Des élections présidentielles et législatives anticipées pourraient-elles constituer une issue efficace pour une sortie de la crise institutionnelle et politique actuelle en Tunisie, comme semble le préconiser le président de la république, visiblement peu favorable à un «dialogue national» qui maintiendrait le statut-quo ante ?
Par Raouf Chatty *
Face à l’impasse dans laquelle se retrouve aujourd’hui la Tunisie en raison des crises sans fin dans lesquelles elle s’est empêtrée depuis la révolution de 2010, notamment celle, déclenché il y a cinq mois, avec le conflit au sommet de l’Etat sur la répartition des pouvoirs entre le président de la république, Kaïs Saïed, d’une part, et d’autre part, le président du parlement, Rached Ghannouchi, et son protégé, le chef du gouvernement Hichem Mechichi, chacun se prévalant de la constitution, qu’il interprète à sa manière pour s’attribuer le maximum de compétences, il est aujourd’hui évident que le retour au peuple souverain constitue le meilleur moyen de desserrer l’étau qui asphyxie le système politique, de désamorcer la bombe sociale qui risque d’éclater d’un moment à l’autre et de permettre au pays de résoudre de manière pacifique ce conflit endémique qui menace réellement sa stabilité, entrave son développement économique et nuit à son image à l’étranger.
Très populaire et de plus en plus maître du jeu politique dans le pays à la faveur de la guerre froide entre les titulaires officiels du pouvoir, le président de la république d’une part, et de l’autre, le président du parlement et son protégé le chef du gouvernement, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Taboubi, a souligné ce vendredi 17 juin 2021, dans un entretien avec Al-Hiwar Ettounsi, que le président de la république est favorable à l’organisation d’élections anticipées, présidentielles et législatives, pour aider le pays à sortir de la crise… et, face aux blocages institutionnels et politiques provoqués par la Constitution de 2014, préconise de retourner à la Constitution de 1959, en la réadaptant aux besoins du système démocratique actuellement en place.
Vers l’instauration d’un système politique plus viable
Si cette information se confirme, et on n’a aucune raison de douter de la sincérité du chef de la centrale syndicale, qui n’a fait que rapporter une discussion qu’il eut avec le chef de l’Etat, elle serait au centre des débats politiques au cours des jours et des semaines à venir et le pays devrait se préparer pour entrer dans une étape cruciale, avec ce que cela suppose comme débats pour l’élaboration d’un agenda politique officiel, accepté par tous les acteurs politiques sans exclusive, qui tiendrait compte des nécessités d’une profonde révision constitutionnelle et d’une réforme tout aussi profonde du mode de scrutin, préalables à l’instauration d’un nouveau régime politique viable qui permettra au pays de rompre avec l’instabilité endémique qui l’a caractérisé tout au long de la première décennie post janvier 2011, avec les conséquences négatives que la Tunisie a subies dans tous les domaines…
Entretemps, le président de la république et les autres acteurs politiques pourront se mettre d’accord sur la forme du gouvernement qui sera appelé à diriger le pays dans l’intervalle, à préparer les échéances électorales et à implémenter les réformes économiques pour lesquelles l’Etat tunisien s’est engagé auprès de ses bailleurs de fonds internationaux.
Cette démarche pourrait constituer une voie de sortie de crise. Elle est conforme aux desiderata exprimés par le président de la république lors de sa réunion, mardi 15 juin 2021, avec le chef du gouvernement en exercice et trois anciens chefs de gouvernement, Ali Larayedh, Youssef Chahed et Elyès Fakhfakh, au cours de laquelle il leur a demandé de lui fournir des propositions concernant ces sujets en prévision du «dialogue national» proposé par la centrale syndicale.
Les islamistes devraient saisir la perche pour sortir du creux de la vague
Ce scénario de sortie de crise mérite d’être pris très au sérieux, surtout que le parti islamiste Ennahdha, aujourd’hui au creux de la vague, est vilipendé par de larges franges du peuple pour son bilan politique et économique catastrophique et pourrait se résigner à accepter l’organisation d’élections anticipées, présidentielles et législative dans les meilleurs délais, au cas où le «dialogue national» proposé par le centrale syndicale au président de la république ne pourrait pas être mis en place ou n’aboutirait à rien de concret. C’est ce qui ressort des déclarations de son porte-parole et d’autres de ses hauts responsables.
Osons espérer que ce scénario sera examiné de manière approfondie dans les prochains jours par toutes les parties concernées et mis en route avec toute la bonne foi requise, sans calculs politiciens et sans langue de bois. Le peuple étant aux aguets et ne permettra plus aux politiques de se jouer de lui, de son gagne-pain et de l’avenir de ses enfants…
La centrale syndicale, si l’on en croit ses ténors, serait elle-même favorable à l’organisation d’élections anticipées dans les meilleurs délais pour redonner la parole au peuple et pour fournir à la nation cette fois-ci les moyens légaux et légitimes pour avoir un gouvernement en mesure de gouverner au plus près des intérêts des citoyens et non de ceux des partis faisant partie de sa ceinture politique comme c’est le cas aujourd’hui.
C’est là, on l’imagine, un gros chantier qui mérite que la patrie tout entière, et notamment son intelligentsia et sa société civile, s’y intéressent de très près et s’y engagent pour garantir toutes les conditions de transparence… aux scrutins à venir et leur éviter les dépassements enregistrés par le passé !
* Ancien diplomate.
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