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La descente en enfer d’Ennahdha ne fait que commencer

Rached Ghannouchi a transformé l’assemblée en un ring de boxe.

Les dirigeants du parti islamiste Ennahdha multiplient les déclarations et les actes plus stupides et excessifs les uns que les autres. Ils sont visiblement dans leurs petits souliers et voient le moment de vérité et de retour de manivelle, inévitables pour un parti qui a gouverné (plutôt mal) pendant une décennie, approcher irréversiblement. Le problème c’est qu’ils réagissent mal et prennent de mauvaises décisions qui vont accélérer ce processus de descente en enfer. Tant pis pour eux, même si c’est le pays qui est en train d’en payer très chèrement le prix, mais c’est du pain bénit pour leurs adversaires qui ont de bonnes raisons de fourbir leurs armes en se frottant les mains.

Par Ridha Kéfi

Le leader d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, qui préside aussi l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), cherche à utiliser cette institution républicaine au profit de son parti et pour museler ses adversaires politiques. Mais ses manœuvres dans les coulisses du Palais du Bardo n’aident pas à améliorer l’image qu’ont aujourd’hui les Tunisiens des islamistes en général et de lui en particulier. Au contraire, en déstabilisant complètement l’Assemblée et en y rendant le travail quasiment impossible, le chef islamiste se met à dos beaucoup de ses anciens alliés, qui voudraient bien réunir la majorité requise pour l’éjecter du perchoir, où d’ailleurs il trône très rarement, et ce pour éviter d’être pris à partie par les députés de l’opposition, se dérobant ainsi très courageusement à ses responsabilités.

Le cheikh Ghannouchi piégé par ses manœuvres

Par ailleurs, il n’y a pas longtemps, des voix s’étaient élevées au sein même d’Ennahdha pour contester le leadership de ce dinosaure de la scène politique qui, à 80 ans, refuse de passer la main, tout en n’en faisant qu’à sa tête, multipliant les bourdes et rendant l’atmosphère de plus en plus irrespirable sous la coupole de l’Assemblée, comme au siège du parti islamiste à Monplaisir, à Tunis. On a ainsi enregistré des démissions, aussi bien parmi les vieux ténors du mouvement que parmi les jeunes qui l’ont rejoint après 2011, et des pétitions ont été lancées pour lui demander de ne pas briguer un nouveau mandat à la tête d’Ennahdha lors de son prochain congrès prévu avant la fin de l’année en cours, même si on doute de plus en plus de la tenue de ce congrès à cette date dont l’imprécision trahit, chez le vieux cheikh, une volonté de renvoyer, une nouvelle fois, cette échéance «non garantie» – pour utiliser une expression qui lui est chère – aux calendes grecques.

Certes, la grogne au sein du parti semble être momentanément calmée, mais ce n’est que partie remise, car, sous la menace de plus en plus précise d’être chassés du pouvoir, tous tant qu’ils sont, les partisans du cheikh comme ses détracteurs, il y a eu comme un rappel des troupes et un appel à l’unité sacrée, en attendant des jours meilleurs.

La menace aujourd’hui pour les islamistes est bien identifiée. Il y a bien sûr le président de la république Kaïs Saïed, qui ne les porte pas dans son cœur, c’est un euphémisme, et qui considère, à juste titre, qu’ils sont les principaux responsables de la détérioration de la situation générale dans le pays et les accuse même de comploter non pas seulement contre lui (il a ainsi parlé de tentative d’assassinat manigancée avec des parties étrangères), mais aussi contre la stabilité et la paix dans le pays. Si Saïed est resté indifférent aux appels du pied des Nahdhaouis, qui ne désespèrent pas de pouvoir un jour le persuader de s’allier à eux, c’est parce qu’il refuse de réitérer la malheureuse expérience de son prédécesseur Béji Caïd Essebsi qui, en se jetant dans les bras de Ghannouchi, a divisé son parti, Nidaa Tounes avant de le voir éclater en morceaux et perdre toute crédibilité aux yeux de ses électeurs.    

