De toutes les mesures socio-économiques exceptionnelles prises par le gouvernement suite à la proclamation du confinement sanitaire total en raison de la propagation du virus corona (Covid-19), une émerge par sa dimension hautement stratégique. Il s’agit de «la mise en place de fonds supplémentaires de 500 millions de dinars tunisiens (MDT) pour le stockage des médicaments, de produits alimentaires et de carburants».
Par Khémaies Krimi
À travers cette décision, le gouvernement Elyès Fakhfakh vient prouver qu’il est parfaitement conscient non seulement des menaces sérieuses que fait peser le Covid-19 sur la santé des Tunisiens mais également des opportunités positives qu’offre la crise du Covid-19 pour l’économie du pays.
Parmi ces opportunités figurent en bonne place l’effondrement des cours mondiaux du pétrole et des produits alimentaires (céréales, huiles végétale, viande…) dont l’importation est à plus de 50% à l’origine du déficit commercial du pays (plus de 17 milliards de dinars). D’où tout l’enjeu d’en bénéficier tant que durera le ralentissement de la croissance économique à l’échelle mondiale par l’effet du Covid-19 mais aussi à en tirer des avantages au-delà de la maîtrise du virus par le biais du stockage.
Le baril de pétrole à 25 dollars, qui l’eut cru ?
À titre indicatif, la baisse du cours mondial du baril de pétrole à 25 dollars, actuellement, contre un prix de 65 dollars prévu par la loi de finances 2020, va permettre au gouvernement de faire de précieuses économies de devises de l’équivalent de deux milliards de dinars, environ le montant de l’enveloppe budgétaire (1,888 milliard de dinars) prévue pour subventionner la consommation et l’importation des produits énergétiques.
La seule condition exigée pour bénéficier effectivement de ces économies est d’espérer que le cours mondial actuel va se poursuivre sur toute l’année 2020. À ce sujet, les prévisions sont favorables en ce sens où pour trouver un vaccin au Covid-9, il faut 11 mois au moins. Par ailleurs, selon les prévisions des marchés mondiaux de pétrole, ce cours va durer jusqu’au mois d’août 2020, au moins.
Pour sa part, le nouveau ministre des Finances Mohamed Nizar Yaïche, a déclaré, ces derniers jours, que son département «étudie actuellement avec le ministère de l’Industrie la possibilité de recourir à une opération de ‘‘hedging” (couverture du risque) pour couvrir le 1/4 de la consommation nationale de pétrole en vue de garantir une assurance contre la hausse des prix de pétrole au cours de prochaines années».
Pour mémoire, en septembre 2018, une première opération «hedjing» a été lancée par le gouvernement et permis de couvrir le 1/3 de la totalité des importations pétrolières annuelles de la Tunisie pour une durée de 12 mois.
Il va sans dire qu’une partie de l’enveloppe supplémentaire de 500 MDT décidée par le gouvernement va servir, en principe, à acheter du pétrole et dérivés à bon marché non pas pour les consommer mais pour les stocker.
Malheureusement, la capacité du stockage d’hydrocarbures et dérivés est très limitée. Celle de la Société tunisienne des industries de Raffinage (Stir) à Bizerte et de la Compagnie des transports par pipe-lines au Sahara (Trapsa) à Skhira est estimée à environ 1,3 million de tonnes alors que le tonnage importé est de loin supérieur. En l’absence de statistiques officielles accessibles, certaines sources indépendantes l’estiment à des millions de tonnes.
L’idéal serait d’accélérer la restructuration en cours de la Stir afin qu’elle puisse développer, en même temps, et sa capacité de raffinage et sa capacité de stockage. Il faudrait peut-être également associer à cet effort privé (stations de services…), distributeurs publics de carburants (SNDP…) entreprises publiques de transport et autres…
Chute des cours mondiaux du blé, des huiles végétales et de la viande
Au rayon des produits alimentaires, le dernier indice FAO des prix des produits alimentaires (FAO Food Price Index-FFPI), les cours mondiaux des huiles végétales, des céréales, de la viande, produits importés en grandes quantités par la Tunisie, ont chuté du fait de la pandémie du Covid-19.
Publié ces derniers jours, cet indice qui suit l’évolution mensuelle de la situation sur les marchés mondiaux des produits agricoles, a révélé une tendance à la baisse en raison de production excédentaires et par conséquent de marchés bien approvisionnés. Cette baisse est de l’ordre de 10,3% pour le prix des huiles végétales, de 0,9% pour celui des céréales et de 2% pour la viande.
C’est pourquoi, la décision d’en acheter, ces temps-ci, à bon marché et d’en stocker en prévision de deux périodes de consommation de pointe, le mois de ramadan et les vacances estivales qui coïncident avec la haute saison touristique est, à notre avis, une initiative judicieuse. Plus intéressant encore, elle va permettre en prime de faire d’importantes économies de sortes de devises.
Abstraction faite des avantages qu’on peut tirer provisoirement de cette opportunité qu’offre cette baisse des cours mondiaux par l’effet du Covid-19 et du mécanisme du stockage pour les inscrire dans une durée relative, le moment est venu pour tirer les enseignements de l’énorme retard qu’on accuse en matière de logistique de stockage.
Dans les pays industrialisés, ce secteur est érigé en activité hautement stratégique autant que le secteur productif. Car il présente l’énorme avantage de contenir les effets néfastes autant des pénuries que des excédents de production, et surtout, de pouvoir ajuster, en temps réel, l’offre à la demande fluctuante des consommateurs.
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