La stratégie économique pour sortir la Tunisie de la grave crise économique et sociale qu’elle traverse existe bel et bien mais ce qui manque c’est la compétence et le courage des hommes politiques pour la mettre en œuvre. Par ailleurs, le parlement très éparpillé actuel et la personnalité et le manque d’expérience des «trois présidents» qui sont censés conduire le bateau «Tunisie» vers le rivage n’incitent guère à l’optimisme.
Par Dr. Sadok Zerelli *
La situation de l’économie tunisienne, mesurée par trois indicateurs-clefs, est bien plus catastrophique que ne le laissent apparaître les statistiques officielles. En effet, la croissance économique, estimée par le taux de croissance du produit intérieur brut (officiellement +1,1% en 2019) est artificiellement gonflé par l’accroissement très important des salaires dans la fonction publique, arraché en 2019 par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) à coup de deux grèves générales et qui ne correspond pas à un accroissement de la production réelle ni de la productivité.
Si on estime la croissance économique par l’accroissement de la production intérieure brute (somme des valeurs ajoutées des biens et services marchands à l’exclusion des services administratifs), la croissance économique serait bien négative (elle est d’ailleurs de -3,5% pour le secteur industriel).
Quant au taux d’inflation (officiellement estimé à 6,6% en novembre 2019), il est basé sur l’indice des prix à la consommation (IPC) qui ne prend en compte que les prix des biens et services consommés par les ménages, pondérés par des poids arbitraires fixés par l’Institut national de la statistique (INS), à l’exclusion des prix des produits et services consommés par les entreprises.
Si on mesure l’inflation par le véritable indice d’inflation qui prend en compte l’évolution des prix de l’ensemble des biens et services produits par l’économie, pondérés par les quantités produites réelles et non pas par des poids arbitraires, à savoir le déflateur du PIB, elle serait de 10% en 2019.
Enfin, le taux de chômage (officiellement 15,2% en 2019) serait bien supérieur si on le corrige par l’intégration des femmes au foyer dans la population active et la marge d’erreur introduite pour le grand nombre d’ouvriers journaliers qui ne travaillent en fait que quelques jours par mois ou quelques mois par an. Il serait de 30% à 40% dans certaines régions et notamment parmi les jeunes, diplômés ou pas.
Les trois causes profondes de la crise économique tunisienne
L’analyse objective fondée sur les enseignements de la théorie économique, loin de toute considération de politique politicienne, fait apparaître trois causes profondes de cette pire situation dans laquelle peut se trouver une économie que les économistes qualifient de «stagflation» (stagnation de la croissance économique accompagnée par une forte et stable inflation) :
– une instabilité politique (pas moins de 8 gouvernements depuis 2011) et bureaucratie d’une administration minée par la corruption, qui font fuir les investisseurs;
– un modèle de croissance exogène tourné vers l’extérieur et dont les principaux instruments de relance échappent au contrôle des autorités nationales et qui a atteint ses limites sous l’effet de la mondialisation et de la compétition internationale;
– une politique monétaire erronée appliquée par la Banque centrale de Tunisie (BCT) sur recommandation des apôtres du «monétarisme» au sein du Fonds monétaire international (FMI).
En ce qui concerne ce denier point, force est de constater que les augmentions successives et à trois reprises en moins de deux ans du TMM (dont la dernière de 100 points d’un seul coup au mois de février/mars dernier) et la politique volontairement très restrictive appliquée par la BCT sur le marché monétaire ont asséché les liquidités dans l’économie, asphyxié les opérateurs économiques et engendré un «effet d’éviction» sur les investissements, sans réussir pour autant à réduire significativement l’inflation qui demeure trés élevée : 6,6% au mois de novembre 2019 contre 7,2% avant la dernière augmentation du TMM, soit à peine 60 points de baisse en presqu’une année.
Les raisons de cet échec cuisant dans la maîtrise de l’inflation sont à rechercher dans la nature «monétariste» de la politique monétaire menée par la BCT sur recommandation des adeptes de la théorie quantitative de la monnaie au sein du FMI.
