Seize ans après la mort de Habib Bourguiba, bâtisseur de la Tunisie moderne, avons-nous réussi à préserver le trésor qu’il nous a été légué ?
Par Nadya B’Chir*
Monastir le 6 avril 2016, la ville est en effervescence festive, comme chaque année à cette tristement célèbre date, celle où les Monastiriens en particulier et les Tunisiens en général commémorent le décès du grand leader, le combattant suprême, le père de la nation, Habib Bourguiba, premier président de la république tunisienne.
Quelque chose de solide
Du temps de Ben Ali, évoquer une once de la vie ou du parcours de militant qu’a connu Bourguiba était fichtrement proscrit. Un acte d’une telle dangerosité prenait l’allure d’une haute trahison. Mais en vérité, cela était bel et bien une forme de trahison. Une trahison à la mémoire d’un homme hors pair, de la trempe de ceux que le Dieu du ciel n’enfante que rarement dans l’Histoire des civilisations et des générations.
Précisément ! La Tunisie en a-t-elle connu d’autres, un autre ? Hélas ! La situation actuelle du pays, en dégringolade soutenue non déguisée, conforte-elle copieusement cette théorie. Certains de ceux qui se plaisent à se décrire comme observateur avisé ou encore activiste politique, théoriseront sous un autre angle.
Selon les «fast savants» (ceux qui généralement s’improvisent connaisseurs et avisés en tout sujet), Bourguiba n’est plus parangon de magnificence à suivre. C’en est fini de cette époque où le grand leader et sa science connaissaient leur apogée. Aujourd’hui, en ces ans 2000, les airs ne sont plus les mêmes, et les chansons non plus. Aujourd’hui, la Tunisie réclame du neuf, du frais et du récent. Soit !
Une audace singulière ayant conduit à la construction d’un Etat moderne, progressiste, et nationaliste.
Néanmoins, les «fast savants» peinent-ils à tel degré à dégager cet aspect du visionnaire unique bien propre à Bourguiba ?! Occultent-ils sciemment ce courage assorti d’une audace singulière ayant conduit à la construction d’un Etat moderne, progressiste, et nationaliste, de quelque chose de solide ?! Comprenez alors que des roulements gargantuesques puissent étaler l’envergure de l’indignation des bourguibistes mais encore des patriotes tout court. C’est que le combattant suprême était animé par une sagesse de fière intelligence, lui ouvrant la porte de la gloire en se soumettant à une doctrine fondée sur des valeurs et des principes de citoyenneté sur fond de ruse masquée aux yeux de l’ennemi.
Les «fast savants» devraient s’interroger sur le comment aurait pu agir Bourguiba en ces temps moroses creusant une plaie pour la Tunisie que tous les points de suture crochés par une variété de gouvernants n’ont pas réussi à recoudre.
La Tunisie condamnée au veuvage
Cependant, à l’image d’une offrande aux dieux ingrats, la Tunisie demeure condamnée au veuvage prenant acte au-delà de la prononciation de l’heure du décès. La Tunisie contrainte aux hommages et aux cris de gloire dépeints comme un tableau d’un artiste à la recherche de sa boussole. Bourguiba, il est désormais exposé sur la place publique en proie à des enchères des politiques qui, sans scrupules, n’ont décline honte à en faire leur fond de commerce. Bourguiba fait vendre, Bourguiba était et demeure une corde sensible chez le commun des Tunisiens, Bourguiba est une mise gagnante alors donnons en du Bourguiba à profusion. Et puis, les Tunisiens n’ont-ils pas vu Bourguiba, leur amour de leader et de président, ressuscité dans le corps de Béji Caïd Essebsi, lors de la campagne présidentielle?! N’était-ce pas là un coup de poker des soldats de son équipe de Com’ qui a immédiatement donnée le ton?! Une irréfragable accalmie avant l’ère édénique promise par le «sosie» de Bourguiba !
Aujourd’hui, 6 avril 2016, le président de la république a choisi une nouvelle façon de rendre hommage au père de la nation, celui qui fut jadis son patron. Voilà qu’une statue équestre de Bourguiba est désormais érigée à l’entrée de la ville de Monastir. Un cérémonial digne, sobre, respectueux a été de même tenu au Mausolée de Bourguiba. Monastir a vêtu sa robe des fêtes les plus joyeuses quand bien même endolorie à jamais par la disparition de son unique leader de tous les temps ! Mais après ? Devrons-nous ronger notre frein encore plus longtemps en exprimant des trémolos à chaque fois que l’on écaillera des murs la mémoire de Bourguiba sur un ton sépulcral?! Une statue enjolivant encore plus la ville de Monastir ou bientôt la grande avenue du centre ville portant son nom est-ce suffisant pour éviter que la mémoire de Bourguiba ne s’effrite par pans entiers et tenir ses enseignements et sa doctrine tels des volutes de fumées?
Les trois présidents récitent la fatiha à la mémoire du toujours imité et jamais égalé.
Un trésor bafoué
Non ! Le clairon a joué ses plus graves notes et fait signe d’explorer d’autres pistes de Bourguiba que celles qui font guise de fond de commerce ou d’instrumentalisation du peuple dans le but de truffer la corbeille à voix sous l’égide des prochaines échéances électives ! Nous avions pour mission de poursuivre le chemin, d’assurer la suite, de mener à bon port le projet de Bourguiba, celui de la toute la nation. Où en sommes-nous dans ce long et périlleux voyage ?! A implanter une statue par-ci, à coller un gigantesque poster par-là et à emprunter une parole ou deux au père de la nation pour s’attribuer crédit et reprendre une image diamantine ?!
Nous sommes, hélas, à mille lieux du compte. Nous n’avons guère réussi à préserver ce trésor qui nous a été légué par Bourguiba. Nous l’avons bafoué au nom de la nouvelle ère et de la démocratie qui, pourtant tarde à insuffler réverbération sur le peuple et le pays. Il y a plusieurs décennies, le zaïm avait dit que le peuple tunisien n’est pas encore prêt à la démocratie, à croire qu’il ne l’est toujours pas. Qu’est ce qu’un pays démocratique si les mémoires effectives et les enseignements charnus de leurs grands leaders sont confinés dans une boîte à double verrous ?!
Alors qu’avons-nous fait de plus qu’une statue pour Bourguiba ?!
* Journaliste indépendante.
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