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Scandale des Stents périmés : A qui profite le crime ?

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Les cardiologues collaborant avec les cliniques privées, exercent également dans le secteur public et font appel aux mêmes fournisseurs des stents. L’affaire n’est qu’à ses débuts.

Par Zohra Abid

Cette affaire révélée au grand jour début mai dernier et qui a été soumise à la justice, selon un communiqué du ministère des Affaires sociales, publié le 1er juillet dernier, continue à faire couler beaucoup d’encre.

La version officielle

Saïd Aïdi, ministre de la Santé, a affirmé, mardi dernier, lors d’une conférence de presse, que des mesures disciplinaires nécessaires seront prises à l’encontre de toutes les parties impliquées. Il a, par la même occasion, rendu public la liste des cliniques fautives et donné le nombre des médecins suspectés d’avoir utilisé des stents périmés, sans nommer aucun d’entre eux. M. Aïdi a cité 14 cliniques privées : Montplaisir, St Augustin, Pasteur, Taoufik, El-Amen, El-Manar, Hannibal, Carthagène, Ibn Zohr, Les Berges du Lac, Ibn Rochd à Nabeul, Rahma à Mahdia, Al-Alia et Al-Bassatin à Sfax. Il a parlé également de 49 cardiologues. L’un d’eux exerce dans le public, et 106 patients auxquels on aurait posé des stents périmés. Il a été enfin annoncé la fermeture des salles de cathétérisme cardiaque dans toutes les cliniques impliquées pour des périodes allant de 1 à 3 mois.

Mercredi, le ministère de la Santé a annoncé, dans un communiqué, la mise en place d’un numéro vert (80.101.919) à la disposition de ces patients, et ce dans le but de les encadrer et les tenir informés de l’évolution de cette affaire qui est, désormais, du ressort de la justice.

Ce qu’on ne vous a pas dit

Du côté des cliniques, on refuse de porter seuls le chapeau, car, dit-on, les autorités sont, de manière ou d’une autre, impliquées, à des degrés différents et chaque partie doit assumer sa part de responsabilité. C’est le message que les membres de la chambre syndicale des cliniques privées ont transmis, aujourd’hui, à la direction de l’Utica, la centrale patronale.

Les hôpitaux publics, où la majorité des malades sont soignés et où les mêmes cardiologues et les mêmes circuits de fournisseurs opèrent, sont sans doute aussi impliqués au même titre que les cliniques privées. «Il y a une défaillance, dès le départ, dans le système, qui fonctionne de la sorte depuis près d’une vingtaine d’années. L’Autorisation de la mise sur le marché (AMC) n’a été mise en place qu’il y a tout juste 2 ans», a indiqué l’un des directeurs des cliniques impliquées dans ce scandale, dans une déclaration à Kapitalis.

««Les stents ne représentent pas un article pharmaceutique sur les 1000 existant généralement et en permanence dans le stock d’une clinique,ils sont plutôt en système Dépôt/Vente, ce qui explique que les stents périmés aient pu échapper à la vigilance de la direction», a-t-il ajouté, non pour justifier cette grave défaillance, mais pour expliquer le fait qu’elle ait pu arriver.

«Cette affaire a mis à nu un dysfonctionnement majeur dans l’approvisionnement et la traçabilité des stents. Nous réitérons d’ailleurs notre demande pour que l’enquête en cours détermine cette chaîne des défaillances et d’en établir les responsabilités», précise, à ce propos, le communiqué de la Société tunisienne de cardiologie et de chirurgie cardiovasculaire (STCCCV), publié le 19 juillet dernier.

Crime sur ordonnance

Selon notre interlocuteur, les poseurs des stents collaborent, librement et directement, avec leurs fournisseurs et la clinique assure juste le dépôt de ces produits. Il explique : «Nous travaillons avec une vingtaine de cardiologues et chacun a ses propres fournisseurs. Ces stents sont fabriqués au Mexique, en Inde, en Irlande… La clinique n’intervient pas. Notre tort, c’est de ne pas avoir la main sur le stock, géré uniquement par le médecin, qui est seul maître à bord; c’est lui qui demande tel ou tel stent de telle ou telle dimension et le lot est fourni en son nom et suivant sa demande. La clinique ne dispose en fait d’aucun document. Ce système n’est pas propre à notre clinique; il est le même partout».

La clinique n’intervient, en réalité, qu’à la fin de l’opération, après la pose du stent, pour remettre à la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) le document rempli par le médecin. «J’ai porté plainte contre 3 techniciens travaillant dans notre clinique, car ce sont eux qui sont constamment présents pendant l’intervention et qui devraient être au courant de la date périmée. A mon niveau, je peux affirmer, aujourd’hui, qu’il y a complicité entre le médecin, le fournisseur et le technicien», précise le médecin et directeur de la clinique. Qui tient à souligner le rôle de la CNAM : «Une fois la pose du stent et l’examen postopératoire terminés, le médecin présente à l’administration un document dans lequel sont indiquées les références du stent ainsi que la vignette, obligatoire pour le bon de commande et la facturation à la CNAM».

La CNAM, qui dispose de toutes les références, devrait normalement et avant de valider la facture, vérifier toutes ces références à la virgule près : l’origine du stent fourni par le médecin, sa date de fabrication et sa date de péremption. Le fait-elle systématiquement?

Selon d’autres sources, le médecin touche de la CNAM, 850DT par pose de stent et de son fournisseur, la bagatelle de 500DT par unité, qui plus est, en dessous de table. Sans parler d’autres avantages en nature comme à titre d’exemple, des voyages offerts à l’étranger.

La facturation est de 2.500DT pour la pose d’un stent actif (enrobé de médicament) et 800DT pour le stent nu (métallique) et pour les services et la salle de cathétérisme cardiaque, la clinique touche 200DT.

«Le trafic des stents périmés a échappé à ma vigilance. En bon gestionnaire, je devais faire plus attention. J’assume ma part de responsabilité et je mérite d’être sanctionné, mais je refuse de servir de bouc émissaire», ajoute notre interlocuteur. Car, selon lui, «la clinique n’est pas le principal maillon de la chaîne dans cette affaire, le réseau de trafic se trouvant derrière.»

Il convient, cependant, de dédramatiser cette affaire, car, selon plusieurs cardiologues, le niveau de risque du stent périmé demeure très faible. N’empêche que les patients ayant fait l’objet de la pose d’un stent périmé doivent être pris en charge et suivis. C’est ce que le ministère de la Santé s’est engagé à faire. Affaire à suivre.

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