Sans ennuyer le lecteur avec des considérations théoriques ni chercher à faire preuve d’étalage scientifique, il est important de rappeler que selon cette théorie qui ne fait pas l’unanimité parmi les économistes, il existe une équation quantitative de la monnaie appelée «équation de Cambridge», qui lie le niveau général des prix au niveau général de la production et à la masse monétaire en circulation 1, de sorte que pour un même niveau de production, toute augmentation de la masse monétaire en circulation engendrerait mécaniquement une hausse des prix (inflation) et inversement, toute baisse de la masse monétaire en circulation entraînerait une baisse des prix et de l’inflation. L’économiste américain, Milton Friedman, chef de file de cette école monétariste résume ainsi cette théorie : «L’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire en ce sens qu’elle est et qu’elle ne peut être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production».
Les trois principales sources de l’inflation
Les économistes keynésiens, dont Paul Samuelson et James Tobin qui ont reçu le Prix Nobel en économie pour leurs recherches sur ce sujet, contestent fortement cette théorie quantitative de la monnaie et considèrent que l’inflation enregistrée dans une économie est la résultante de trois sources ou trois types d’inflation :
– l’inflation importée due à la dépréciation de la monnaie locale : en Tunisie, elle serait la principale source d’inflation en raison de la grande ouverture de l’économie tunisienne sur l’extérieur (le volume des implorations et celui des exportations représentent près de 70% du PIB). L’augmentation du TMM n’aurait aucun impact sur cette source d’inflation car elle dépend de la parité du Dinar qui elle même dépend du déficit de la balance des paiements (déficit de la balance commerciale + transferts invisibles);
– l’inflation par la demande due à l’insuffisance de l’offre (production + importations) de biens et de service sur les marchés par rapport à la demande (intérieure et extérieure) et aux dysfonctionnements des circuits de distribution;
– l’inflation par l’offre due aux augmentations des coûts de productions des entreprises (salaires, énergie, matières premières, taux d’intérêts, etc.) qui se trouvent obligées de les répercuter sur leurs prix de vente. Les augmentations successives du TMM par la BCT que les banques commerciales ont répercuté automatiquement sur leurs taux d’intérêts débiteurs ont engendré un accroissement des coûts de financement des entreprises et ont donc contribué à alimenter ce type d’inflation.
Ds moyens plus efficaces pour faire baisser l’inflation
N’eussent été les pressions exercées par le FMI sur la BCT pour augmenter à plusieurs reprises le TMM et en supposant même que l’équation quantitative de la monnaie existe et fonctionne bel et bien, la BCT aurait pu atteindre le même objectif de réduction de la masse monétaire en circulation dans l’espoir de voir l’inflation baisser en jouant sur les trois instruments puissants de politique monétaire dont elle dispose, à savoir :
a. augmenter le taux de réserve obligatoire que les banques commerciales sont obligées de détenir : une augmentation de quelques points de celui-ci aurait, à travers le coefficient multiplicateur des crédits (égal à l’inverse du taux de réserve obligatoire), un impact très important sur le pouvoir de création monétaire des banques commerciales, première source d’accroissement de la masse monétaire en circulation, et réduirait donc significativement celle-ci;
b. ajuster les taux sectoriels d’encadrement des crédits qui obligent les banques à respecter certains ratios de distribution de leur portefeuille de créances pour les dissuader d’attribuer de crédits à la consommation à tel ou tel secteur économique sans pénaliser pour autant les crédits destinés aux investissements et à certains secteurs considérés comme vitaux pour l’économie (BTP, agriculture, industries exportatrices etc.);
c. recourir à la technique de l’open market qui permet à la BCT, par des interventions directes et quotidiennes sur le marché monétaire, d’« éponger » l’excès de liquidités ou d’injecter de nouvelles liquidités dans l’économie par la cession/rachat de titres financiers ou de bons du trésor aux banques commerciales.