La seconde menace pour les islamistes s’appelle Abir Moussi et son Parti destourien libre (PDL) dont le programme se limite à un mot d’ordre : guérir la Tunisie d’un cancer appelé islam politique et de ses tenants en Tunisie, qui, en dix ans de gouvernance catastrophique, se sont rendus responsables de la détérioration de la situation générale dans le pays, aujourd’hui incapable de financer son budget d’Etat, sans recourir à l’endettement extérieur qui représente désormais 100% de son PIB, contre «seulement» 35% il y a dix ans.

Les délices du pouvoir sont aveuglants

Le problème pour Ennahdha c’est que Kaïs Saïed, un an et demi après sa prise de fonction et malgré l’usure du pouvoir, reste en tête des sondages d’opinions pour les présidentielles, devant, justement Abir Moussi, dont le parti, le PDL, est en tête des sondages pour les législatives, loin, très loin même, devant le parti islamiste, dont l’électorat n’a cessé de s’effriter depuis 2011 et de se réduire quasiment de moitié d’une élection à une autre. La seule bonne nouvelle pour Ghannouchi et ses partisans c’est que ces deux là se vouent une hostilité réciproque et qu’il y a peu de chance qu’ils acceptent de s’allier pour faire front face leur ennemi commun : les islamistes. Mais eu égard la gravité de la situation dans le pays, une grande révolte populaire qui serait suivie par une dissolution de l’Assemblée, décision que le chef de l’Etat aurait de bonnes raisons de prendre, pourrait changer complètement la donne politique et constituer un véritable tsunami pour les islamistes. La politique est aussi une loterie. On peut miser gros, mais le résultat n’est jamais «garanti».

Certes, les dirigeants d’Ennahdha peuvent continuer à alimenter les réseaux sociaux par des désinformations, des mensonges et des attaques au-dessous de la ceinture ciblant leurs deux adversaires. Ils peuvent continuer à nier l’évidence en mettant en doute l’authenticité des résultats des sondages d’opinions, qui s’étaient pourtant peu trompés depuis 2011, comme si en cassant le thermomètre ils pouvaient faire baisser la température. Ils peuvent aussi continuer à utiliser le parlement et le gouvernement, sur lesquels ils ont un total contrôle, pour essayer de museler leurs adversaires, au lieu d’aider à régler les problèmes réels des citoyens, qui sont d’ordres économique et social. Toutes ces manœuvres ont jusque-là abouti à l’effet inverse : elles ont plutôt dopé la popularité de leurs adversaires et leur ont fait perdre, à eux, la confiance d’un nombre de plus en plus importants de citoyens.

Ayant pris goût au pouvoir et à ses délices, les Nahdhaouis ont œuvré, il est vrai, dès 2011, à prendre la place du RCD, l’ancien parti au pouvoir sous la dictature, et de se mettre au service des lobbys d’intérêt, anciens et nouveaux, se laissant happer par ce qu’on appelle communément le «Système» et, de compromis en compromission et de consensus en concession, ils ont fini par devenir ce qu’ils ont toujours été, notamment ceux qui étaient en exil dans les pays occidentaux : des gens très solubles dans l’argent, assoiffés de pouvoirs et de privilèges. Ils ont d’ailleurs poussé le cynisme jusqu’à reprendre à leurs services certaines figures parmi les plus infréquentables de l’ancien régime. Et cela, conjugué aux signes extérieurs de richesse qu’ils ont fini par afficher ostensiblement, ne pouvait ne pas remonter contre eux des pans entiers de la société, notamment ceux et celles qui ont voté pour eux en 2011, 2014 et 2019 et qui se sentent aujourd’hui, à juste tire, trahis.

Le problème des islamistes c’est qu’au lieu de faire leur autocritique et de changer de méthodes et de stratégies pour tenter de rectifier le tir, ils ont opté pour une politique de fuite en avant, se laissant entraîner sur une pente douce par leur addiction même au pouvoir. C’est à ce genre de signes que l’on reconnaît le début de la fin d’un cycle politique. Cette descente en enfer pavée de bonnes intentions, Bourguiba et Ben Ali l’avaient vécu. Rached Ghannouchi ne tardera pas à la vivre lui aussi. Reste à savoir comment. Les paris sont ouverts…

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