Le très attendu rapport du Fonds monétaire international (FMI) est irrecevable en l’état ! Le PDF de ces 97 pages à vocation évaluative-consultative, dans le contexte de la crise profonde que traverse la Tunisie (IMF country Report 21/44, 97 pages) est simplement bancal et nul et non avenu. Ce rapport est truffé d’informations asymétriques, d’auto-plagiats et de trucages sur l’identité de certains de ses auteurs. Enquête…
Par Moktar Lamari, Ph.D.
Le rapport recèle au moins trois fautes éthiques et techniques, indignes des codes régissant les bonnes pratiques évaluatives et les ABC régissant les consultations évaluations au titre de l’Article IV consultation, du FMI, un organisme influent et capable du meilleurs et du pire.
Comment faire confiance à un rapport vital pour la Tunisie, avec des auteurs qui passent volontairement sous silence les positions officielles et les réactions formelles signées par le chef de gouvernement tunisien (ou son ministre des Finances) et/ou par le gouverneur de la Banque centrale (BCT) ? Comment publier un rapport où le FMI s’érige en maître, à la fois juge et partie? Comment croire certaines annexes dont les auteurs se présentent pour ce qu’ils ne sont pas ?
Jusqu’à preuve du contraire, la Tunisie n’est pas encore une république bananière, nonobstant sa très mauvaise gouvernance, impliquant entre autres une paupérisation continue de ses citoyens et une quête monétaire, dégradante pour l’image du pays et la rectitude morale de ses ministres et partis au pouvoir depuis 2011.
Rapport bancal, «nul et non avenu» ?
Les 97 pages de ce rapport en anglais (sans version en arabe ni en français) présentent exclusivement les points de vue du FMI, utilisant dans des graphiques fallacieux des données tuniso-tunisiennes analysées derrière des portes closes à Washington. Des graphiques et des illustrations invérifiables et sans aucune place réservée pour les nuances et les interprétations du gouvernement tunisien. Les biais en masse : biais de sélection, biais idéologiques, biais stratégiques, etc.
Les statistiques utilisées dans ce rapport ne sont pas toutes publiques et ne permettent pas aux chercheurs et experts indépendants de les vérifier et de refaire les analyses pour consolider ou réfuter les biais très probables dans ce rapport ayant un focus fondamentalement politique.
Le rapport donne l’impression qu’il est le fruit d’une démarche précipitée qui occulte les données probantes et les itérations de validité interne. Un rapport fait dans la précipitation, pour ne pas dire bâclé.
Plus grave encore, les cinq pages signées par Hossein El Hosseini et Samir Belhadj (p. 93-97) parlent au nom du gouvernement tunisien (on behalf of our Tunisian autorities…), alors que les auteurs (Hosseini et Belhadj) seraient probablement de simples employés occasionnels au sein du FMI, peut-être des stagiaires en congé sans solde, peut-être des experts en herbes, free-lance à contrat déterminé.
Ces deux personnes parlent au nom du gouvernement tunisien (et du peuple tunisien), sans avoir le mandat de le faire, sans avoir la légitimité de le faire. Le Parlement tunisien et les partis politiques au pouvoir au Bardo doivent les inviter au parlement, pour mieux les connaître et pour questionner leur responsabilité.
Chris Geiregat, le chef de mission du FMI qui a mené la consultation en Tunisie est pleinement fautif et à plus d’un titre. Il fait dire au gouvernement tunisien ce qu’il n’a pas dit. Le rapport comporte plein d’auto-plagiat d’autres rapports (sans citer l’origine).
Un minimum d’honnêteté intellectuelle aurait exigé qu’on nous dise qui M. Geireget a rencontré et avec qui des membres de sa mission… Qui sont les acteurs consultés, la date, le lieu et le sujet des entrevues ou des focus group… C’est important, c’est éthique pour éviter ces formes de corruptions possibles et de plus en plus décriées au sein des institutions internationales.
Nos investigations n’ont pas permis de vérifier leur réelle appartenance institutionnelle. Mais, ces deux respectables auteurs ne sont pas mandatés par le gouvernement tunisien, pour prétendre refléter la position tunisienne dans ce processus d’évaluation complexe et de reviewing lourd de conséquences pour la Tunisie et pour les contribuables.
Risque moral et agency problem!
Ce dernier rapport du FMI au sujet de la Tunisie démontre un sérieux problème éthique bidimensionnel.
Un : la dimension liée au silence du gouvernement Mechichi sur les enjeux du rapport et l’absence (abstention) du gouvernement et de la BCT. Les cinq derniers rapports du FMI (depuis 2013) ajoutent des annexes signées par les chefs de gouvernements et le gouverneur de la BCT pour exprimer la position tunisienne, et pour rassurer les Tunisiens qu’ils font le nécessaire pour défendre les intérêts de la Tunisie dans ces processus techniques, statistiques… et exigeant une expertise hors du commun. Le gouvernement Mechichi doit s’exprimer au sujet de ce rapport et de la mission de consultation évaluative faits par le FMI en février pour décider, oui ou non, de financer son gouvernement et pour quelles réformes structurelles attendues. Le chef de gouvernement Méchichi est questionnable…
Deux : pratiquant l’évaluation et la révision des politiques publiques depuis 30 ans, j’enseigne à mes étudiants et étudiantes les bonnes pratiques évaluatives et consultatives dont celles de donner la parole aux responsables (et gouvernements en charge) des programmes évalués pour nuancer, exprimer leurs points de vue et leur son de cloche au sujet des constats, engagements et recommandations. Cela fait défaut au dernier rapport du FMI sur la Tunisie. Le FMI est juge et partie dans ce contexte. Impardonnable de la part du FMI !
Le gouvernement tunisien doit aussi s’expliquer à ce sujet. Le parlement aussi!
La faute éthique du FMI est lourde de conséquences sur sa crédibilité en Tunisie et ailleurs.
Le FMI n’est pas à sa première erreur stratégique en Tunisie.
Le FMI doit rétablir la vérité, notamment au sujet de l’appartenance de ces deux auteurs du statement diligenté au nom de la Tunisie, au nom de son gouvernement et au nom des contribuables tunisiens.
Le FMI doit assumer ses responsabilités éthiques et s’excuser officiellement auprès des Tunisiens et Tunisiennes. En attendant, il doit clarifier et retirer son rapport dans les meilleurs délais pour honorer la bonne pratique balisant la consultation, la révision et l’évaluation des politiques menées en Tunisie.
L’avenir de la Tunisie est en jeu, et cela n’est pas une mince affaire. L’histoire jugera, les tribunaux aussi, le cas échéant.
* Universitaire au Canada, auteur de plusieurs livres et articles au sujet de l’évaluation et l’éthique du jugement consultatif et mesurant la performance des politiques économiques programmes publics.
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