C’est la technique d’intervention privilégiée des banques centrales dans les pays anglo-saxons qui sont passés maîtres dans l’art de juguler l’inflation et où les taux d’intérêt sont devenus presque nuls et même négatifs, comme c’est le cas actuellement au Danemark qui connait un boom économique et où le taux de chômage à baissé à 4,1% grâce à l’explosion de la demande des ménages de logements, voitures, biens électroménagers etc.
Il est clair que la manipulation de l’un ou l’autre de ces instruments de politique monétaire dont dispose la BCT, ou mieux encore, leur manipulation simultanée, aurait été de loin préférable à des augmentations continues du TMM par des décisions administratives «aveugles» qui ont pénalisé tous les opérateurs économiques, qu’ils soient consommateurs ou producteurs ou investisseurs, et tous les secteurs économiques, contribuant ainsi a renforcer la «stagflation».
L’indépendance de la BCT l’a déviée de sa vocation
En fait, depuis le vote irresponsable par le parlement de la loi instituant l’indépendance de la BCT en 2016, on assiste à une déviation de la vocation et de la mission de celle-ci, à savoir : en tant qu’Institut d’Emission, elle est la première responsable, à travers les banques commerciales qu’elle contrôle, de la mise à la disposition des agents économiques de suffisamment de liquidités pour financer l’activité économique et doper la croissance économique, ou du moins ne pas l’entraver, comme elle le fait depuis qu’elle applique sa propre politique monétaire sans même consulter le chef du gouvernent, ceci de l’aveu même de Marouane Abassi, gouverneur de la BCT.
L’abrogation de cette loi par le nouveau parlement est une priorité nationale car la politique économique est une et ses deux composantes budgétaire et monétaire doivent être coordonnées sous l’égide et la seule responsabilité du gouvernement.
L’autre cause fondamentale de l’état de stagflation dans lequel se trouve l’économie tunisienne depuis des années est l’essoufflement du modèle de croissance économique sur lequel elle repose. Ce modèle, illustré par la fameuse «loi 72», est basé sur la sous-traitance, une main d’œuvre bon marché et l’attrait des investissements directs étrangers (IDE) par des codes d’investissement très généreux en termes d’avantages fiscaux et douaniers, d’exonération de l’impôts sur les bénéfice, de réduction ou d’annulation de la TVA, etc., qui constituent autant de manque à gagner pour le budget de l’Etat.
Ce modèle de croissance, appliqué depuis l’époque de Ben Ali, a atteint ses limites sous l’effet des augmentations successives des salaires arrachées par l’UGTT à coup de grèves et de la concurrence acharnée que se livrent les pays émergents entre eux pour attirer les fameux IDE (Maroc, Turquie, Vietnam, Bengladesh, etc.).
Pour un modèle de croissance endogène tiré par la demande locale
L’alternative à ce modèle de croissance exogène, tiré par les exportations et tourné vers l’extérieur, est un modèle de croissance endogène tiré par la demande locale et tourné vers l’intérieur.
Cela revient à chercher à investir dans la valorisation des ressources locales (minières, agricoles et surtout humaines) et le développement des industries de substitution pour créer des emplois et réduire les importations et donc le déficit commercial et améliorer ainsi la parité du Dinar. Dans ce modèle qui repose sur la théorie de J.M. Keynes 2, la priorité est accordée à l’économie solidaire, au bien-être social et à lutte contre le chômage par rapport à l’objectif de lutte contre l’inflation qui est relégué au second plan. Il a été appliqué avec succès pendant 30 ans (1950-1980), que les économistes appellent avec nostalgie «les trente glorieuses», pendant lesquelles les pays européens ont connu une croissance et un plein emploi continus avec une inflation maîtrisable et même aux Etats-Unis sous la présidence de J.F. Kennedy et sur les conseils de P. Samuelson. Certains pays, en particulier les pays scandinaves, continuent à s’en inspirer jusqu’à aujourd’hui au niveau de leur politique budgétaire et fiscale.
