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Sfax capitale de la culture arabe : Les Sfaxiens en première ligne

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La gestion de l’événement ‘‘Sfax capitale de la culture arabe’’ par le ministère de la Culture témoigne d’un souci de centralisme inadapté à l’esprit de la démocratie tunisienne.

Par Moncef Kamoun *

Moncef-KammounSfax est une ville impossible où le taux de mortalité est nettement supérieur à la moyenne nationale en raison d’une pollution qui sévit depuis les années 50 et des infrastructures et équipements publics qui sont indignes de la seconde ville du pays.

Sfax la mal aimée

Le retard du développement de Sfax n’a pas été le fruit du hasard; la ville a connu cinq décennies d’oppression et d’abandon. Habib Bourguiba a bien abandonné la ville. C’est ainsi qu’en 1952, Sfax a vu s’implanter la Siape, une usine extrêmement polluante, sur la côte et à 4km du centre-ville; puis, dans les années 60, une deuxième usine aussi polluante voit le jour, la NPK, qui a été implantée au bord de la mer, de l’autre côté de la ville, comme si c’était pour mieux polluer Sfax et sa mer. Et c’est ainsi que Sfax est devenue l’unique ville côtière au monde qui tourne le dos à la mer.

Quant à Ben Ali, il n’a pas seulement poursuivi l’abandon de la deuxième ville du pays, mais il a aussi attaqué toutes les entreprises créées par les élites de Sfax au point de prendre de force le contrôle des meilleures d’entre elles dans tout le pays.

La ville, si longtemps isolée et négligée et avec la croissance démographique et le développement urbanistique qui n’ont pas été accompagnés par la réalisation adéquate d’infrastructures et l’action environnementale requise, ne sait plus compter ses déboires.

Sfax, aujourd’hui, est presque coupée de tout : un petit aéroport aménagé très tardivement après une multitude de batailles de la société civile locale et qui ne fonctionne presque plus; un port ridiculement petit ne pouvant même pas accueillir les conteneurs et ne fonctionnant qu’à 30% de ses capacités; une voie ferrée qui reste inchangée depuis la colonisation; des routes dans un état désastreux; aucun échangeur ou presque; une circulation urbaine qu’il est impossible de pratiquer si on n’est pas de la région et les grands projets, tels Taparura, le métro, le complexe sportif et le CHU, sont toujours sur le papier.

Cela a entraîné la fuite de ses capitaux, l’investissement en chute libre dans une ville réputée pour son dynamisme et le sens de l’entrepreneuriat de ses habitants.

Capitale de la culture arabe en 2016

La Ligue des Etats arabes, dans le cadre du Programme des capitales culturelles de l’Unesco pour promouvoir et célébrer la culture arabe et encourager la coopération dans la région du Maghreb et la Moyen-Orient, a désigné, après Tunis en 1997, Sfax capitale de la culture arabe pour l’année 2016. C’est un honneur à la juste valeur de cette ville qui dispose d’un riche héritage culturel et civilisationnel et d’un important patrimoine matériel et immatériel. C’est aussi un événement sans précèdent dans l’histoire de cette prestigieuse ville et qui ne manquera certainement pas d’ouvrir les portes à d’autres événements, de même importance, dans plusieurs autres domaines.

Il faut noter aussi que cette manifestation coïncidera avec le 60e anniversaire de la création du gouvernorat de Sfax (juin 1956) et avec le 30e anniversaire de la création de son université (août 1986).

Le ministère de la Culture a annoncé la mise en place de trois commissions de travail pour assurer le succès à la manifestation, une commission régionale chargée du suivi sur le terrain, une commission de coordination avec les ministères et les autorités compétentes et une commission de soutien.

Le 23 décembre 2014, le même département a dévoilé la composition du comité exécutif de la manifestation, une équipe pluridisciplinaire choisie parmi les membres de la société civile de Sfax.

Depuis sa nomination et pendant toute l’année 2015, le comité a travaillé sur le programme de l’événement et n’a ménagé aucun effort pour lui conférer l’éclat dont la ville de Sfax est digne, un travail dur en silence laissant au succès faire du bruit.

Des préparatifs sous le signe «La culture nous unit, Sfax nous rassemble» qui vont certainement redorer l’image de la ville de Sfax et que toute la Tunisie va être mise en avant grâce à cette manifestation.

Le 22 décembre 2015, le comité d’organisation a dévoilé les principales composantes de la manifestation et ses principaux objectifs dont notamment l’inscription de la médina de Sfax dans le patrimoine mondiale de l’Unesco, faire en sorte que les citoyens de Sfax retrouvent la mer, créer une médiathèque «nouvelle génération» au centre-ville, et, enfin, partant du principe de la décentralisation, mettre en place une démocratie participative dans les collectivités locales.

