Les parrains du terrorisme condamnent les attaques de Paris. Cherchez l’erreur!
Dans la solidarité avec la France, exprimée au lendemain des attaques de Paris, se mêlent sans vergogne l’imposture, le mensonge et les rôles troubles.
Par Yassine Essid
Je suis Charlie, je suis Bardo, je suis Sousse, je suis Charm El-Cheikh, je suis Ankara, je suis Beyrouth, je suis Paris, je suis Bamako… On peut ainsi enfiler ces volonté de survie énoncées comme un défi à cet imprévisible qu’enfante laborieusement et tristement le présent instantané et douloureux à chaque lendemain d’attentat.
Toutes ces revendications, d’une nouvelle substance pensante, se succèdent à un rythme de plus en plus fréquent finissant par perdre graduellement de leur impact et, à terme, leur pertinence par rapport à la géopolitique pour finir par n’être que de dramatiques balises dans la longue liste des carnages de plus en plus monstrueux mais dont la perception de leur dimension historique nous ferait défaut.
Des inégalités face à la mort
Chaque horreur nouvelle rougie par le sang chasse l’autre; chaque nouvelle frayeur nous fait oublier la précédente. L’émotion s’émousse par la durée dans les mémoires et fait oublier la terreur autrefois vécue par des populations meurtries.
Dans ce faisceau de violences multiples aux origines plurielles s’institue pour les médias internationaux une macabre hiérarchie dans la tragédie selon que les victimes sont anglaises, espagnoles, françaises, libanaises, irakiennes ou palestiniennes.
La violence perpétrée contre des citoyens d’un pays se réclamant de la civilisation occidentale semblerait émouvoir davantage que les opérations autrement plus meurtrières comme celles de Bombay ou de Gaza. Car aux frontières de l’Europe, la mort, comme celle que subissent chaque jour les Kurdes, les Irakiens, les Syriens, ainsi que les immigrés clandestins qui fuient les guerres et se noient en mer, n’est pas partout la même, ne porte pas le même visage, n’est pas censée être ressentie de la même façon. Sa nature relève, selon le cas, de la fragilité des hommes et de la vanité des réalités temporelles.
Face à la mort nous restons foncièrement inégaux. Quelle que soit notre volonté à nous adapter à la raison, à rattraper le progrès scientifique et technique et à agir conformément aux valeurs universelles qu’incarne l’Occident, nous continuerons d’apparaître face à la mort sans plus de consistance que l’ombre.
Le principe du kilomètre-macchabée
En matière d’information, les médias occidentaux ne réagissent pas selon des principes raisonnables inscrits dans la durée, mais selon l’affreuse logique du principe journalistique du kilomètre-macchabée. Car un mort à Paris intéresse davantage les téléspectateurs-voyeurs qu’une population entière décimée et un pays réduit en état de décombres par ces mêmes groupes qui ont frappé la capitale française. Ce phénomène se raffermit lorsqu’on compare les résonances des événements tragiques en Occident à ceux qui se déroulent au quotidien depuis des années ailleurs. Nous sommes en présence d’un phénomène qui, bien qu’affligeant ou sanglant, ne révolte pas grand monde. Ainsi, la barbarie qui sévit dans les pays lointains n’est après tout qu’une monstrueuse banalité quotidienne qui fait rarement débat, n’occupe que brièvement la Une des médias occidentaux, affecte superficiellement la perception de l’opinion publique occidentale sur la nature véritable des événements.
D’ailleurs, l’identité des assaillants de Paris ne représente pas une seule et même réalité puisqu’ils sont tantôt dénommés djihadistes, takfiristes, islamistes radicaux, tantôt jeunes endoctrinés, salafistes, ou wahhabites. Il arrive même qu’ils soient simplement qualifiés de «forcenés» lorsque leurs actes dépassent toute mesure dans leur folie meurtrière.
On ne dénoncera jamais assez le caractère superficiel du traitement journalistique de l’information en Occident du moment qu’on rechigne à aller au fond des choses. Sur ce principe, la mort attire mieux l’attention, et ses effets sont accentués par l’adjonction d’adjectifs signifiant l’inconsistance, l’irrationalité et attestent de la valeur des victimes occidentales. Or ce qui est valable pour la France devrait l’être pour tous les pays du monde. Car si ces actes terroristes sont barbares, dirigés contre un modèle de civilisation que nous sommes censés partager, alors tout le monde est affecté par tout ce qui se passe dans le monde et pas seulement en France.
On a assisté à des dizaines de débats censés éclairer les consciences. On a vu une horde d’experts, manipulateurs des consciences, intervenir sur cette affaire : responsables de la sécurité, officiers de réserve de l’armée, dirigeants d’instituts ou de fondations d’études stratégiques, géopoliticiens, juges, historiens du terrorisme, théologiens et imams musulmans.
Pressé de questions, chacun réagit à sa manière, mais tous restent dans leur très grande majorité enfermés dans une espèce de cercle vicieux du silence qui les empêche d’avancer dans l’analyse, de pointer du doigt les vrais ennemis.
L’origine des attentats? On la définit à travers la même rengaine de l’endoctrinement des jeunes candidats au jihad, le rôle d’internet, la circulation des armes, le désarroi identitaire, la faillite du système éducatif, les difficultés sociales et bien d’autres stéréotypes qui nous ramènent jamais aux vraies questions. Multipliant les clichés, politiciens et experts rechignent à désigner les vraies coupables. On a autrefois reproché aux manuels scolaires d’enseignement de l’histoire de n’être que l’exposé d’une série d’événements, de personnalités marquantes, de dates, des rois et des batailles, alors qu’ils devraient être indissolublement liés à d’autres logiques qui sont à l’œuvre. Dans le même ordre, les massacres de Paris ont fini par n’être qu’une série d’événements tragiques et non une thématique complexe.
