Le politicien tunisien Kamel Jendoubi a exprimé, via un long post facebook, publié le 23 septembre 2019, son mécontentement des résultats préliminaires du premier tour de la présidentielle anticipée -qui ont qualifié Kaïs Saïed et Nabil Karoui au second tour- ainsi que des conditions dans lesquelles se déroule cette élection, en ce qui a trait aux «principes essentiels, d’équité et d’égalité de traitement entre candidats».
Par Cherif Ben Younès
L’ancien ministre chargé des Relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile et des Droits de l’homme (février 2015 – août 2016) a d’abord indiqué que le maintien de Nabil Karoui en détention préventive met gravement en cause l’intégrité et la sincérité de l’ensemble du processus électoral et peut plonger le pays dans une crise encore plus grave et plus périlleuse.
Eviter un blocage du système politique et une paralysie de l’Etat
Cela pourrait, en effet, selon M. Jendoubi, altérer la légitimité du candidat victorieux aux yeux du camp adverse. D’autant plus que l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), qui sortira des élections législatives, aura une configuration «telle qu’une crise de régime n’est pas à exclure» (du fait, essentiellement, de l’éparpillement très probable des votes entre les différents partis et courants politiques, ndlr). «Deux légitimités pourraient s’opposer frontalement bloquant tout le système et paralysant l’Etat et le pays», s’est-il alarmé.
L’ancien président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), en 2011, a, par ailleurs, regretté le fait qu’aucun des deux candidats qualifiés au second tour ne lui inspire confiance. «Aucun des deux ne me rassure sur l’intégrité de l’Etat et sa bonne conduite», a-t-il écrit.
Aucun des deux candidats ne mérite la magistrature suprême
«La vérité est que je ne les connais pas. […] Je me suis mis, comme beaucoup, à lire, à me documenter, à chercher à mieux comprendre ces deux personnages. Je n’ai pas appris grand-chose à l’exception des clichés et des préjugés. Car ces deux candidats, bien qu’ils soient connus du public, parfois pour leurs esclandres, sont peu diserts sur leurs visions et leurs projets. Leurs propositions sont floues et certaines dangereuses», a-t-il ajouté.
Le manque d’expérience, sur le plan politique, des deux prétendants à la magistrature suprême ne rassure pas non plus Kamel Jendoubi, selon qui cette responsabilité exige «certaines qualités éprouvées qu’aucun des deux candidats, a priori, n’a».
M. Jendoubi a, d’autre part, expliqué le contexte historique ayant amené les électeurs tunisiens à faire ce choix, au premier tour. Un choix résultant d’abord de «la gestion chaotique de la Troïka et de l’islam politique», entre 2011 et 2014, et ensuite de la perte de «l’espoir des réformes susceptibles de relever les défis de la pauvreté et des inégalités sociales, économiques et régionales, à l’origine de la révolution», suite à la deuxième réplique électorale (de 2014, ndlr) qui avait mis «les modernistes» au pouvoir.
«Le désarroi, la déception et le désenchantement sont à la base de la troisième réplique, d’une amplitude encore plus forte et plus déstabilisante : le rejet du « système » (partis et élites) dans le cadre d’un choix qui s’apparente à bien des égards à celui du désespoir et qui va donner lieu à un saut dans du « déjà connu » : nouvel affaiblissement de l’Etat, instabilité, désordre … autant d’éléments qui retarderont la prise à bras-le-corps des différents maux que connaît la Tunisie démocratique. Et faire sombrer cette expérience prometteuse», a-t-il continué de déplorer.
Le vote blanc s’impose ?
Malgré ce grand pessimisme, Kamel jendoubi refuse de s’abstenir de voter, lui qui a «tant milité pour que le vote et l’élection démocratique soient les modes de désignation de nos élus à tous les échelons et ceux du règlement pacifique de nos conflits». Son choix porte donc sur… le bulletin blanc ! Un choix porteur d’un message clair : «ce qui m’est proposé ne me convient pas et ne convient pas à mon pays». Quand bien même un tel vote ne sera pas comptabilisé parmi les voix exprimées.
«Le vote blanc est un vote actif et citoyen. Plus il est massif, plus le message sera entendu. Un message à partir duquel on peut reprendre l’action pour reconquérir la confiance des Tunisiens et des Tunisiennes, surtout les jeunes et les femmes, en un Etat protecteur et intègre, pour persévérer dans la défense et la promotion de l’égalité, de nos libertés individuelles et collectives, pour redonner la dignité à celles et à ceux qui, par manque de revenus, de travail, des soins ne font que survivre avec, à cœur, l’avenir de nos jeunes», a conclu M. Jendoubi.
Le vote blanc est certes un message politique poignant (même s’il n’impactera pas le résultat effectif de l’élection, car au final, celui qui récoltera le plus de voix sera président), mais pour que ce message symbolique soit transmis, il est important qu’il soit massif. Mobiliser ceux qui ne se reconnaissent pas dans les deux candidats, comme Kamel Jendoubi, autour de cette option, plutôt de ne pas aller voter ou d’opter pour le « vote utile », serait donc indispensable.
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