L’idée essentielle à la base de ce modèle de croissance endogène est que tout accroissement des revenus distribués par l’Etat donne lieu à un accroissement multiple de la production nationale, aux «fuites» dues aux importations près. Cet effet multiplicateur 3 est d’autant plus important que les revenus supplémentaires distribués profitent aux ménages à faibles revenus qui auront tendance à en consommer la plus grande partie plutôt qu’aux ménages à revenus élevés qui auront tendance à en thésauriser une plus grande partie sous forme d’épargne «oisive», c’est-à-dire non injectée dans le circuit économique sous forme de consommation ou d’investissement.
À titre d’exemple, 100 Dinars de revenu supplémentaire distribué à un ménage pauvre qui en consommerait 80 Dinars donnera lieu à un accroissement de la production nationale de 500 Dinars (aux fuites dues aux importations près) alors que les mêmes 100 Dinars distribués à un ménage aisé qui n’en consommerait que 50 Dinars ne donnerait lieu qu’à 200 Dinars d’accroupissement de la production nationale (aux fuites dues aux importations près).
Six mesures de politique budgétaire et fiscale pour relancer la croissance
Les principales mesures de politique budgétaire et fiscale à prendre par l’Etat pour faire jouer au maximum l’effet du multiplicateur en vue de relancer la croissance économique sont :
a. lancer de grands chantiers dans chaque gouvernorat région du pays : entretien des infrastructures, reboisement pour lutter contre la désertification, protection de l’environnement, rénovation des écoles et hôpitaux, nettoyage de nos nos villes qui sont parmi les plus sales au monde et font honte à tout Tunisien qui sont parmi plus sales au monde, etc., en vue d’occuper les masses de chômeurs et leur distribuer des salaires qui auront un effet d’entraînement positif en termes de relance de l’économie, en attendant de leur trouver des emplois permanents lorsque la reprise sera confirmée.
b. distribuer des allocations de chômage aux chômeurs, qui ne peuvent être employés dans les chantiers, des indemnités pour les invalides, des bourses pour les étudiants, etc.;
c. augmenter sensiblement le Smig et le Smag;
d. appliquer une fiscalité directe progressive en instaurant des taux d’imposition nuls ou très faibles pour les ménages à faible revenu et de plus en plus élevés pour les plus riches (jusqu’à 70% pour les tranches de revenus les plus élevés – comme c’est le cas dans les pays scandinaves – au lieu de 35% actuellement en Tunisie);
e. appliquer des taux de la fiscalité indirecte (TVA) discriminatoires selon la nature des produits et services concernés : les augmenter significativement pour les services et produits de consommation de luxe ou relativement superflus (cigarettes, alcools, voiture de grosse cylindrée, etc.) et les réduire pour les produits et services de première nécessité;
f. instaurer de nouveaux impôts sur la fortune, les plus values immobilières, la spéculation foncière boursière, etc., pour intégrer l’épargne «oisive» dans le circuit économique et financer au moins en partie les dépenses supplémentaires de l’Etat.
Pour un retour de «l’Etat-Providence»
Une telle politique budgétaire expansive et solidaire, qui revient à restaurer «l’Etat-Providence» au lieu de «l’Etat-Gendarme» préconisé par les économistes néolibéraux qui règnent au FMI, que les Tunisiens ont bien connu sous le règne de Bourguiba avant l’arrivée de Hédi Nouira au pouvoir, ne serait entièrement efficace pour relancer l’économie que si elle est accompagnée par une politique relativement protectionniste, ce qui implique de rejeter les accords de libre échange complets et approfondis (Aleca) en cours de négociation avec l’Union européenne (UE). Donald Trump applique bien une politique protectionniste aux Etats-Unis, pays champion du libéralisme, alors pourquoi pas la Tunisie ne le ferait-elle pas?