L’évitement systématique des vraies causes
De là l’évitement systématique à dénoncer l’implication en amont des pays du Golfe et de l’Occident restée tout au long de ces causeries un sujet vicieusement tabou. Il n’est question que d’une nébuleuse, appelée Daech, un «Etat» terroriste formé de mercenaires organisés, immensément riche, avec un territoire qui ne cesse de gagner de l’espace et qui a décidé un jour de quitter son périmètre pour s’engager dans une nouvelle phase, en dirigeant cette fois sa force de frappe contre des objectifs situés à l’intérieur même des villes européennes par l’usage de bombes humaines.
La vérité est que depuis 1959, les Etats-Unis avaient été les premiers concepteurs du terrorisme international, engageant des mercenaires pour renverser le gouvernement du Guatemala, formant des exilés cubains pour l’invasion de la baie des Cochons, s’engageant au Nicaragua, au Salvador et ailleurs. La fin de la guerre froide fut un tournant dans leur stratégie. C’est alors la sécurisation des ressources pétrolières et de la sécurité d’Israël qui sont devenues leurs principaux objectifs.
Au lendemain des attentats de Paris, messages de solidarité et de compassion ont afflué de tous les chefs d’Etats étrangers. Des déclarations de soutien où se mêlent sans vergogne l’imposture, le mensonge, les larmes de crocodile, les rôles troubles, la confusion, la tromperie, le grotesque.
Après l’Afghanistan et l’Irak, les Etats-Unis se font encore fait passer pour une grande démocratie agissant pour la liberté et qui luttent contre le terrorisme.
La Turquie, membre de l’Otan, qui a fourni un énorme soutien autant logistique que militaire aux armées de Daech, qui fut longtemps critiquée pour son laxisme dans le contrôle de ses frontières avec la Syrie, est devenue par enchantement un allié stratégique de poids dans la lutte contre l’EI.
S’agissant du récent exemple de la bataille d’Idleb, les terroristes d’Al-Nosra qui font partie d’Al-Qaïda et les services du renseignement turcs, ont agi comme une seule et même armée.
Le royaume du mal grand acheteur d’armement
Facteur déterminant, le soutien financier fourni par l’Arabie saoudite et le Qatar. De ces monarchies pétrolières, parlons-en ! Elles ont été l’un des plus forts soutiens de l’EI dont les thèses s’inspirent directement de leur idéologie. Il est tout autant justifié d’ajouter que ceux qui arment les coupeurs de gorges sont essentiellement des Saoudiens, aujourd’hui les plus grands importateurs d’armes de la planète, qu’ils achètent surtout auprès des Américains, mais aussi de France et du Royaume-Uni. Il s’agit d’un royaume du mal qui n’a cessé d’organiser, financer et nourrir les enseignements rétrogrades à travers ses médias et autres moyens de propagande, de même qu’il constitue la principale source d’appui aux groupes extrémistes qui sévissent aujourd’hui en Irak, en Syrie et dans le reste du monde.
C’est donc avec une indécente hypocrisie que le roi d’Arabie a condamné les attentats de Paris les qualifiant de «violation de toute éthique, morale et religion», prônant une coopération internationale pour, dit-il, «éradiquer ce fléau dangereux et destructeur». Après la visite du chef de la CIA, John Brennan, en Arabie Saoudite, les Saoudiens avaient livré des missiles américains antichars et des munitions aux combattants du régime syrien. Des hélicoptères Apache américains avaient même été repérés escortant un convoi d’environ 200 véhicules Toyota armés de mitrailleuses appartenant à Daech, sur une route allant de l’Irak en Syrie pour combattre l’Etat de Bachar Al-Assad et y répandre le chaos.
La Syrie est à nos frontières
Quant à l’allié qatari, principal client de la bimbeloterie militaire de l’Occident industrialisé, qui investit massivement en Europe, dont le rôle dans l’avènement d’un jihad sans frontière est flagrant, il reste superbement sourd aux critiques, fournissant argent et armes à tous les groupes terroristes qui sévissent dans les pays du printemps arabe ainsi qu’aux différentes factions qui rêvent d’un califat mondial.
Pour les mouvements Ansâr Al-Dîn, celui d’Aqmi ainsi que le Mujao (jihad en Afrique de l’Ouest), l’aide financière du Qatar n’a jamais tari. Des officiers du renseignement soutiennent que la générosité du Qatar est sans égal sur le plan financier sans parler de la livraison d’armes au profit des jihadistes de Tunisie, d’Egypte et de Libye. Aujourd’hui, ce micro pays esclavagiste se permet de condamner «les attaques armées et les explosions qui sont contraires à tous les principes et valeurs morales et humanitaires».
Les opérations de Paris ont arraché les Occidentaux de leur torpeur. L’Irak et la Syrie, territoires jusque-là bien éloignés des pays d’Europe où l’espérance de vie est devenue une mesure du progrès, où explose la demande de produits dits «anti-âge», leur deviennent alors brusquement limitrophes. Il est alors dans l’ordre des choses que la mort, si souvent occultée, qui advient d’une manière aussi violente et brutale, leur paraît par conséquent injuste, absurde et cruelle.
Donnez votre avis