En assimilant la liberté de la femme à de la débauche, entre autres affirmations du même acabit, le député Mohamed Affès, de la coalition extrémiste Al-Karama, satellite du parti islamiste Ennahdha, a choqué beaucoup de Tunisiennes et de Tunisiens. Mais pas l’auteur de cette tribune. Et pour cause…
Par Mohamed Sadok Lejri *
Je ne comprends pas l’émoi suscité par le discours du député Mohamed Affès, alors que les Tunisiens adhèrent largement aux propos qu’il a tenus.
Nous vivons dans un pays où la virginité, du moins en apparence, est le capital de la femme, quel que soit son statut social ou son niveau d’éducation. Nous vivons dans un pays où l’abstinence de toute relation sexuelle hors mariage reste le critère le plus indiqué pour juger une fille.
Sous nos cieux, une fille a beau être médecin, universitaire, chef d’entreprise, c’est d’abord sa réputation et sa résistance à la tentation du péché de la chair qui fixeront sa véritable valeur. Elle a beau avoir réussi partout et réalisé toutes sortes de performances dans sa vie, sa valeur dépendra toujours de l’état de son hymen et de son abstinence jusqu’au mariage.
Il suffit de sortir dans la rue et de parler aux gens pour se rendre compte qu’un très grand nombre de Tunisiens désignent leurs compatriotes émancipées, notamment les filles qui affichent et assument leur féminité et leur beauté, a fortiori lorsqu’elles le font avec une lueur de provocation amusée, comme l’excroissance de la dépravation occidentale en terre d’islam. D’où le fameux «mouch m’te3na» et l’argument d’autorité qui consiste à dire que «nous sommes une société arabo-musulmane et conservatrice».
La fille maquillée qui rit à voix haute dans la rue, qui ressemble aux femmes de la télé que les hommes embrassent avec tant de facilité et qui ne serre pas les cuisses jusqu’au jour du mariage, incarne la Eve tentatrice, donc un modèle en totale contradiction avec l’image idéalisée que les Tunisiens se font de la femme pieuse, voilée, effacée, qui marche dans la rue le dos courbé, la tête baissée et les yeux fixés au sol. La première est diabolisée, la deuxième est comblée d’éloges.
Dans un pays comme le nôtre, la dégénérescence des mœurs ne peut être imputée qu’à la femme du fait de notre interprétation profondément phallocratique et traditionnelle de la sexualité.
* Universitaire.
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