Barack Obama et sa conseillère voilée Rumana Ahmed.
Grâce à leur «contreterrorisme soft-power» ou stratégie de «guerre des cœurs», les Etats-Unis ont réussi à changer leur image auprès des jeunes musulmans européens.
Par DJ Analysis
Ce changement est aussi le fruit d’une stratégie d’«USA branding» mise en route sur la durée.
En 2008, quelques mois après l’élection de Barack Obama, une étude privée a été mené auprès de 300 jeunes musulmans européens: anglais, allemands et français. Plusieurs questions leur ont été posées dont les 3 principales sont : Pour eux quels étaient les 3 pays du monde les plus hostiles aux musulmans? Pourquoi ils considéraient ces pays comme hostiles (il fallait donner au moins deux exemples d’actes, de lois, de comportement hostiles)? Est-ce qu’ils étaient prêts à s’engager intellectuellement ou physiquement contre ces pays jugés hostiles ?
Il serait trop long de revenir dans le détail sur toutes les questions et les réponses mais voici en synthèse les résultats : 85% jugeaient les Etats-Unis comme le pays le plus hostile aux musulmans; 79% évoquaient deux raisons principales à savoir les tortures des soldats américains (prison d’Abou Ghraib en Irak, etc.) et les assassinats des civils musulmans (par des attaques aériennes mal ciblées ou par les assassinats de sang-froid commis par des soldats américains); 72% se disaient prêt à s’engager contre les Etats-Unis
L’enquête a été menée de manière non officielle et informelle par des personnes proches des jeunes musulmans afin que ceux-ci soient à l’aise et répondent de manière naturelle.
En 2015, la même question a été posée à la même cible et les résultats sont étonnants sur deux points. D’abord, les Etats-Unis ne sont plus cités comme pays ennemis et anti-islam par ces jeunes, remplacés, dans l’ordre, par la Syrie, la Birmanie et la France.
Ensuite, Etats-Unis sont même perçus comme respectueux de l’islam et des musulmans en général.
Que s’est-il passé entre-temps ? Comment ces jeunes ont-ils changé de position à l’égard des Etats-Unis ?
La réponse se trouve dans l’étonnante stratégie mise en place par les Etats-Unis pour la «conquête des cœurs des musulmans».
Retour à l’ère Bush
Malgré leur puissance médiatique, militaire, de renseignement humain et électronique, les Etats-Unis étaient considérés, durant l’ère Bush, comme le Grand Satan par les jeunes musulmans des grandes villes européennes. Leur haine des Etats-Unis était tellement forte qu’ils allaient par dizaines se battre contre leur armée en Afghanistan et en Irak.
Conscient de leur image catastrophique auprès des musulmans, les Américains ont, peu après l’élection de Barack Obama, changé leur stratégie médiatique, qui a même fait un virage à 180 degrés. L’objectif était, désormais, non plus de tuer les adversaires, mais de s’en rapprocher, en application de la stratégie préconisée par Machiavel : «Si tu peux tuer ton ennemi, tue-le; sinon fais-t-en un ami» (‘‘Le Prince’’).
Cette stratégie a-t-elle vraiment réussi ? Il semble que oui, comme le montre le sondage déjà cité, réalisé auprès de plus des 300 jeunes européens de confession musulmane.
Mais concrètement, quels ont été les techniques utilisées par les Etats-Unis pour garantir ce succès ?
1- L’effet du discours fondateur du Caire
Quand on sait que les déclarations, actes et discours du président des Etats-Unis sont préalablement étudiés, analysés et scénarisés, compte tenu de leurs conséquences géopolitiques, économiques et militaires réelles, on comprend mieux les raisons qui ont poussé l’administration américaine à insister pour que le discours du Caire soit donné à Al-Azhar.
Il faut bien savoir qu’au début, Moubarak voulait que le discours soit donné à au parlement égyptien, mais les Etats unis ont refusé et insisté pour que ce soit dans la prestigieuse mosquée.
En plein cœur d’Al-Azhar, haut lieu du savoir de l’histoire musulmane, citant régulièrement le Coran comme dans un prêche du vendredi, devant toutes les télévisions du monde arabe, un homme prononce un discours devant une assemblée de dignitaires musulmans égyptiens. Cet homme n’est pas un imam, mais le président Obama. Quelques morceaux choisis : «Les relations entre l’islam et l’Occident ont été marquées par des siècles de coopération et de coexistence, mais aussi par des conflits et des guerres de religion. Plus récemment, ces tensions ont été nourries par le colonialisme, qui a privé de droits et d’opportunités bien des musulmans (…) Aussi longtemps que nos relations seront définies par nos différences, nous renforcerons ceux qui sèment la haine plutôt que la paix et ceux qui promeuvent le conflit plutôt que cette coopération susceptible de nous aider tous à instaurer la justice et la prospérité. Ce cercle du soupçon et de la méfiance doit s’achever.»
Tirant un trait sur ce passé colonial, il va même jusqu’à faire siennes des paroles coraniques qui sont sacrées pour tout musulman, ce que n’avait jamais fait avant aucun chef occidental.
