«Rien n’a changé» à Sidi Bouzid l Le printemps trahi

Nous reproduisons ci-dessous la traduction du reportage signé par l’envoyée spéciale de l’agence publique italienne Ansamed, sur la célébration des événements du 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, berceau de ce qui sera appelé Révolution tunisienne et déclenchera le Printemps arabe de 2011. 15 ans après le sacrifice de Bouazizi, la désillusion persiste dans la ville tunisienne. (Ph. Des parents de Mohamed Bouazizi se recueillent sur sa tombe.)

Valentina Brini

À Sidi Bouzid également, l’artère principale porte le nom du premier président tunisien.

L’avenue Habib Bourguiba, large et rectiligne, s’étend sur environ 265 kilomètres depuis la capitale, loin de la mer et des circuits touristiques.

Des cafés bordent les façades basses et défraîchies, avec leurs chaises en plastique. Des hommes, accoudés aux tables, semblent contempler le temps qui s’écoule. Gravé sur la façade de la poste, le visage de Mohamed Bouazizi se dresse à quelques dizaines de mètres du commissariat. Aucune plaque ne le commémore, mais chacun sait où regarder.

Une saison de trahison

Le 17 décembre 2010, ce vendeur ambulant de vingt-cinq ans – Basboosa, son surnom – s’est immolé par le feu après une nouvelle humiliation de la part des autorités locales, allumant la mèche d’un incendie qui a embrasé le monde arabe tout entier. Quinze ans plus tard, ce printemps résonne comme une saison de trahison.

«Rien n’a changé» déclare Abdelkader Moussa, 58 ans, marié et père de deux enfants. Ses paroles sont sèches, sans emphase ni colère. Sidi Bouzid, observe-t-il, «continue de souffrir des mêmes maux qu’avant 2010 : érosion du pouvoir d’achat, coût de la vie toujours plus élevé, revenus en berne.» Il secoue légèrement la tête et s’éloigne sur l’avenue, engloutie par la nuit.

Dans les commerces du quartier, parmi des étagères de fortune et des réfrigérateurs qui bourdonnent sans cesse, de petits drapeaux canadiens apparaissent à côté des prix écrits au marqueur. C’est là que la famille Bouazizi a choisi l’exil. Même l’âme de celui qui est devenu le symbole de la Révolution du Jasmin a laissé derrière elle un pays – et une ville – perçus comme invivables : une économie écrasée par une dette publique avoisinant les 80 % du PIB, un climat de suspicion et de surveillance où la corruption demeure un fléau, et peu de perspectives d’emploi. L’arrivée de la saison des olives devrait ramener des emplois et un peu de répit. Il y a plutôt la crainte d’une issue inéluctable, avec des conséquences dévastatrices pour les familles déjà en difficulté.

Parmi des caisses de dattes, de bananes et de légumes, Charfeddine Hamda, 42 ans, exerce le même métier que Bouazizi. Son quotidien, explique-t-il, est marqué par la même étouffante atmosphère : contrôles incessants, restrictions arbitraires, routes barrées. Les forces de l’ordre l’empêchent de travailler là où passent les clients ; il n’a pas sa place sur les marchés publics. «Ma vie est en suspens, j’attends toujours une amélioration qui ne vient jamais», se lamente-t-il. «Les véritables revendications de la révolution n’ont jamais été satisfaites», affirme-t-il.

À côté de la charrette de Bouazizi – un autel profane érigé sur un socle de pierre à quelques pas de la fresque – se côtoient les récits du présent. Deux roues robustes, des essieux bruts, une structure réduite à l’essentiel, et, sur le côté, une inscription arabe noire : «Je ne pardonne pas, je n’oublie pas.»

Quinze ans plus tard, une immense déception

Ichrak, 46 ans, originaire de Sabbala et mère de quatre enfants vivant avec son père à Sousse, marche d’un pas vif. Après son divorce, elle a repris ses études universitaires pour s’occuper l’esprit et ne pas se laisser abattre par une réalité qu’elle juge «plus dure qu’avant». Elle s’attendait à ce que la révolution apporte des droits sociaux, des emplois, et même des loisirs aux jeunes de Sidi Bouzid. «Quinze ans plus tard, c’est une immense déception», dit-elle, même si elle espère que «les choses s’amélioreront avec le temps».

Un peu plus loin, un chauffeur de taxi attend pour partir vers le nord, en direction d’Hammamet. Avant de démarrer, il se résigne : «C’était mieux avant, quand Ben Ali était au pouvoir», songe-t-il, évoquant également «son grand ami Bettino Craxi». De son point de vue – assis sur un siège en cuir usé – la comparaison avec le gouvernement de Kaïs Saïed est frappante : «Les routes étaient mieux entretenues, la Tunisie était plus sûre et les ressources étaient accessibles à tous.»

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