La rencontre d’hier, samedi 15 janvier 2022, entre Kaïs Saïed et Noureddine Taboubi, survenue dans un contexte caractérisé par un grand isolement du président de la république, aussi bien sur le plan intérieur qu’extérieur, traduit une volonté présidentielle de changer d’attitude, d’ouvrir les canaux du dialogue avec les parties qui ne sont pas totalement hermétiques à son projet d’assainissement de la scène nationale et de renforcer le front intérieur qui s’est beaucoup effrité ces derniers temps, en raison de sa rigidité doctrinale et de son refus d’écouter les autres, y compris ses partisans.
Par Imed Bahri
Commentant la rencontre entre le président de la république et le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), le secrétaire général adjoint de la centrale syndicale, Sami Tahri, a indiqué que la discussion a porté sur la situation générale dans le pays, soulignant qu’il s’agissait d’un dialogue long et franc au cours duquel de nombreux aspects ont été abordés, notamment la crise politique, les tensions sociales et les difficultés économiques que traverse le pays.
M. Tahri n’a pas donné plus de détails sur cette rencontre, intervenue au lendemain du 11e anniversaire de la révolution tunisienne, qui a vu des manifestations dans la capitale, organisées par certains partis comme le Mouvement Ennahdha, le Parti des Travailleurs, le Parti républicain et le Courant démocrate.
Une mésentente cordiale
Il est à noter que lors de sa rencontre avec le dirigeant syndical, le président Saïed a nié l’existence d’un désaccord entre la présidence de la république et la centrale syndicale, affirmant que «les rencontres se poursuivent entre les deux parties, que ce soit directement ou par téléphone.»
Ce que les faits démentent, les deux hommes, qui se voyaient assez régulièrement avant l’annonce des «mesures exceptionnelles», le 25 juillet dernier, ne s’étaient pas vus, en effet, depuis cette date, malgré des demandes incessantes en ce sens exprimées par M. Taboubi et les autres dirigeants de l’UGTT, qui ont vu dans l’attitude du chef de l’Etat une certaine hostilité à leur égard, alors qu’ils avaient fermement soutenu au départ lesdites «mesures exceptionnelles», en vertu desquelles ce dernier avait limogé le gouvernement, dissous l’Assemblée et levé l’immunité des parlementaires.
Ils ont aussi appelé, à maintes reprises, le président à discuter de la nouvelle phase avec les différents acteurs de la scène nationale, mais en vain. M. Taboubi a même appelé, en désespoir de cause, à la constitution d’une «troisième voie», qui renverrait dos-à-dos le président Saïed, qui refuse de prêter l’oreille même aux partis et organisations soutenant sa démarche, et ses adversaires du parti islamiste Ennahdha, considérant ses «mesures exceptionnelles» comme un coup d’Etat contre la légitimité constitutionnelle.
Avant-hier, vendredi 14 janvier, l’UGTT a publié une déclaration critiquant la coalition au pouvoir avant le 25 juillet et qui était dirigée par ce qu’elle a appelé l’islam politique, soulignant la déception des Tunisiens qui ont vu leurs conditions économiques et sociales se détériorer au cours de la dernière décennie. Et soulignant son refus de revenir au système qui était en place avant le 25 juillet.
L’UGTT a, dans la même déclaration, fait part de ses inquiétudes face à ce qu’il a décrit comme un état d’incertitude, malgré l’annonce par le président Kaïs Saïed d’une feuille de route et la date du 17 décembre 2022 pour des élections législatives anticipées, estimant que cette feuille de route doit être «réexaminée et rectifiée».
L’organisation syndicale a également exprimé ses inquiétudes face à ce qu’elle considère comme «l’absence de solutions urgentes et le mépris du dialogue avec les parties ayant adopté les mesures du 25 juillet, y compris les organisations nationales, les partis politiques et les personnalités nationales».
Ressouder un front intérieur qui s’effrite
Ces parties pourraient contribuer à la définition des scénarios qui seraient présentés lors d’un référendum populaire pour mettre fin à la crise politique, renforcer l’exercice des libertés publiques et individuelles sans restrictions et établir des droits économiques et sociaux, a insisté l’UGTT dans ce qui s’apparente à des critiques adressées au président Saïed, auquel ses partisans autant que ses opposants reprochent son autisme, son refus de tout dialogue et son cavalier seul.
La rencontre d’hier, survenue dans un contexte caractérisé par un grand isolement du président de la république, aussi bien sur le plan intérieur qu’extérieur, avec des critiques fusant de toutes parts, traduit une volonté présidentielle de changer d’attitude, d’ouvrir les canaux du dialogue avec les parties qui ne sont pas totalement hermétiques à son projet d’assainissement de la scène nationale et de renforcer le front intérieur qui s’est beaucoup effrité ces derniers temps, en raison de la rigidité doctrinale de Kaïs Saïed et de son refus d’écouter les autres, y compris ses partisans.
Grâce à ces retrouvailles, le président Saïed espère soustraire l’UGTT à l’influence de ses opposants, islamistes et de centre-gauche, qui doivent désormais compter sur leurs propres forces pour pouvoir peser dans la balance, mais peut-il sérieusement espérer l’appui de la centrale syndicale aux politiques d’austérité et aux réformes économiques, forcément douloureuses pour les classes moyennes, que le gouvernement Najla Bouden est tenue de mettre en route dans le cadre de ses engagements envers les bailleurs de fonds, le Fonds monétaire international (FMI) en tête ? Qu’on nous permette d’en douter. En d’autres termes, l’accalmie pourrait n’être que de courte durée.
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