Le marathon est terminé. Grâce à la poussée du président de la république Kaïs Saïed et à l’abandon des ténors de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) sur la dernière ligne droite, Hichem Méchichi a passé la ligne d’arrivée.
Par Mounir Chebil *
Nous voilâmes donc dans un régime parlementaire avec un gouvernement du président et non issu du parlement. Le chef de gouvernement est choisi par le président de la république, et les ministres sont désignés en concertation totale avec ce dernier, en dehors des partis représentés dans l’hémicycle parlementaire.
Ainsi, avec Kaïs Saïed, la loi électorale à l’origine de la balkanisation de l’ARP, aurait-elle desservi le parlementarisme de la constitution de janvier 2014. D’un président destiné à se promener dans le jardin du palais présidentiel, il est appelé désormais à être au centre du pouvoir. En effet, avec la désignation de l’homme du président à la tête du gouvernement, l’exécutif bicéphale est réuni sous la même chéchia. Toutefois, c’est au président de bien la tenir pour qu’elle ne s’envole pas au gré des vents.
Un exécutif bicéphale réuni sous la même chéchia
La Tunisie grouille de personnalités de très hautes compétences dans tous les domaines et d’une renommée internationale incontestée. Elle ne manque ni de stratèges, ni d’hommes de terrains qualifiés pour faire des décisions politiques une réalité concrète. D’ailleurs, à ce jour c’est son seul capital et c’est au président de la république de le préserver. Car, il ne faut pas oublier que ce capital a été à la base de sa prospérité, malgré tous les griefs qu’on pouvait avoir à l’égard des politiques suivies jusqu’à la fin 2010.
L’économie était assez solide pour avoir pu résister, même à la crise mondiale de 2007 / 2008. La paix sociale, malgré quelques secousses, a régné offrant aux opérateurs économiques publics ou privés une conjoncture favorable à la création de richesses.
Seulement, avant 2011, la prospérité économique et la paix sociale n’ont pu régner sans l’autorité de l’Etat en tant que force de proposition, de négociation, d’incitation, de régulation et de persuasion. Il y avait une certaine harmonie entre l’Etat régalien et l’Etat interventionniste sur le plan économique, social et même culturel. Malgré des défaillances, des anachronismes, toutes les institutions de l’Etat étaient censées s’articuler autour de cette mission de l’Etat.
L’Etat était sur pied. La corruption tournant autour de la famille de Ben Ali, l’économie parallèle, les passe-droits n’ont pu étendre leurs tentacules, tisser une toile d’araignée et nuire sur le plan macroéconomique en général. On peut même dire que Ben Ali a tenu à mettre aux devants la face honorable de l’Etat, pour cacher à la grande frange de l’opinion publique les abus connus des initiés.
Le président de la république traçait la politique générale de l’Etat. Il avait des conseillers à cet effet qui collaboraient avec le gouvernement. Seulement le président de la république assumait pleinement ses prérogatives au niveau sécuritaire pour éviter les dérives anarchiques au pays. Car, tous les montages économiques, politiques et sociaux tomberaient dans l’eau s’il n’y avait pas de paix et de stabilité politique et sociale et si l’Etat n’était pas debout pour résister tous les cyclones.
Le président doit soutenir son gouvernement confronté à une mer houleuse
Le mouvement du 18 octobre 2005 a été étouffé. Il s’est bien avéré par la suite que ses instigateurs sont les mêmes qui étaient à la base du chaos qui dure de 2011 à nos jours.
En 2008, le mouvement du bassin minier de Gafsa a été étouffé dans l’œuf. Au contraire et par la suite, la production du phosphate et des industries chimiques qui lui sont attenantes est montée en flèche. La condition matérielle des employés s’est améliorée par la suite, loin de toutes prodigalités populistes qui auraient pesé sur les résultats du groupe de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG). Et tous les Tunisiens ont pu voir à l’ARP le niveau déplorable de ce Adnane Hajji, le manitou de ce mouvement du bassin minier. Depuis 2011, ils sont au fait des conséquences désastreuses du populisme des intervenants politiques et syndicaux d’une part, et du laxisme des autorités d’autre part qui ont prévalu dans cette région minière. La CPG tourne à perte. Trois voyous continuent de bloquer l’acheminement du phosphate par le train. Les saboteurs de l’intérieur de la mine continuent allègrement leurs forfaits.
