Confinement strict, couvre-feu, blocus de tous les transports… : des mesures drastiques pour contrer le Covid-19. Des mesures étouffantes pour les revenus des ménages, asphyxiantes pour les entreprises et pour l’économie. Boosté par une aide d’urgence internationale, l’État tunisien a, de peine et de misère, mobilisé 3 milliards de dinars (1 milliard de $US) pour atténuer les impacts des manques à gagner des opérateurs économiques. Insuffisant et loin du compte : le budget de l’État pour 2020 suffoque et a besoin d’un respirateur… et d’une perfusion en urgence! Où trouver l’argent? Comment redéployer les dépenses budgétaires? Quels sont les ministères où il faudra faire des compressions? Explications et scénarios.
Par Moktar Lamari, Ph. D.
La santé, parent pauvre des budgets de l’État!
Le montant du budget de l’État pour 2020 est de 47 milliards dinars, à peine 17 milliards $US. Le ministère de la Santé bénéficie d’à peine 6% (2,6 milliards de dinars). De toute évidence, la mission de la santé publique a été sacrifiée par les différents gouvernements ayant géré la transition démocratique post-2011.
La présente crise a dévoilé une mal-gouvernance endémique et une certaine irresponsabilité dans les choix publics. La mission santé a été négligée durant une quarantaine d’années… et la transition démocratique et sa dizaine de gouvernements n’ont fait que reproduire le modus operandi de Ben Ali.
Les budgets alloués au parlement, à la présidence du gouvernement et à la présidence de la république ont été parmi les grands bénéficiaires des compressions imposées aux missions de la Santé, de l’Éducation et des Affaires sociales.
Incroyable mais vrai, les élites politiques ont dévalorisé les missions essentielles de l’État : santé, éducation et affaires sociales. Dans les pays développés, ces missions bénéficient de 60 à 70% des budgets publics. En Tunisie ces missions sont à la traîne, avec à peine 20% du budget de l’État.
La santé : une «gouvernance à l’aveuglette»
Durant les dernières années, les enjeux et les politiques de santé n’ont pas mérité l’intérêt requis de la part des parties politiques. La santé et ses déterminants n’ont pas constitué un enjeu électoral pour les élites politiques. Tous regardaient ailleurs, pour allouer des budgets aux ministères plus politiquement porteurs: ceux des Affaires religieuses, du Sport, des Affaires culturelles, entre autres!
Les différents gouvernements de l’après-2011 ont été complices des processus qui ont produit aujourd’hui l’affaissement du système de la santé et de la mise à plat de l’économie.
Le train de vie de l’État, et les processus budgétaires ont pénalisé les services de santé.
Ces diverses négligences ont fragilisé les infrastructures de santé, fait fuir les médecins, fait expatrier les compétences en santé. Le tout a érodé les soins de santé publique.
La pandémie du Covid-19 a mis en exergue l’ampleur des contingences! Le budget de l’État n’a réservé que 767 millions de dinars en dotation pour imprévus, soit 1,6% du budget 2020.
Deux principes pour restructurer le budget de l’État
Le gouvernement a mobilisé 2,5 milliards de dinars pour alléger le fardeau socio-économique de la pandémie du Covid-19. Et cela n’est pas suffisant, il faudra au moins 10 milliards pour gérer la crise sanitaire et endiguer ses répercussions économiques.
Pour trouver de la marge de manœuvre (espace budgétaire), on ne peut abolir, sans risque de contestation, des missions et des ministères déterminés.
Deux principes peuvent guider la mobilisation de nouveaux budgets à partir du budget voté pour 2020. Ceux-ci sont inspirés des bonnes pratiques de la gestion des crises et des urgences sanitaires, économiques ou sociales.
Coupure paramétrique de 15%. Le principe consiste à mobiliser 7 milliards de dinars rapidement, en imposant à tous les ministères (sauf celui de la Santé) une compression budgétaire de 15% (Titre 1 et Titre 2). Chaque ministère et organisme gouvernemental figurant dans la loi de Finances 2020 choisit où couper et comment compenser ses équilibres budgétaires.
Ces coupures doivent réduire le train de vie de l’État et abolir des dépenses superflues.
Une telle coupure procurerait presque 6,75 milliards de dinars qui seront alloués principalement à la mission santé. Un tel montant peut financer une grande partie des équipements, médicaments et outils de travail pour les hôpitaux de tout le pays.
Revue systématique programmes. Une telle revue vise à mener des évaluations rapides, formatives et multicritères de tous les programmes et projets gérés par le gouvernement.
Le mandat sera confié à un collège d’experts dirigé par le ministère des Finances et dont l’objectif est de mener une revue des programmes et façons de gérer l’action gouvernementale, dans tous les ministères et organismes.
Selon une grille de critères consensuels (pertinence, efficacité, efficience, etc.), les ministères répondent avant fin avril par la production de documents de synthèse basée sur les critères convenus.
Le collège des experts doit procéder ensuite à des choix d’abolition ou de restructuration de programmes. Le principe consiste à abolir les programmes en redondance, les programmes ayant perdu leur pertinence… ou encore peu efficaces. Les coupures budgétaires doivent être accompagnées par une politique de redéploiement du personnel pour faciliter l’accessibilité et la mise en œuvre effective des décisions engagées.
Plusieurs observateurs internationaux déplorent la présence de programmes et de projets financés de manière récurrente, mais fossilisés dans leur pertinence et complètement inefficaces… et ce dans divers ministères.
Les montants mobilisés peuvent atteindre 3 à 4 milliards et ceux-ci peuvent couvrir les dépenses sociales et économiques liées à la sortie de la crise de la pandémie.
Au total, le pays se dotera d’une marge budgétaire totale de l’ordre 10 milliards de dinars pour contrer la pandémie et endiguer, un tant soit peu, ses impacts économiques et sociaux.
* Universitaire au Canada.
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