Mustapha Kamel Nabli propose, à des dirigeants envahis par la torpeur, douze recommandations pour un redressement économique et social. Pas moins!
Par Yassine Essid
La photo, sans doute une prise vue en studio, obtenues après d’inlassables mises au point, est strictement focalisée sur le modèle: pas de présence d’activité humaine visible, pas d’obstacle, pas de flou, pas de reflet, pas de composition, pas de plongée ni de contre-plongée, mais une image d’une neutralité absolue dans laquelle est évacuée toute forme d’arrangement avec le réel.
Les attributs présumés du leadership
Au premier plan, le personnage. Pour concentrer l’attention sur le visage, le photographe a accentué le contraste avec le fond qui, pour plus d’efficacité, doit être neutre. C’est alors un bleu bien en harmonie avec le ton du costume qui ajoute une intensité d’expression en plus de la tonalité de couleurs : un bleu foncé se dégradant jusqu’au halo d’une aube naissante qui fait penser à l’espérance.
La tenue vestimentaire réussit admirablement faire incarner au modèle l’allure technocratique. Une cravate d’un rouge pâle mariée avec une belle chemise bleu azur. Deux couleurs parfaites pour un costume foncé. Cela suffit à faire de sujet un fringuant vieux jeune homme à la calvitie naissante qui a l’air d’assumer sans complexe.
Le geste de la main droite relève cependant d’une mise en scène pure. Tous les doigts la main sont tendus vers l’avant, le pouce bien mis en évidence. Allié aux expressions faciales et la tenue vestimentaire, le geste, autant que la posture, concentrent tous les attributs du leadership, sa profonde variété des connaissances et des expériences ainsi que sa morale d’homme d’honneur en guerre contre les brigands. Si le sourire du modèle prétend exprimer qu’il vous veut du bien, prêt à vous écouter avec attention, bienveillance et compréhension, la main demeure celle de l’homme public, de l’expert disposé à vous venir en aide et faire en sorte que les promesses se traduiront bientôt en actes.
Le sourire, qui relève péniblement les coins de sa bouche, semble forcé, sans raison apparente, ne se reflète pas dans les yeux, n’illumine pas le visage. Donnant un style amer au menton, il peine à se muer en une expression spontanée qui traduirait un sentiment réel de joie, de satisfaction et de sympathie. Difficile lorsqu’on a mauvais caractère, qu’on est réputé arrogant et renfrogné. On voit d’ailleurs très mal cette personne s’écrier : Dieu! Que je suis heureux!
Un prestigieux parcours quelque part inachevé
Economiste de formation, Mustapha Kamel Nabli fut tour à tour professeur d’université, ministre du Développement économique sous Ben Ali, expert dans une institution financière internationale et gouverneur de la Banque centrale de Tunisie. Mais ce prestigieux parcours, qui s’appuie sur des années sagement remplies, restait quelque part inachevé, car toutes ces hautes responsabilités assumées avec dignité et courage auraient dû logiquement le propulser lentement et sûrement vers un destin national maintenant que l’accès aux positions de pouvoir est en principe ouvert, sincère et pacifiée.
La campagne présidentielle de 2014 tombe à pic pour lui permettre de tenter une reconversion dans la politique politicienne et participer aux présidentielles comme le candidat de la rigueur, du sens élevé de l’Etat et de l’intérêt général, opposé aux imposteurs et opportunistes de tous ordres comme à la caste des politiciens de carrière.
Mais la politique est une activité éminemment paradoxale, tout à la fois au service des citoyens et située au-dessus d’eux. Elle n’est pas affaire de technocrates, aussi brillants soient-ils, mais exige l’appui d’une formation politique puissante, la maîtrise des appareils, la mobilisation des militants, l’ouverture sur l’univers social, l’expérience des enjeux spécifiques, les alliances douteuses, le sens du compromis et des compromissions.
M. Nabli, auquel manquait tout ce savoir-faire, se lance malgré tout en candidat marginal et fait un fiasco complet l’obligeant à mettre définitivement fin à ses ambitions présidentielles non sans s’être plié au préalable, bien péniblement et bien gauchement, aux quelques mascarades qu’imposait l’activité bien ingrate de ratissage des suffrages.
Potion pour un redressement économique et social
Insatisfait de l’activité du gouvernement, conscient de l’exceptionnelle gravité de la crise économique que traverse le pays ainsi que la nécessité urgente de mettre en œuvre tous les moyens pour le sauver, Mustapha Kamel Nabli a tenté d’empaqueter un redressement économique et social pesé sur les balances aléatoires d’une flopée d’experts à l’usage de dirigeants envahis par la torpeur, engourdis devant la complexité des problèmes, vivants dans un état d’hébétude qui confine à l’immobilité.
Pour ce faire douze recommandations, présentées à la manière de ces prières que l’on récite au chevet des mourants, suffiraient largement pour s’en sortir. Douze façons d’exhorter obstinément le gouvernement à agir rapidement et efficacement. Douze conseils surréels qui donnent l’impression que leurs auteurs sont déconnectés de la réalité. Sauf que nous vivons un contexte économique, social et politique qui, à la limite, impose un consensus raisonnable entre toutes les catégories sociales. Alors tous ces gens qui se baladent n’auraient pas idée de ce qui va arriver, ce qui va se passer, qu’on a dépassé le rouge et que la plupart ne sont relèveront pas?
Lequel d’entre nous n’a pas déjà en tête la matière de faire avancer le pays, ne rêve pas de croissance, de bonne gouvernance, d’égalité des chances, de chômage maîtrisé, de secteur privé dynamique qui favorise l’emploi, de fiscalité équitable, de logement décent, de redistribution juste du revenu, d’école modernisée, de santé publique, de régulation environnementale, d’éradication de la pauvreté et de l’analphabétisme, et bien d’autres invocations largement réitérées mais toujours accueillies avec le même silence indifférent.
En somme toutes les tâches dévolues naturellement au bon gouvernement? Qu’impose le consensus simpliste chez ces économistes dépend plus du contexte politique national particulier que nous traversons, autrement dits des facteurs et des contraintes extra-économiques plutôt que de la politique macro ou micro-économique. Que le développement est une opération complexe devant être considérée dans son ensemble et réalisée de façon cohérente qui requiert la participation de tous, des gouvernants autant que des gouvernés, individus ou groupes. Ce qui est bien loin d’être le cas.
Alors si vous voulez marquer votre adhésion ou refus de ces douze recommandations, si vous voulez parcourir cet espace qui vous inquiète, vous avez le choix entre cocher les cases de ce listing à choix multiples ou biffer les mentions que vous jugeriez inutiles ou utopiques. Vous verrez bien s’il reste encore des choses à faire pour redresser ce pays.
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