L’admiration suscitée par les «accomplissements» de régimes totalitaires comme celui en place en Chine, en comparaison avec les misérables ratés de l’Union européenne et des démocraties dites libérales en général (Etats-Unis en tête) durant cette pandémie du coronavirus (Covid-19), ne sert qu’à pousser vers l’alternative totalitaire et la demande populaire de régimes forts voire de totalitarisme adossé au néo-libéralisme.
Par Nizar Chabbi *
Une idée circule ces derniers temps dans plusieurs langues sur tous les médias : le corona va abattre le capitalisme et l’injustice et ouvrira la voie à une nouvelle gouvernance, une sorte de socialisme qui saura tenir compte des erreurs des différentes expériences socialistes passées, et s’enrichir de tous les nouveaux aspects du progrès depuis. Bref, ce serait une sorte de socialisme nouveau ouvrant grand la porte à l’expression et à l’intervention de la vox populi dans les décisions politiques.
Les tenants d’une telle théorie sont à deux doigts de nous annoncer que le règne de la justice succèdera à celui de l’injustice sur terre ! Si seulement cela pouvait être vrai !
L’hypothèse autoritariste en question
Les pronostics sur la forme de l’avenir ne sont pas chose aisée, et personne ne détient d’algorithme magique ou de boule de cristal pour le prédire. Cependant, les signes et les indices qui nous passent sous les yeux jour après jour depuis un ou deux mois nous incitent à penser que le scenario décrit plus haut est des moins probables. Ces mêmes signes et indices nous incitent même à penser que l’hypothèse autoritariste, voire même fasciste est malheureusement beaucoup plus probable.
La crise économique qui couve en silence va exploser aussitôt la pandémie résorbée, et il est à craindre qu’elle soit catastrophique. Ceci n’est ni de l’exagération ni du défaitisme, ce n’est que le reflet honnête de ce que disent les chiffres et les spécialistes économiques de par le monde.
Ainsi, les références à la crise de 1929 deviennent beaucoup plus récurrentes et pertinentes que les références à la crise de 2008, et à juste titre. Ceci n’est pas uniquement lié au crash boursier que nous observons de nos yeux tous les jours, mais aussi et surtout à l’impact sur l’économie réelle qui devient lui aussi de plus en plus patent de jour en jour, ainsi qu’à l’augmentation fulgurante du taux de chômage.
La croissance mondiale est en train de se fracturer et de partir en morceaux, la pauvreté et la misère vont exploser dans les mois à venir et les chômeurs vont se compter par millions si ce n’est dizaines de millions à travers le monde, avec les conséquences sociales qui s’en suivent en ce genre de circonstances.
Aggravation de la pauvreté et résurgence des «conservatismes»
Pour exemple, prenez l’Italie du sud, moins impactée par la pandémie elle-même, mais où près d’un travailleur sur trois travaillait au noir : serveur, livreur, cuisinier, maçon, ou petite main des mafias locales. Du jour au lendemain des dizaines voir des centaines de milliers de personnes se sont retrouvées sans revenu aucun.
Prenez pour exemple la Tunisie où près d’un million de personnes ou même plus de travailleurs journaliers, qui mangent le soir ce qu’ils gagnent durant la journée, ont perdu leur gagne-pain.
Mais cette crise viendra accompagnée d’une résurgence des «conservatismes» sur plusieurs plans, et les indices en sont très nombreux et très clairs, à en crever les yeux : la peur de l’autre, la méfiance et la défiance envers l’autre quel qu’il soit, surtout s’il est étranger ou réfugié ou diffèrent, et l’empressement de l’empêcher d’accéder aux ressources qui tarissent.
Des exemples ? Ouvrez Facebook et délectez-vous des passages à tabac aussi gratuits que violents de Français souvent jeunes d’origine maghrébine ou sub-saharienne dans leur quartier, par une police ou plutôt une milice ivre d’impunité et se sentant pousser des ailes. Voyez le traitement des Subsahariens dans les pays du Maghreb, qui déjà en temps normal était pour le moins inhumain et dégradant.
