Le think-tank International Crisis Group vient de publier un rapport intitulé «Jihadisme en Tunisie : éviter la recrudescence des violences», où il constate que, malgré un net déclin de la violence jihadiste en Tunisie depuis 2016, le gouvernement maintient des mesures de lutte contre le terrorisme répressives et trop peu ciblées. Mais des réformes dans le domaine de la justice et de la sécurité demeurent nécessaires afin d’éviter une recrudescence de la violence.
«Bien que le jihadisme décline en Tunisie, les mesures de lutte contre le terrorisme que les autorités mettent en œuvre depuis 2013 pourraient, parce qu’elles sont trop peu ciblées, entraîner un regain de violences. Si la situation économique et sociale continuait de se détériorer, elles pourraient également contribuer à accroître les violences urbaines et la criminalité», conclut l’étude, qui recommande au gouvernement de limiter les effets pervers des mesures antiterroristes par une série de réformes dans le domaine juridique et sécuritaire, car «une partie des mesures antiterroristes mises en place depuis 2013 nuisent à la cohésion sociale et minent la confiance des citoyens à l’égard des institutions».
Ces mesures pourraient, en effet, entraîner une recrudescence des violences jihadistes, si le contexte économique et social se détériorait davantage et contribuait à l’augmentation des violences urbaines et de la criminalité.
«Pour réduire la crise de confiance et prévenir l’augmentation des violences, le gouvernement devrait promulguer une nouvelle loi sur l’état d’urgence, modifier la loi antiterroriste de 2015 et le code de procédure pénale, améliorer les conditions de détention et veiller à coordonner les efforts de prévention et de répression du terrorisme», estime en conclusion International Crisis Group.
Nous reproduisons ci-dessous une synthèse de cette étude…
Depuis l’échec, en mars 2016, de l’attaque de la ville frontalière de Ben Guerdane par un commando de l’Etat islamique, l’engagement salafiste-jihadiste perd de son attrait et son expression violente décline en Tunisie. Néanmoins, les mesures de lutte contre le terrorisme prises depuis 2013 restent en place. Certaines de ces mesures, largement répressives, nuisent à la cohésion sociale et tendent à renforcer la crise de confiance des citoyens envers les institutions. Celles-ci pourraient conduire à un retour significatif des violences jihadistes et contribuer à accroître les violences urbaines et la criminalité, surtout si la situation économique et sociale continue de se détériorer. Pour éviter ces dommages collatéraux de la lutte contre le terrorisme, le gouvernement devrait entreprendre au plus vite une série de réformes dans le domaine juridique et sécuritaire. Il devrait promulguer une nouvelle loi sur l’état d’urgence, modifier la loi antiterroriste et le code de procédure pénale, améliorer les conditions de détention et assurer une meilleure complémentarité entre les activités de prévention et de répression du terrorisme.
La diminution des violences jihadistes sur le territoire tunisien entre 2016 et 2021 est manifeste. Elle est principalement liée à la déroute d’al-Qaeda et de l’Etat islamique à l’échelle régionale. Même si plusieurs milliers de Tunisiens sont partis combattre au Moyen-Orient et en Libye entre 2011 et 2016 et que des Tunisiens ont commis quatre attentats en France et en Allemagne en 2016 et 2021, le pays n’est pas menacé par un mouvement jihadiste armé de masse. Le déclin idéologique du salafisme-jihadisme est également très net en Tunisie, y compris parmi les franges les plus vulnérables de la population, qui ont tendance à s’identifier désormais davantage au gangster qu’au héros se sacrifiant pour une cause.
Cependant, les mesures de lutte contre le terrorisme, mises en place dès 2013, pourraient avoir des effets pervers. La majorité des près de 2 200 détenus en lien avec des affaires de terrorisme quitteront les prisons tunisiennes au cours des trois années à venir. La plupart d’entre eux ont connu des conditions de détention propices à la récidive, et certains ont été victimes d’abus. Leurs perspectives de réinsertion socioprofessionnelle sont très limitées. Pour toutes ces raisons, ils risquent de retomber dans la violence ou de se tourner vers la délinquance et le crime. Par ailleurs, les mesures de contrôle administratif souvent très contraignantes auxquelles sont soumis nombre d’individus, en dehors des prisons, au nom de la lutte antiterroriste, pourraient aussi conduire certains d’entre eux, qui estiment les subir injustement, à se rapprocher des groupes jihadistes.
Enfin, si le jihadisme décline en Tunisie, il est loin d’avoir disparu à l’échelle du continent africain, notamment dans le Sahel, où une centaine de Tunisiens combattraient au sein de groupes affiliés à al-Qaeda et à l’Etat islamique et pourraient, un jour ou l’autre, envisager de prendre pour cible leur pays d’origine.
Pour limiter une éventuelle recrudescence des violences jihadistes et freiner le développement de la petite délinquance et du banditisme, les autorités devraient, en priorité, mener des réformes dans le domaine de la sécurité et de la justice pénale. Il s’agit de passer d’une logique répressive à une logique préventive qui renforcerait la cohésion sociale et la confiance des citoyens envers les institutions.
En matière de sécurité, le parlement devrait voter une nouvelle loi sur l’état d’urgence offrant davantage de garanties en termes de droits humains.
Les autorités devraient prendre plusieurs mesures. En matière de sécurité, le parlement devrait voter une nouvelle loi sur l’état d’urgence offrant davantage de garanties en termes de droits humains. Il devrait modifier la loi antiterroriste de 2015, notamment pour réduire au maximum le délai de garde à vue, propice aux abus, et modifier le code de procédure pénale, pour garantir sans exception l’accès à un avocat durant l’enquête préliminaire. Dans le domaine de la justice, les autorités devraient tenter de réduire la population carcérale, établir un suivi sécuritaire et socio-psychologique pénitentiaire et post-pénitentiaire personnalisé et augmenter le nombre de programmes de réinsertion et de réhabilitation socio-professionnels qui s’adressent à l’ensemble des détenus et anciens détenus. Enfin, le gouvernement devrait renforcer le travail commun entre les différents ministères afin de veiller à la complémentarité des actions de lutte contre le terrorisme et des activités de prévention dites de «l’extrémisme violent» coordonnées par la Commission nationale de lutte contre le terrorisme.
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