Elle implique également de ne pas chercher à satisfaire le critère de Maastricht (déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB) qui ne concerne de toutes les façons pas la Tunisie, n’étant pas membre ou candidat à l’entrée à l’UE, mais que le gouvernement Chahed s’est évertué et si fier d’avoir presque atteint (déficit budgétaire fixé à 3,5% du PIB dans la loi de finances de 2020) et de ne pas considérer le déficit budgétaire comme un mal qu’il faut absolument combattre comme le préconisent les économistes monétaristes et leurs adaptes au FMI, mais comme un puissant instrument de relance économique et de lutte contre le chômage comme le préconisent les économistes keynésiens.
La question du financement du déficit budgétaire qui résulterait de cette politique budgétaire expansionniste peut être résolue par trois moyens à utiliser simultanément:
a) le lancement d’emprunts obligataires et l’émission de bons du trésor à des taux suffisamment attractifs en vue de collecter l’épargne intérieure. Celle-ci n’a jamais été aussi faible (7% du PIB contre 23% en 2010) en raison notamment d’un taux réel de rémunération de l’épargne négatif (taux créditeurs d’épargne inférieurs au taux d’inflation) qui n’encourage pas les agents économiques à épargner. Dans ce domaine, la BCT aurait été mieux avisée d’émettre une circulaire pour inciter les banques commerciales à augmenter leurs taux créditeurs de rémunération de l’épargne plutôt que d’augmenter le TMM, mesure qui a creusé davantage l’écart entre les taux créditeurs et débiteurs servis par les banques et a favorisé l’enrichissement des banques qui n’ont jamais fait autant de bénéfices;
b) le recours à un endettement extérieur plus grand : contrairement à ce que prétendent plusieurs «experts», la Tunisie dispose encore d’une marge d’endettement non négligeable qu’il faudrait exploiter pour sauver l’économie de la stagflation et donner du travail et de l’espoir aux centaines de milliers de chômeurs.
En effet, le niveau d’endettement actuel (environ 80% du PIB) est largement en-dessous du niveau d’endettement de certains pays riches qui ont su faire jouer ce que les spécialistes en finances des entreprise appellent «l’effet de levier» (le recours aux emprunts bancaires plutôt qu’aux fonds propres pour se développer) pour investir davantage et devenir plus développés. À tel enseigne que le Japon, un des les pays le plus riches au monde est celui qui est le plus endetté au monde : la dette publique y représente 234,7% du PIB. D’autres pays développés, comme l’Italie (132,5% -3e), le Portugal (126,2% -6e), la Belgique ( 106,7% -7e), Singapour (110,5% -8e), les USA (105,8% – 11e), la France (104,5% -17e) et Le Royaume-Uni (92,2% -19e), ou moins développés et de taille identique à celle de la Tunisie comme la Grèce (178,4%-2e), le Liban (139,5%), la Jordanie (91,7%) ou même la petite République du Cap-Vert (119,3%) ou celle de la Gambie ( 91,6%), montrent qu’en matière d’endettement public, ce qui compte ce n’est pas le volume de la dette ni son pourcentage par rapport au PIB, mais l’usage qui en est fait (dépenses de consommation ou d’investissement) et surtout la capacité du pays à générer suffisamment de croissance et donc de richesses pour rembourser sa dette;
c) le recours au mécanisme de la «planche à billets»: ce mécanisme, qui consiste à créer de la monnaie nouvelle en créditant le compte du Trésor public détenu à la BCT sans contreparties, est à éviter dans la mesure du possible car très inflationniste, mais comme le dit un proverbe : «à situation exceptionnelle des moyens exceptionnels».
En effet, quand dans un pays chaque semaine apporte son lot de jeunes qui se sont immolés par le feux ou dont les cadavres sont rejetés par la mer et de manifestants qui, aujourd’hui brûlent des pneus dans la rue mais qui pourraient demain brûler des édifices publics ou mêmes privés, les craintes inflationnistes des disciples du FMI au sein de la BCT, à commencer par le Gouverneur lui-même, doivent être balayées par un pouvoir politique fort qui doit choisir entre accepter plus d’inflation ou accepter de voir le pays sombrer dans le chaos et peut être même dans la guerre civile (Dieu nous en garde!).
