L’arrestation d’une lycéenne mineure, Afraa, provoque une polémique opposant la société civile à l’institution sécuritaire. Le débat mérite d’être nuancé.
Par Jamila Ben Mustapha*
À chaque fois que des soldats ou des agents de l’ordre sont tombés sous les coups des extrémistes, nous avons vivement déploré ces actes et été scandalisés par ces assassinats.
Voilà que le témoignage de Afraa Ben Azza, jeune élève arrêtée à la suite d’une manifestation de protestation de jeunes contre le projet de démolition du café de Sidi Bou Makhlouf, au Kef, vient nous rappeler les mauvais moments de la répression policière, sous la dictature.
La jeune fille, les policiers et la geôle
La vidéo diffusée par des journalistes de Nawaat qui se sont rendus dans cette ville, le vendredi 18 décembre, pour interroger la jeune fille sur les causes et les conditions de son arrestation, 2 jours auparavant, a été suivie par une autre, publiée le 22 du même mois, sur une page Facebook (Lutte contre le terrorisme), la montrant au commissariat, souriante, entourée de policiers qui lui demandent, dans la bonne humeur, pourquoi elle leur en veut autant et les traite de terroristes.
Cette seconde vidéo dure exactement 2 minutes et ne dit toutefois rien de la nuit traumatisante que Afraa a passée en geôle et dont elle a longuement parlé, au cours de sa rencontre avec les envoyés du journal.
En réalité, nous avons l’impression que dans cette affaire, 2 parties très inégales – la jeune fille de 17 ans, et les policiers –, s’affrontent avec beaucoup de violence, instaurant, entre elles, un grand malentendu.
Un effort de clarté s’impose devant cette utilisation rapide, faite à tort et à travers, du mot «terroriste» appliqué aux policiers, provenant certes, d’une très jeune fille, presque une enfant, mais à qui on n’a pas appris à peser ses mots.
D’habitude, c’est à leurs ennemis, aux jihadistes qui les traitent de «taghout» (despotes), que ce terme est appliqué. Voilà que nous avons affaire à des jeunes «laïcs» – Afraa et ses amis – qui, sans dépasser toutefois la violence verbale, leur vouent, eux aussi, une haine incommensurable.
Tout d’abord, de même que parmi les enseignants, il y a ceux qui font honneur à leur profession, et les autres qu’on ne peut prendre comme modèles, de même on ne peut considérer les policiers comme un corps de métier homogène que l’on pourrait juger de façon identique.
La jeune fille elle-même a été obligée de distinguer, parmi eux, ceux qui respectent la loi au moment des arrestations, et les autres qui continuent de se comporter de façon grossière et inhumaine, comme au temps de la dictature policière.
Afraa Ben Azza, après sa libération, avec son avocat, Charfeddine El-Kellil, et ses camarades.
Le pouvoir assassin des mots
Il est certain que pour le reste, le discours de Afraa est lui-même très violent, sans nuance – jeunesse oblige – et, allant jusqu’à parler du corps sécuritaire comme d’une «mafia» et du pays, comme d’un «territoire occupé» !
Or, ces termes sont-ils exacts et appropriés, à un moment où les policiers, non seulement doivent assurer la tâche habituelle de la sécurité du pays, mais lutter contre le terrorisme qui a fait pas mal de victimes parmi eux?
Et comment ne pas compatir avec la douleur des familles du corps sécuritaire qui ont vu leurs jeunes fils exécutés par les vrais terroristes ?
Mais le scandale causé par les conditions de l’arrestation de Afraa a eu le mérite de montrer que certains agents de l’ordre n’ont pas changé leur comportement.
Pire encore, on a même vu, à partir du 14 janvier 2011, en pleine lutte contre l’ennemi principal, le terrorisme, une police «morale», ne faisant que souligner par là sa propre immoralité et s’inspirant des «comités pour la promotion de la vertu et la répression du vice» en Arabie Saoudite, réprimer des faits qui relèvent strictement de la liberté individuelle, encouragée qu’elle est en cela par des valeurs rétrogrades et moyenâgeuses largement diffusées depuis voilà 5 ans.
Que conclure de l’examen de cette confrontation entre Afraa et les policiers ? La jeune fille n’a pas à les injurier d’une telle façon, adoptant une attitude excessive et ignorant visiblement le pouvoir assassin des mots.
Eux, de leur côté, ne peuvent plus se comporter de façon impunie lors des interrogatoires car maintenant et heureusement pour nous comme pour eux – appelés à réprimer des tendances inhumaines qui les avilissent, eux en premier –, la chape de plomb du silence imposée par la répression a été levée.
Ah, ces policiers, tantôt détestés et tantôt plaints, tantôt bourreaux, tantôt victimes quand ils sont fauchés en pleine jeunesse, laissant derrière eux, qui une fiancée, qui une jeune mariée, et qui toute une famille !
Quant à Afraa, espérons que le 31 décembre, lors de sa comparution devant la justice, les adultes qui s’occuperont de cette affaire feront preuve de magnanimité en libérant définitivement la jeune mineure, déjà assez punie par ce qu’elle a subi jusque-là et lui permettant ainsi de fêter, dans la joie, la nouvelle année.
* Universitaire.
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