Abdelfattah Sissi/Rached Ghannouchi/Béji Caïd Essebsi.
Les islamistes d’Ennahdha considèrent les soldats en Egypte comme des mécréants au service du «Taghout», méritant d’être tués, et les soldats tunisiens qui tombent dans les affrontements avec les terroristes, à Chaambi et ailleurs, comme «chahid» et héros de la nation. Cherchez l’erreur !
Par Mounir Hanablia *
Il y a quelques jours des jeunes ont été condamnés à mort en Egypte et exécutés pour l’assassinat d’un procureur de la République. Il s’agit là d’une affaire intérieure à ce pays et évidemment les défenseurs des droits de l’Homme et des Libertés ne manqueront pas de s’offusquer que le respect de la vie humaine tarde à s’imposer dans les pays arabes ou musulmans. Les racistes de tous poils et les sionistes à travers le monde y trouveront l’occasion de l’imputer à la tare selon eux congénitale d’une culture basée sur la loi du sabre et du talion et de justifier la politique d’agression ouverte que leurs pays mènent depuis deux décennies du Mali en Afghanistan, en passant par la Libye, la Syrie, et le Yémen.
C’est là un aspect de la question, dont cet article ne traitera pas. En revanche, le rapport à la Tunisie en est évidemment constitué par l’attitude d’un parti politique local, qui est membre de la coalition gouvernementale et qui s’est néanmoins publiquement exprimé sur cette affaire. Il a qualifié le procès de simulacre de justice, et il a bien sûr rappelé que le général Abdelfattah Al Sissi, la bête noire du parti Ennahdha, avait illégalement renversé un gouvernement démocratiquement élu, celui du «frère musulman» Mohamed Morsi, pour instaurer une véritable dictature.
Le camp de l’islam contre celui du pharaon
Selon la version circulant sur la chaîne qatarie Al Jazeera, les aveux des prévenus avaient été arrachés sous la torture. Pour tout résumer, selon la Ennahdha, les jeunes, exécutés, n’étaient que des combattants de la liberté qui ont succombé en luttant contre un tyran.
Pourtant, au Yémen, et en Syrie, tous les jours des milliers de personnes tombent victimes de la folie meurtrière, mais apparemment, l’évoquer n’est pas politiquement rentable, même si le Coran défend formellement aux musulmans de tuer d’autres musulmans. Mais s’agit-il de la même terminologie qui a été diffusée par le biais des canaux internes du parti aux militants de la base, pour exprimer cette position?
Le terme habituel pour qualifier un despote dans la terminologie des Frères musulmans, réinterprétée à partir du Coran, est celui de pharaon, qui avait été utilisé par les assassins du président Anouar Sadate en 1981, et on peut d’autant plus penser qu’il l’a opportunément été contre le général Al Sissi, que celui-ci gouverne bien sûr l’Egypte, et que l’ex-président Mohamed Morsi, aujourd’hui emprisonné et condamné à mort, appartient à la même obédience politique que le cheikh Rached Ghannouchi.
Un autre terme habituel à ce genre d’affaires, quand il s’agit de militants islamistes exécutés ou morts au cours d’affrontements avec leurs adversaires est celui de «chahid», l’expression «tué sur le sentier de dieu» étant tout autant utilisée, afin d’une part de valoriser la cause pour laquelle ils se sont battus, qui est bien sûr celle de l’islam, et du parti politique qui prétend s’en inspirer, Ennahdha, et d’autre part de les situer immédiatement dans camp des «Ahl El Janna», les gens du paradis qui ont mérité après la mort la récompense suprême pour avoir sacrifié leurs vies.
Cette vision des choses situe donc un conflit politique contemporain entre deux camps opposés, dont l’enjeu est le pouvoir, dans une vision manichéenne où les forces du bien, celles du camp de Dieu, de l’islam, affrontent dans une guerre jamais interrompue, celles du mal, de Satan, de l’apostasie, où les Frères Musulmans engagés dans une guérilla meurtrière contre le régime de Pharaon, endossent le rôle des Bani Israël, les élus de Dieu.
Là où le bât blesse, c’est que le général Al Sissi lui-même se considère comme un bon musulman en lutte contre des terroristes. Qu’à cela ne tienne! Selon l’histoire qui circule chez les partisans d’Ennahdha, les jeunes exécutés étaient innocents du crime qui leur était imputé. Mais si leurs partisans les ont considérés comme des martyrs, c’est qu’évidemment ils étaient bien engagés dans une quelconque lutte contre Pharaon.
La question demeure de savoir si cette lutte là était politique, ou bien si elle était armée, ce qui n’est pas du tout la même chose. Or si elle avait été politique, ces gens là auraient certainement été déjà emprisonnés, pour des écrits dans des journaux, des tracts, tués ou blessés dans la rue comme dans des manifestations de rue, des grèves, des rassemblements, toutes formes de protestations pacifiques, comme l’avaient été ceux de Rabaa, en 2013, dans un pays soumis à la loi martiale.