«Je suis venu ici à la recherche d’un nouveau départ entre nous et les musulmans du monde, un nouveau départ fondé sur l’intérêt partagé et le respect mutuel. Comme il est dit dans le Saint Coran : ‘‘Soyez conscients de Dieu et dites toujours la vérité’’. Je m’attacherai ici à dire la vérité. En tant qu’étudiant en histoire, j’ai appris la dette de la civilisation envers l’islam. C’est en effet l’islam qui a porté la lumière de la connaissance pendant des siècles et rendu possibles la Renaissance et les Lumières en Europe.»
Obama souligne aussi l’apport des musulmans à son pays, les États-Unis : «Et depuis notre création, les musulmans américains ont beaucoup apporté aux États-Unis. Ils ont combattu dans nos guerres, servi dans nos gouvernements, se sont battus pour les droits civiques, ont monté des affaires, enseigné dans nos universités, excellé dans les enceintes sportives».
Après avoir valorisé l’islam et le rôle du musulman considérant qu’il fallait le respecter comme acteur à part entière du monde, Barack Obama se pose même en avocat de l’islam dans le monde entier. «Le partenariat entre l’Amérique et l’islam doit se fonder sur ce qu’est l’islam, et non sur ce qu’il n’est pas. Et je considère qu’il relève en partie de ma responsabilité, en tant que président des États-Unis, de combattre tous les stéréotypes négatifs associés à l’islam, où qu’ils apparaissent. En outre, en Amérique, la liberté est indissociable de la liberté de culte. C’est pourquoi le gouvernement américain a recouru aux tribunaux pour défendre le droit des femmes et des filles à porter le hijab et pour punir ceux qui voudraient les en empêcher. De même est-il important que les pays occidentaux s’abstiennent d’empêcher les citoyens musulmans de pratiquer leur religion comme ils l’entendent – par exemple en décidant arbitrairement quel vêtement une femme musulmane doit porter. Nous ne pouvons pas déguiser l’hostilité à l’égard d’une religion derrière le prétexte de la défense des libertés». (On soulignera ici l’allusion à peine masquée à la France).
Plus que de la realpolitik ou de pragmatisme, dont ils sont coutumiers, comme leur rapprochement récent avec l’Iran, ou du soft power, comme les centaines de films financés pour discréditer le communisme, les Etats-Unis vont plus loin.
Ils ont compris que cet ancien type de procédé communicatif de plus en plus visible et «grossier » est contre-productif en terme d’image, pour les pays «financeurs» face à des jeunes musulmans de plus en plus instruits et connectés au réseaux d’information.
Au lieu d’essayer d’influencer l’autre avec ses valeurs, en montrant qu’elles sont meilleures et qu’il faut les suivre, on se rapproche fortement des valeurs de l’autre en signifiant qu’on les partage totalement. On va même plus loin en signifiant qu’on n’en est le défenseur !
Les Etats Unis ne disent plus «suivez l’American way of life parce qu’il est le meilleur» mais, plutôt, «nous vous respectons et nous respectons votre histoire, votre culture et votre religion.»
Au-delà de ce discours du 4 juin 2009, ce genre avancé de «soft power» ou de «guerre des cœurs» a été décliné partout en Europe via des opérations puissantes de communication inscrites dans la durée.
2- L’offensive des diplomates américains
Dans le même temps, les diplomates américains ont entamé une véritable campagne de séduction ciblant les jeunes musulmans des quartiers en Europe, allant même jusqu’à partager régulièrement chez certains l’îftar de rupture du jeûne pendant le ramadan.
3- L’«origine musulmane» d’Obama
Par ailleurs, le message selon lequel les musulmans américains font partie de l’élite américaine a été parfaitement été reçu par les jeunes musulmans européens.
Aux Etats-Unis, l’image largement médiatisée de la conseillère voilée du président Obama, Rumana Ahmed, a tellement été partagée et appréciée dans les banlieues européennes que tous les jeunes musulman(e)s connaissent aujourd’hui cette femme.
Dans ce grand pays, la communication subtile, répétée voire même orchestrée, insinuant qu’Obama est d’origine musulmane a eu un impact positif sur les musulmans, même si elle apparaît parfois comme menée à l’insu du président lui-même. Ainsi, chaque jeune musulman, qui continue de subir la stigmatisation médiatique quotidienne en Europe, se sent, par l’effet d’empathie, encore plus proche du sympathique président américain et donc des États-Unis.
Ces derniers n’apparaissent plus, comme au temps de Georges Bush, comme un ensemble homogène et monolithique animé par un fort sentiment anti-musulman.
Une communication efficace sur le long terme
Force est donc de constater que l’animosité à l’encontre des Américains a beaucoup baissé chez les jeunes musulmans d’Europe occidentale. Qui peut en effet soutenir que l’image des États-Unis est, aujourd’hui, la même que ce qu’elle était sous la présidence de Georges Bush? L’Amérique est pourtant sur les mêmes terrains de guerre. Et maintient la même position sur le conflit israélo-palestinien, jugée favorable à l’Etat hébreu.
En conclusion, on peut affirmer que, grâce à leur stratégie de «guerre des cœurs», les Etats-Unis ont renforcé leur sécurité par des moyens moins couteux et, surtout, moins violents qu’une stratégie sécuritaire classique.
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