La Tunisie trahie par le manque de courage de ses politiques
La conclusion à tirer de cette analyse, basée tant sur les enseignements de la théorie économique que sur l’expérience réussie de plusieurs pays (sans parler du Japon ou de l’Allemagne, mais même en Afrique où plusieurs pays font allègrement du 7% ou 8% de croissance annuelle: Kenya, Ethiopie, Rwanda, etc.) est que la stratégie économique pour sortir la Tunisie de la grave crise économique et sociale qu’elle traverse existe bel et bien mais que ce qui manque c’est la compétence et le courage des hommes politiques pour la mettre en œuvre. Dans ce domaine, le parlement très éparpillé issu des dernières élections législatives et la personnalité et manque d’expérience politique des «trois présidents» qui sont censés conduire le bateau «Tunisie» vers le rivage n’incitent guère à l’optimisme.
En effet, ni Rached Ghannouchi (un homme de religion qui a passé l’essentiel de sa vie en prison ou on exil et qui n’a jamais exercé aucune responsabilité politique ou même une profession), ni Kaïs Saïed (un juriste idéaliste qui attend que le peuple lui trace la voie à suivre et dont les discours populistes ne feront que faire fuir les quelques investisseurs potentiels), ni Habib Jemli (un technicien supérieur en agriculture qui a fait toute sa carrière administrative au sein de l’Office des Céréales et dont la seule référence est un mandat de secrétaire d’Etat à l’Agriculture dans le pire gouvernement qu’à connu la Tunisie, celui de la «Troïka») ne semblent maîtriser les fondements mêmes de l’économie et en comprendre les mécanismes de base. Pire encore, aucun d’entre eux n’a su s’entourer de groupes de réflexion (Think Thad) réunissant les meilleurs compétences et économistes du pays (il y en a) pour le conseiller sur la stratégie économique à suivre et la traduire en programmes opérationnels de gouvernement.
Face à l’incompétence et au manque de culture économique de la classe politique, aux discours démagogiques et populistes qu’on entend à gauche comme à droite et à des députés qui passent leur temps à s’insulter au parlement plutôt qu’à engager des débats de fonds sur la stratégie économique à suivre pour sortir le pays de la grave crise économique et sociale qu’il traverse, je ne peux personnellement, à part rédiger de tels articles qui iront dans les oreilles de sourds, que joindre ma voix à celle de si Lotfi M’raihi qui, bien que médecin de formation, est l’un des rares hommes politiques à avoir compris les défis économiques auxquels le pays est confronté et qui n’a fait qu’un seul commentaire à sa sortie de son entretien avec le chef de gouvernement désigné : «Que Dieu sauve la l’économie Tunisie!». D’où le titre de cet article.
* Economiste- consultant international.
Notes :
1) MxV = P×Y où :
Y désigne le niveau de la production,
P désigne le niveau général des prix,
M désigne la masse monétaire n circulation au sens le plus large, c.a.d M3 = monnaie fiduciaire (billets de banques) + monnaie scripturale (écritures aux crédits des compte bancaires) + titres financiers mobilisables à court terme : bons du trésor, SICAV, SICAF etc
V désigne la vitesse de circulation de la monnaie qui est supposée constante à court terme car elle dépend des habitudes de paiement.
2) Célèbre économiste Anglais qui a reçu le Prix Nobel d’économie et qui a été anoblit par la Reine d’Angleterre pour ses travaux de recherche qui ont permis aux pays européens sortis ruinés de la deuxième guerre mondiale de reconstruire leurs économies et de retrouver la croissance et le plein emploi en moins de 20 ans!
3) La formulation mathématique du multiplicateur des dépenses est ∆Y = ∆R/(1-c) où :
∆Y désigne l’accroissement final de la production,
∆R l’accroissement initial du revenu distribué et
« c » la propension marginale à consommer (comprise entre 0 et 1).
Donnez votre avis