Au lieu de quoi, l’avocate Maya Ksouri par exemple, qui avait argué de la conception à double géométrie variable d’Ennahdha face à la peine de mort, a rapporté qu’une lettre adressée par l’un des condamnés à sa mère où il disait ne rien regretter, laissait penser qu’effectivement il assumait pleinement et en toute conscience la responsabilité de ses actes. Une thèse corroborée par le peu de cas que les organisations humanitaires, habituellement bruyantes quand il s’agit d’exécutions, ont fait de l’affaire, et l’opinion publique mondiale n’a pas été mobilisée; même si il faut admettre que depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, les droits de l’Homme n’occupent plus la même importance que sous Barack Obama.
Il y a donc une discordance manifeste entre le discours d’Ennahdha en traitant cette affaire, et la réalité des choses, et on peut penser qu’elle est issue d’une attitude volontaire et systématique qui la situe dans le déni.
Une vision dangereuse de la religion dans la société
Par exemple, pour en revenir à l’affaire de la Medersa de Regueb, la thèse diffusée dans l’opinion publique normale est qu’il s’agit d’une simple école coranique, que les enfants n’y ont jamais subi de sévices, et qu’il s’agit d’un scénario qui a été monté de toutes pièces dans un but électoraliste. Par contre, quand il s’agit des militants du parti ou de citoyens pieux, ce sont les mécréants qui en sont invoqués, dans le but de nuire à l’islam, ainsi qu’en a fait état le véritable anathème jeté en toute impunité contre le journaliste Hamza Belloumi sur Facebook.
Bien sûr, l’expression utilisée, ennemi de Dieu, récupérée du Coran, englobe tous les musulmans qui ont été occidentalisés au point d’oublier leur culture d’origine et leur foi, ainsi que continue d’en être accusé le président Bourguiba 20 an après sa mort, ou bien les croisés, les sionistes, et bien sûr, le peuple de Sodome et Gomorrhe. Mais le fait que des personnalités dignes de foi comme la juge Raoudha Laabidi aient confirmé la réalité de l’affaire telle que rapportée par les médias, sur les sévices et le conditionnement mental des enfants proche de celui pratiqué dans des medersas talibanes pakistanaises, tout comme l’ont fait certains députés, n’a en rien entamé la conviction ni les dénégations du camp islamiste et de ceux qui prennent sa défense.
Le soutien à ce genre de thèses, ne s’arrête pas au stade de ce qu’il faut bien admettre comme étant une propagande partisane. Le projet de réformes des lois sur les jardins d’enfants et les écoles censé s’opposer à l’avenir à des initiatives semblables à celles de Regueb, soumis depuis lors à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), est actuellement systématiquement torpillé, au nom de l’identité arabo islamique stipulée par la Constitution.
Ce que l’on empêche en agissant de la sorte, ce n’est pas l’interdiction de l’enseignement du Coran, ainsi qu’on veut le faire croire, mais toute opposition à sa récupération et sa réinterprétation dans un sens politique, contre ceux qui sont considérés comme des ennemis. Et en ce sens, le courant des Frères musulmans utilise bien la même argumentation récupérée en réinterprétant le Coran, que les salafistes jihadistes, c’est-à-dire que Daesh, argumentation qu’il défend au nom de l’islam, et dans une démocratie libérale parlementaire, de la liberté.
De quelle liberté pourrait-il s’agir lorsque l’enjeu du combat est l’instauration d’une société d’où toute contestation serait abolie, et dès lors que sa direction serait entourée d’une aura de sainteté supprimant tout sens critique face à ses mensonges?
La lutte des enfants d’Israël contre les exactions du Pharaon
Il ne s’agit là que d’un exemple parmi tant d’autres du rôle politique que joue Ennahdha dans la diffusion d’une vision particulière et néanmoins dangereuse de la religion dans la société, au point de défendre en son nom un certain type d’écoles, dont on a déjà constaté les effets dans un pays comme le Pakistan, où les terroristes n’hésitent plus à attaquer et à tuer les soldats, ainsi qu’ils le font d’ailleurs en Egypte. Mais ainsi qu’on l’a vu, ce ne sont là pour certains hélas que les aléas de la lutte des enfants d’Israël toujours innocents de tout crime et du côté de qui se tient le Seigneur des armées, contre les exactions du Pharaon.
Si donc les soldats en Egypte et au Pakistan sont considérés comme des mécréants au service du Pharaon ou du «Taghout», qui méritent d’être tués, il faudrait savoir par quel miracle ceux en Tunisie qui tombent dans les affrontements avec les terroristes, à Chaambi et ailleurs, se transforment dans le discours du parti Ennahdha, en héros de la nation, et «chahid». Quand nos gouvernants, cesseront-ils, enfin, de nous faire prendre les vessies pour des lanternes?
* Médecin de pratique libre, Gammarth, La Marsa.
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