Quand un Etat perd toute dignité, parce que ses dirigeants sont tombés très bas dans l’ignominie, et c’est le cas aujourd’hui en Tunisie, on ne peut s’étonner que ses décisions ne soient plus respectées par le peuple, même celles dont dépend la sécurité nationale, prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Explications…
Par Ridha Kéfi
Cette introduction nous a été dictée par le flottement observé dans la gestion du très controversé congrès non-électif de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), prévu dans un hôtel de Sousse, les 8 et 9 juillet 2021, en pleine recrudescence de la pandémie ayant nécessité des mesures draconiennes, notamment des limitations des déplacements entre les régions et un confinement ciblé auquel sont soumises toutes les régions classées rouges, et c’est le cas de Sousse, dont les services Covid-19 des hôpitaux publics comme des cliniques privées ont atteint 100% de leurs capacités, sans parler de l’état physique et psychique lamentable des médecins et des agents paramédicaux, lançant sans cesse des appels de détresse, car n’en pouvant plus.
Un congrès bombe à retardement
Arrivé comme un cheveu dans la soupe ou comme une bombe à retardement, d’autant que les tests rapides effectués avant-hier sur les premiers congressistes arrivés à l’hôtel El-Mouradi à EL-Kantaoui ont donné six résultats positifs, ledit congrès aurait dû être reporté, car il n’y avait pas péril en la demeure. Congrès non-électif, il devait, surtout, permettre la révision du règlement intérieur de la centrale syndicale pour y faire sauter le verrou de la limitation des mandats et ouvrir ainsi la voie au secrétaire général Noureddine Taboubi et à plusieurs autres membres du bureau exécutif de s’éterniser à la tête de l’organisation.
On comprend, d’ailleurs, pourquoi ce dernier tenait à organiser cette joute coûte que coûte, dans une sorte de passage en force, pour éviter que la grogne actuelle au sein des instances de l’organisation ne grossisse et ne l’empêche de commettre son forfait, car il s’agit là d’une atteinte au règlement intérieur de l’UGTT et, plus grave encore, une entorse aux principes de la démocratie, qui stipulent la limitation des mandats électifs.
Que M. Taboubi tienne à ce point à son passage en force, on pourrait à la rigueur le comprendre – d’ailleurs, ce dernier a enterré, hier, son père, à Béja, avant de rejoindre Sousse ce matin pour présider ledit congrès –, mais que les autorités publiques se vautrent à ses pieds et répondent positivement à sa demande de maintenir, contre vents et marées, le congrès à la date fixée, voilà qui suscite des interrogations légitimes sur le degré de responsabilité de ces… hauts responsables de l’Etat.
L’Etat tunisien aux pieds de Taboubi, le vrai patron du pays
On fera remarquer, dans ce contexte, que le président de la république Kaïs Saïed, s’est déplacé en personne à Béja pour présenter ses condoléances de vive voix au président de l’UGTT, qu’il a qualifié de «mon frère» (son frère en putschisme, peut-être ?), alors qu’un chef d’Etat aurait bien pu se contenter d’envoyer un télégramme ou de faire diffuser par les services de communication de la présidence une déclaration de circonstance. Et que dire du chef du gouvernement Hichem Mechichi qui a fait lui aussi le déplacement à Béja pour présenter ses condoléances de vive voix à M. Taboubi, avant de prendre la décision d’autoriser la tenue dudit congrès, aux dates fixées, malgré une décision du parquet de Sousse de l’interdire en raison de la situation pandémique dans la région et dans tout le pays, sachant que les congressistes viennent de toutes les régions et qu’ils y reviendront à l’issue de la réunion. Ce qui, on l’imagine, pourrait faire disséminer la maladie si, par malheur, certains congressistes se seraient, entre-temps, contaminés.
En ne refusant rien à Noureddine Taboubi et à sa bande, au mépris même des décisions prises par les institutions de l’Etat pour protéger la population, comment Kaïs Saïed et Hichem Mechichi espèrent-ils être écoutés et respectés eux-mêmes et l’Etat qu’ils sont censés incarner aux yeux de leurs compatriotes ?
L’Etat est piétiné et le pouvoir est par terre
Non seulement ces chers «démocrates» doublés de «grands révolutionnaires» ne trouvent rien à redire concernant le putsch en préparation par Taboubi, en passe de devenir «le vrai patron du pays», mais ils mettent aussi en danger la vie de leurs compatriotes en permettant à ce dernier de transgresser les mesures sanitaires et de n’en faire qu’à sa tête.
Allez maintenant demander aux pauvres citoyens qui crèvent la faim et qui tirent le diable par la queue de ne pas se déplacer entre les régions, de ne pas aller vendre leurs pacotilles dans les souks populaires, ou de fermer les petits commerces qui les font… juste survivre !
Quand on vous dit que l’Etat tunisien a perdu toute dignité et que ceux qui l’incarnent n’ont en pas davantage eux non plus, c’est à ces petits signes qui ne trompent pas que l’on fait référence et qui prouvent s’il en est encore besoin que la mal-gouvernance a atteint en Tunisie des niveaux qu’elle n’a jamais connus même dans les plus atroces périodes de la dictature. Aujourd’hui, l’Etat est piétiné par tous, à commencer par ceux qui sont censés l’incarner, et le pouvoir est par terre…
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