Maintenant qu’il a dompté l’Assemblée, qui a consenti à lui concéder un sursis, le président de la république n’a pas le droit de jeter son gouvernement en pâture, comme le laisserait entendre ses dernières hésitations. Puisqu’il a tout fait pour gouverner, il doit assumer pleinement ses responsabilités de chef d’Etat. Il se doit de soutenir son gouvernement qui va être confronté à une mer houleuse vidée de son poisson, et dont les vagues déferlantes se préparent déjà à tanguer sur sa coque de toutes parts.
Sur la question de la marche des affaires du pays, Kaïs Saïed aurait à s’entourer de conseillers avisés dans les domaines économiques, sociaux et culturels pour élaborer des visions et des stratégies susceptibles d’éclairer le gouvernement sur les orientations à suivre, voire même de contrôler l’action des ministres et ajuster leurs actions. Kaïs Saïed ne doit pas oublier qu’il a le pouvoir en matière d’initiative des lois. Responsable de la politique étrangère, il aura obligatoirement à rassurer les investisseurs étrangers pour qu’ils acceptent d’investir en Tunisie ainsi que d’ouvrir les marchés extérieurs aux produits et aux services locaux.
Les affaires de l’Etat ne sont pas un éternel débat constitutionnel
Le Conseil économique et social, regroupant les organisations nationales et certains acteurs de la société civile, devrait être réhabilité d’une manière ou d’une autre, pour assurer une meilleure harmonisation entre les attentes des opérateurs économiques et sociaux et les réponses des pouvoirs publics.
Mais à supposer même que le gouvernement s’engage à prendre le taureau par les cornes en s’attaquant à l’économie parallèle, au déficit des entreprises publique, à la restructuration de l’administration, à la lutte contre la corruption d’une manière forte, à la prise en main du secteur de l’énergie, à la mise sur pied des réformes structurelles, en recourant à l’incitation aux secteurs de la production, à la limitation des importations des pacotilles, et en optant pour une certaine austérité, le président de la république doit être à la hauteur des prérogatives régaliennes qui lui sont dévolues par la constitution. Les affaires de l’Etat ne sont pas un éternel débat constitutionnel.
L’impératif aujourd’hui est économique et social, auquel le président de la république ne doit pas tourner le dos. Pour cela la paix sociale doit impérativement régner. Les menées hilaliennes ainsi que la tendance berbère à la rébellion, au refus de toute autorité et à l’aversion pour la notion de l’Etat, qui ont ressuscité en 2011, doivent s’arrêter.
C’est là, le rôle du président de la république : assurer les arrières du gouvernement pour lui garantir les meilleures conditions de réussite. Il y va du salut du pays. De la première ligne du front, il lui faut aussi trouver les canaux adéquats pour communiquer avec le peuple et le convaincre des impératifs de l’étape et des contraintes de la raison d’Etat, quelles que soient leurs natures et leurs implications. Il doit mériter les 73% de voix qui l’ont fait Président et les 62% d’intentions de votes sortis du sondage de Sigma-Conseil à la fin août 2020. Sans cela, sa légitimité acquise par les urnes n’aurait plus de sens.
Ainsi, faudrait-il au président de la république de renoncer à son utopie du conseillisme frappée du sceau de Ridha Chiheb Mekki. Sinon, au lieu d’unifier le pays, de sauvegarder sa souveraineté et d’œuvrer à sa prospérité, comme le lui dicte la constitution sur laquelle il a prêté serment, il va mettre les bases de son atomisation, et l’ouvrir à l’anarchie. Or le peuple veut la prospérité et la paix et non le chaos. «Eccaab la youridou el kharab» (Le peuple ne veut pas l’anarchie, pour paraphraser un slogan cher à Saïed).
* Analyste politique.
Donnez votre avis