Les frontières, et surtout en Europe (!) que l’on croyait d’un autre âge et enterrées avec la guerre froide et la chute du mur de Berlin, reviennent en force. Les pays ferment leurs frontières et l’immigration et les mouvements de populations vont à coup sûr devenir au mieux extrêmement difficiles. Les solutions «nationales» voire même régionales ou locales vont devenir la norme, et ceci on le voit chaque jour un peu plus dans le chacun-pour-soi entre pays : la république Tchèque qui détourne l’aide chinoise en direction de l’Italie, des fournitures médicales commandées et payées par la France sont au dernier moment captées par les Etats-Unis, etc.
Dans les pays où les liens ethno-religieux et/ou tribaux sont plus forts que les sentiments d’appartenance nationale, on verra des schémas peut-être différents mais non moins dangereux : la multiplication des forces, organisations et groupuscules ethniques radicaux vont essaimer, et demander ou imposer des formes de systèmes d’«auto-défense» et/ou même d’autogestion : voyez l’explosion des ventes d’armes aux individus aux Etats-Unis… et probablement dans tous les pays aux législations plutôt permissives en termes de détention d’armes tels la république Tchèque, le Brésil ou l’Afrique du sud.
En d’autres termes, en lieu et place du fascisme classique, nationaliste et autoritariste, nous connaîtrons un «néofascisme» tout aussi destructeur qui maintiendra les sociétés toujours au bord des guerres civiles.
Le manque de ressources, et la compétition exacerbée autour de celles-ci ne font que renforcer ces éventualités.
La «distanciation sociale» et le recentrage autour du «chez-soi»
La cruauté et le manque d’empathie seront les règles. La pandémie a revigoré la culture de la ségrégation exacerbée entre jeunes bien portants et vieux malades, et ceci est accompagné de la culture de la «distanciation sociale» et du recentrage autour du «chez-soi», ce qui aura peut-être un prompt mais court effet thérapeutique, mais ne saurait être un mode de vie exemplaire. L’isolement chez soi pour qui a les moyens d’emmagasiner pour lui et les siens des semaines ou même des mois de vivres, avec le privilège du jardin et de l’espace (relatif… devenu un ultra luxe), et les entorses aux confinements et aux couvre-feux pour ceux n’ayant pas le sou… tout ceci s’accompagnant au meilleur des cas du mépris des nantis envers les gueux, au pire des exactions policières… en attendant qu’elles deviennent l’œuvre des militaires…
Ajoutez à cela la propension de certains Etats à limiter et à scruter la circulation des individus à l’aide des nouvelles technologies de l’information et de la communication…
Le recul de la confiance dans la science et le progrès pousse dans le même sens. Ainsi resurgissent les explications moyenâgeuses des événements et les théories complotistes.
Il ne semble pas y avoir de traces d’une quelconque société civile ni d’organisations sociales, syndicales, libérales, fussent-elles ou sociales-démocrates, qui auraient la capacité d’agir ou d’influer sur le cours des choses.
Sur le plan politique, il est fort probable que les chances de Sanders aux Etats-Unis ne soient pas meilleures que celles de Corbyn au Royaume unis; que le sort de Macron en France ressemble (du moins politiquement parlant) à celui de Louis XVI une fois la pandémie passée, et que le corona offre son premier accès à la magistrature suprême à une ou un (?) représentant de l’extrême ou de l’ultra-droite; ou que la titubante démocratie tunisienne finisse emportée par un torrent de misère, de violence et de mauvaise gestion.
Quant aux modèles de gouvernance, l’admiration des «accomplissements» de régimes totalitaires comme celui en place en Chine, en comparaison avec les misérables ratés de l’Union européenne et des démocraties dites libérales en général (Etats-Unis en tête) durant cette pandémie, ne sert qu’à pousser vers l’alternative totalitaire et la demande populaire de régimes forts. Ainsi, le totalitarisme et la compétence viendront renforcer le néo-libéralisme.
Cette tendance planétaire populiste et xénophobe n’était pas faible avant la pandémie, elle était forte dès le départ, et elle fut encore plus renforcée par elle.
Le fascisme et l’autoritarisme sont à long terme plus nocifs que toute pandémie. L’histoire nous l’a prouvé maintes fois. Et les mythes qui nous racontent que la délivrance suit nécessairement la catastrophe sont probablement mensongers.
Une telle calamité ne peut enfanter un monde meilleur.
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