On aurait préféré ne pas avoir à écrire sur des sujets scabreux et qui concernent la vie privée des gens, mais si on s’est décidés à en parler c’est parce qu’ils dénotent une évolution inquiétante de la vie politique en Tunisie et une grave dégradation des pratiques de certains partis représentés au parlement et dont les dirigeants emplissent les médias audio-visuels de leurs bruits et fureurs.
Par Imed Bahri
La vraie fausse affaire Fayçal Tebini, le député de la Voie des Agriculteurs, dont on débat depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux, et qui aurait, dit-on, harcelé, via Facebook, une jeune femme, doctorante au chômage qui l’a sollicité pour un coup de main afin de trouver un travail, est vraiment dégoûtante, de tous points de vue.
D’abord, cette affaire implique un acteur politique très en vue, non pour la qualité et l’utilité de ses interventions dans le débat public, mais pour ses frasques et dérapages à répétition.
Ensuite, ceux qui ont provoqué cette vraie fausse affaire en balançant sur les réseaux sociaux des captures d’écran, visiblement tripatouillées, des échanges dudit député avec ladite jeune femme, sont eux-mêmes des acteurs politiques, qui, par cette manœuvre cousue de fil blanc, se déshonorent d’abord eux-mêmes et montrent une telle pauvreté intellectuelle et une telle bassesse morale que l’on se met vraiment à s’interroger sur l’intérêt même d’une démocratie pluraliste qui permet à des gens de cette espèce de se faire élire, de siéger à l’Assemblée, d’occuper les devants de la scène médiatique et de la salir par leurs incessants dérapages.
Une manœuvre «politichienne» cousue de fil blanc
Le député Tebini a raison de crier à la manipulation et de diffuser des vidéos où il explique comment il a été piégé par sa supposée «victime», dont il divulgue d’ailleurs le nom et nous apprend qu’elle n’est pas une jeune fille et encore moins une doctorante au chômage. «C’est une dame de plus de quarante ans, divorcée et mère d’un garçon, qui est un camarade d’école de mon propre fils, lequel me l’a d’ailleurs présentée. Ensuite, les échanges que j’ai eus avec cette dame sur Messenger ont été manipulés pour changer complètement leur contenu et leur donner une connotation de drague», explique le député. Et lance à ses détracteurs : «Je les défie de publier ces échanges dans leur intégralité. Et je me demande pourquoi la femme en question se cache-t-elle et ne réagit pas. Si je l’ai harcelée, c’est à elle de se plaindre. Et dans ce cas, seule la justice aurait son mot dire.»
Pour appuyer ses dires, M. Tebini donne la parole à son épouse qui le disculpe de tout acte de harcèlement et s’en prend à la dame qui se prête, selon elle, à une manœuvre visant à nuire à l’image de son époux. «C’est elle qui la harcelé», affirme-t-elle, en assurant qu’elle n’a rien à reprocher à son époux.
Voilà pour les faits. Mais pour le député de la Voix des Agriculteurs, les orchestrateurs de cette campagne de dénigrement sont les députés de la coalition parlementaire Al-Karama, Seifeddine Makhlouf et Rached Khiari, qui sont en service commandé pour le parti islamiste Ennahdha, dont cette coalition constitue une filiale chargée des basses besognes. «Ils s’attaquent à tous ceux qui critiquent Ennahdha et ils s’en sont déjà pris, pour cette même raison, au président Kaïs Saïed. Je leur dis : ‘‘Si vous croyez pouvoir ainsi arriver à me faire taire avec ces méthodes, sachez que celles-ci ne feront que me conforter dans mon opposition aux islamistes’’», dit encore Fayçal Tebini.
Les islamistes recourent aux mêmes pratiques immorales de la dictature
Cela dit, et quels que soient les acteurs de cette mauvaise farce, cette manière de s’attaquer à ses adversaires politiques en cherchant à les piéger dans de vraies fausses affaires de mœurs n’est pas nouvelle en soi. En d’autres temps, sous le règne de Ben Ali, c’étaient les islamistes qui en étaient les cibles privilégiées.
Souvenons-nous, à propos, des vidéos des dirigeants islamistes piégés dans des postures sexuelles équivoques et largement diffusées par la police politique. C’était au début des années 1990, et les vidéos étaient alors diffusées sous format de cassettes VHS, car il n’y avait pas de réseaux sociaux à l’époque.
Parmi les dirigeants islamistes qui ont goûté à ces pratiques, on citera Abdelfattah Mourou, piégé par une cliente dans son bureau d’avocat, et Ali Larayedh, piégé dans l’infirmerie de la prison avec un célèbre homosexuel surnommé Torcheqana, ou encore l’ancien Premier ministre Mohamed Mzali, dans un hôtel à Paris, avec une célèbre avocate. Celle-ci était sa maîtresse quand il était l’homme fort à Tunis à l’ombre de Bourguiba et elle a été contrainte à faire le «sale boulot» (filmer l’ancien Premier ministre à son insu dans une posture équivoque) dans l’espoir d’alléger la peine de son époux impliqué dans une affaire de chèques sans provisions. Feu Mzali n’était certes pas un islamiste, mais il était, à l’époque dans l’opposition à Ben Ali et s’était allié à Ennahdha.
C’était une autre époque, me dira-ton, mais voilà que ces chers islamistes, parvenus au pouvoir après 2011, se sont alliés à leurs bourreaux d’hier, les ont récupérés et tentent de profiter de leur «savoir-faire» diabolique pour piéger leurs adversaires politiques en recourant aux mêmes pratiques de la dictature. Très charmante démocratie !
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