n’est pas «assimilé» à un entraîneur à part entière et de surcroît de l’EST!
Il est parti de son gré, c’est certain, parce qu’il voulait rompre avec une situation tout à fait ambiguë et insupportable. Il ne pouvait plus, d’abord, accepter de rester un entraîneur en sursis la veille et au lendemain de chaque match. Ensuite, il avait compris qu’il n’était pas assez soutenu par le président du club, pour exercer dans un minimum de calme. Le comble, il y en a parmi ses détracteurs qui sont écoutés par le président du club, sans avoir jamais brillé par leurs bons conseils : des magouilleurs qui ne savent que colporter les ragots et les rumeurs dans les coulisses.
A travers Khaled Ben Yahia, c’est Hamdi Meddeb qui est visé.
Le président du club est lui aussi visé !
Cette «campagne» de déstabilisation n’épargne personne. L’année dernière, il y avait une extrême tension à la veille du quart de finale de la Ligue des champions contre Al Ahly. On avait mis tellement la pression sur les joueurs et Faouzi Benzarti que l’échec était déjà annoncé. Le jour J, on a vu des joueurs bloqués, pris par une peur bleue. Sans s’en rendre compte, presque tout le monde dans la maison Espérance avait participé à cette déroute, qu’on avait essayé de camoufler en limogeant le coach et en annonçant la démission (la énième et toujours fictive) du président. Les dirigeants n’ont pas retenu la leçon. Ce qui se passe maintenant, c’est le simple remake d’une mascarade qui aura trop duré et dont les acteurs sont toujours les mêmes et toujours là.
Cette fois, le timing est étonnant : en plein entre les manches aller et retour des demi-finales de la Ligue des champions! On répète la même erreur tactique. Mais a-t-on rendu service à l’EST en écartant Ben Yahia, juste à quelques jours du plus grand rendez-vous pour le club, au moment où il s’apprête à fêter son centenaire? A-t-on réglé les problèmes techniques avant de chercher la solution de facilité : faire taire les opposants en «sacrifiant» l’entraîneur?
Le président du club a toujours préféré «calmer le jeu». Mais lui aussi – et surtout lui – n’est pas à l’abri des «coups». Ben Yahia n’est finalement que le maillon faible de la chaîne. Le premier visé c’est lui et il le sait. Dans la jungle qu’est devenu le football tunisien, toutes les récupérations sont possibles. Le danger, la catastrophe, c’est quand des pseudos «administrateurs», politiquement et financièrement intéressés, arrivent à «récupérer» les clubs populaires, après avoir mis leur grappin sur des clubs dits mineurs notamment dans le Sud.
En d’autres termes, Hamdi Meddeb et les «Tarajistes» laissent involontairement jouer les dénigreurs. Et quand la zizanie s’installe, bonjour les dégâts. On l’a vu l’année dernière, avec l’échec en Ligue des champions et en Coupe de Tunisie. Le club a toujours besoin de sérénité pour rester fort, éliminer les obstacles et faire avancer son projet sportif. Le président et ses collaborateurs devraient se faire entendre et oser mettre les brebis galeuses à leur place, au lieu de laisser la voie libre devant leurs propres adversaires. Car certaines décisions, prises dans la panique et sous la pression, s’apparentent à un suicide annoncé. Espérons que le départ de Ben Yahia n’aura pas de conséquences fâcheuses pour le grand club de la capitale.
Eviter la confusion des objectifs
L’Espérance doit rester à la fois sur le qui vive et lucide, notamment face à ses obligations sportives. Dans ce contexte, tous les objectifs sont importants. La Ligue des champions certes, le championnat et la coupe de Tunisie aussi. La confusion des objectifs n’a jamais servi nos clubs ni encore l’équipe de Tunisie.
Au-delà de la question du coach, il existe à l’EST un problème profond : celui de la gestion des objectifs. Certes la Ligue des champions est importante mais elle n’est pas le seul objectif. L’échec des recrutements et la valse invraisemblable des coaches (une vingtaine se sont succédé pendant les dix années de présidence de Hamdi Meddeb) en sont la preuve. Les dirigeants espérantistes semblent se fier aux titres nationaux remportés sans réelle opposition dans un championnat faible, pour croire rivaliser avec les ténors africains et rééditer les exploits de 1994 et 2011. C’est leur tort.
Prétendre à la Ligue des champions implique une stratégie de travail à part, un potentiel technique et physique adéquat et inévitablement des parties prenantes prêtes à agir dans la direction de l’objectif fixé. Pour être objectif, l’équipe de l’EST, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle, avec ses manques et ses tares, devra réaliser un miracle pour monter sur la plus haute marche du podium africain ? Et, en football, il y a de moins en moins de place pour les miracles, toute la place est pour la planification et l’organisation rigoureuses.
L’EST est un club qui vit à l’excès ses bonheurs et ses doutes. Il s’impose une lourde angoisse et s’installe dans une panique permanente. Il laisse apparaître une grosse fragilité qui tranche avec son statut de solide club historique. Parfois à ses dépens et le plus souvent aux dépens des patrons techniques!
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