Le programme est donc composé essentiellement de trois projets stratégiques, le premier étant la valorisation de la médina à travers la restauration de ses remparts, la revalorisation de son espace public et un ensemble d’initiatives dont notamment la création d’une rue pilote entre Bab Al-Diwan et Bab Al-Kasbah, la restauration d’une école husseïnite ainsi que le Fondouk Al-Haddadine.

Le deuxième chantier a une vocation écologique et environnementale importante puisqu’il concerne la réconciliation de Sfax avec la mer, principalement à travers la réhabilitation de l’ancien port de pêche, Chatt Al-Kreknah, et le réaménagement d’espaces publics.

Le dernier chantier consiste à réhabiliter l’église de Sfax et la transformer en médiathèque de dernière génération qui sera un incontournable espace d’échange et de savoir ouvert au grand public, un projet révolutionnaire, le premier en son genre à l’échelle arabe et africaine.

Madame la ministre de la Culture, quelque jours après sa nomination à la tête de ce département, a visité Sfax et informé le comité que la présidence du gouvernement a donné son accord pour accroître le budget alloué à la manifestation, sachant que le comité exécutif de la manifestation avait proposé auparavant à la tutelle une augmentation de 25 millions de dinars (MD) au budget initial, qui est de l’ordre de 10 MD.

Et depuis, le ton du ministère et sa représentation à Sfax ont changé et certains directeurs de l’administration nationale exercent une pression sur le comité d’organisation en imposant leurs décisions et considérant ledit comité comme un simple organe de suivi sur site.

Par ailleurs, et sans aviser le comité, cette représentation a établi un programme parallèle et l’a fait circuler sur les réseaux sociaux, ce qui a causé le blocage du travail sur le projet.

Sous cette pression, le comité d’organisation s’est trouvé dans l’incapacité de continuer et a présenté sa démission.

Deux jours après, le ministère de la Culture a annoncé, dans un communiqué, qu’elle acceptait la démission sans même remercier quiconque et désigné Houda Kchaou comme coordinatrice principale de l’événement.

L’administration doit faire sa révolution

Le peuple tunisien a fait sa révolution et l’administration doit faire la sienne. Pour assurer la réussite de notre révolution, celle-ci doit être globale et impliquer toutes les sensibilités et les structures du pays, et d’abord l’administration qui était, durant plus que 23 ans, sous la mainmise du régime. Elle était politisée à fond et au service d’un régime plutôt que des citoyens. Cette situation qui a créé un sentiment de méfiance et de rupture entre l’administration et les citoyens.

Pour regagner la confiance perdue, l’administration tunisienne doit faire sa propre révolution, pour se libérer des chaînes, accomplir sa vraie mission et être réellement une administration citoyenne.

La constitution stipule, par ailleurs, dans son article 14, que «l’État s’engage à soutenir la décentralisation et à l’adopter sur tout le territoire national dans le cadre de l’unité de l’Etat».

La décentralisation vise à donner aux collectivités locales des compétences propres, distinctes de celles de l’État et à rapprocher le processus de décision des citoyens, favorisant ainsi l’émergence d’une démocratie de proximité. La décentralisation vise, également, à améliorer l’efficacité de l’action de l’Etat.

Sfax a tout à fait les moyens d’assumer ses responsabilités en impliquant tout le monde dans la conception des affaires et sortir du «voir petit». Cela est possible grâce à une culture du travail et du travail bien fait et un esprit d’entrepreneuriat. Et il se fera, bien sûr, avec une mobilisation et une solidarité entre Sfax-ville et son arrière-ville et entre la région de Sfax et toutes les régions du centre et du sud.

L’événement «Sfax capitale arabe 2016» doit être grandiose certes mais rien n’est impossible quand on décide de réaliser nous-mêmes nos rêves.

Il faut croire et être passionné et fonceur pour y arriver car un véritable entrepreneur bâtit son entreprise par passion.

Il faut justement à notre avis une équipe pluridisciplinaire qui croit au projet et à son importance pour la ville. Une équipe formée par des personnes qui savent se donner le pouvoir d’agir quand les choses deviennent difficiles.

En effet, croire en soi, c’est se permettre de voir ce que nous voulons et se donner l’énergie nécessaire pour l’obtenir. Croire en soi, c’est se battre encore et encore sans jamais renoncer. Peu importe les difficultés qui se dressent sur leur chemin, les croyances deviennent réalités.

*M. K. Architecte.

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