Ce qui se passe aujourd’hui au sein du Courant démocrate (Attayar) n’est pas anodin et on peut sérieusement craindre pour son avenir, car les divisions qui le traversent, depuis la démission de son fondateur et ancien secrétaire général, l’avocat Mohamed Abbou, se sont aggravées et ont abouti à la démission, il y a quelques jours, du successeur de ce dernier, avocat lui aussi, Ghazi Chaouachi. Et tout porte à croire que les désaccords ne vont pas s’arrêter là.
Par Imed Bahri
En vérité, ces deux hommes incarnent les deux tendances opposées au sein de ce parti. La première, encore majoritaire, incarnée par Mohamed Abbou et son épouse, la députée Samia Abbou, considère la lutte contre le fléau de la corruption, et ceux qui l’incarnent dans le pays, à commencer par le parti islamiste Ennahdha et les affairistes soudoyant l’administration publique, les partis et les médias mainstream, comme la priorité des priorités sans laquelle aucune réforme sérieuse ne saurait être mise en route dans un pays aujourd’hui au bord de la faillite.
La lutte contre la corruption est la ligne de fracture
Cette tendance intransigeante est également incarnée par le président de la république Kaïs Saïed, chantre lui aussi de la lutte contre la corruption et contre ses relais dans le système «partitocratique» (et non démocratique) mis en place par la Constitution de 2014. Ce qui explique les affinités entre MM Saïed et Abbou, deux hommes on ne peut plus dissemblables qu’unit pourtant une certaine rigidité morale.
La seconde tendance, incarnée par Ghazi Chaouachi, qui vient de jeter l’éponge pour avoir été mis en minorité par ses camarades, considère que la participation au pouvoir est l’unique moyen pour mettre en œuvre les politiques souhaitées et que cela requiert le maintien du dialogue avec toutes les parties, à commencer bien sûr par les partis de la coalition majoritaire actuelle, à savoir Ennahdha, Qalb Tounes et Al-Karama.
En fait, Me Chaouachi, avocat d’affaires de son état, proche des cercles des affairistes, même s’il se garde de l’afficher, n’a pas vraiment de problème avec la corruption, qui gangrène l’Etat et la société, et ses déclarations à ce sujet sont de pure forme et n’ont pas vocation à dépasser l’effet d’annonce.
Les rêves éveillés de M. Chaouachi
Ephémère ministre des Domaines de l’État et des Affaires foncières puis ministre de l’Équipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire par intérim dans le gouvernement Elyes Fakhfakh (de février à septembre 2020, soit un peu plus de 6 mois), Ghazi Chaouachi n’a jamais digéré de se retrouver hors du gouvernement alors qu’il commençait à prendre goût au pouvoir et même de lorgner des postes à la mesure de ses grandes ambitions.
Elu secrétaire général du Courant démocrate, le 4 octobre 2020, suite à la démission de M. Abbou, M. Chaouachi n’a pas pu faire valoir sa ligne accommodante voire complaisante à l’égard du parti islamiste Ennahdha, dont une bonne partie des dirigeants de son parti ne cessent de dénoncer publiquement les dérives. Aussi a-t-il dû se résigner à démissionner, cinq mois après avoir succédé à M. Abbou, pour au moins deux raisons : la première c’est qu’il n’a pas pu faire valoir sa ligne au sein des instances dirigeantes d’Attayar, où il s’est rapidement retrouvé en minorité, et la seconde, et la plus importante à ses yeux, c’est que cette démission lui permet de se mettre en position pour éventuellement succéder au chef de gouvernement Hichem Mechichi, aujourd’hui décrié, isolé et sur un siège éjectable.
Le fait que la démission de M. Chaouachi a été vivement saluée par les islamistes sur les réseaux sociaux, qui ont été nombreux à louer ses qualités d’homme de dialogue, une sorte d’anti-Abbou par excellence, ce dernier étant entre-temps élevé par les islamistes au rang d’adversaire absolu, trahit le rapprochement en cours, s’il n’a pas déjà été acté, entre M. Chaouachi et M. Ghannouchi, qui fait du premier un nouveau «oiseau rare» comme les aime le second, orfèvre en matière de débauchage politique : on ne compte plus ses «élus» devenus ses victimes.
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