Le poète Mohamed Sghaier Ouled Ahmed est décédé mardi 5 avril 2016 après un long combat avec la maladie à l’âge de 62 ans. Hommage à un grand ordonnateur des mots.
Par Anouar Hnaïne
«La symphonie qui nous portait s’est tue. Il faut croire à l’alternance. Tant de mystères n’ont pas été pénétrés ni détruits.» (René Char)
Il a souhaité mourir en été, pendant l’Auguste mois, et réclamé un jour pair.
Les saisons sont hélas, ou heureusement, comme les poètes, capricieuses, tout comme le calendrier.
Au lendemain de ses soixante ans, la faucheuse l’a arraché comme elle le fait, sans rendez- vous et sans prévenir. Ainsi va la mort, elle sied aux uns, qu’ils reposent en pensant à nous mortels; elle bouscule les autres sans autre dessein que de les abîmer davantage. Elle soustrait nos livres et nos dires un à un et tarit le puits du verbe. Ainsi croit-on.
Les poètes ont de ces oublis à vous étonner que vous soyez vivants ou morts. Pourtant une anecdote qu’il m’a racontée la dernière fois que je l’ai vu m’habite encore.
Un poème déclamé en public, c’était où? Il a calé sur un mot, le reste n’est plus remonté en mémoire. Il demande à son ami et poète Moncef Mezghanni de lire le poème, la même scène se répète, ce dernier cale sur le même mot. Silence. Saloperie de mort; elle a calé sur un poète, le silence s’alourdit. Mais des mots il y en toujours et de beaux. Sa fille porte le nom de Kalimet (mots) comme pour ne plus trébucher sur les phrases, encore moins sur une rime. Son fils se nomme Nadhem, pensez donc à Hikmet, pensez à l’ordonnateur des mots, à l’ajustement des phrases. Ajusteur de mots, c’est du Sghaïer pur jus.
Ouled Ahmed a oublié l’été terrestre. Il faut dire qu’en compagnie de ses mots, il n’a pas été terrestre; il a préféré l’entre terre et ciel, et partit voir ailleurs. Là, les printemps inconnus sont plus fleuris. Parti un jour impair…
Quoi de neuf à l’ombre les lilas du Japon? Te rappelles-tu, tu es venu un printemps, c’était quand? A la Maison de la Protection de la propriété intellectuelle (El Omrane). Aujourd’hui, les branches sont en fleurs et exhalent les mêmes bouquets. Comment dès lors oublier cette promenade, ton pas rapide, ta tête dans tes épaules, ton sous-main bien serré entre le bras frêle et les côtes fragiles… et ta cigarette au bec. Et tes phrases saccadées dans ta gorge encombrée.
Vas, repose dans le village avec les poètes et donne-nous de tes nouvelles. On attend.
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