Plage de Sidi Ali El-Mekki.
Le lac de Ghar El-Melah et la plage de Sidi Ali El-Mekki subissent un désastre urbain et écologique, dans l’indifférence générale. La ligne rouge a largement été dépassée.
Par Tarak Arfaoui
Le lac de Ghar El-Melah et la plage de Sidi Ali El-Mekki subissent ces dernières années des agressions sans précédent. Le site est progressivement défiguré du fait de l’incivisme et du vandalisme de nos chers concitoyens, qui, laxisme des autorités aidant, sont en train de polluer et de massacrer son environnement dans l’impunité la plus totale.
Un beau paysage naturel défiguré
Il est peut être inutile de décrire la splendeur du site de Sidi Ali El-Mekki à Ghar El-Melah (ancien Porto Farina) et la particularité de sa lagune, certainement l’un des plus beaux paysages naturels de la Tunisie. Sa proximité de la capitale et sa plage exceptionnelle font le bonheur des estivants qui le prennent d’assaut en été mais aussi actuellement tout le long de l’année. L’étroitesse de l’accès à la plage, l’absence de toute organisation à son niveau, les constructions anarchiques qui ont fusé de toute part après la révolution de 2011 et le nombre ahurissant de visiteurs, surtout les weekends, ont engendré, ces dernières années, un tohu-bohu indescriptible qui a complètement défiguré le site, transformant le paisible village de pêcheurs au charme si particulier avec ses vestiges chargés d’histoire et sa magnifique plage en une foire d’empoigne avec son corollaire de gargotes, de cafés-restaurants, de cabanes et de taudis dignes des plus exécrables bidonvilles.
A Sidi Ali El-Mekki, ce merveilleux cap quasi désertique, il y a quelques années, un nouveau village spontané a vu le jour après la révolution, érigé à l’emporte-pièce à coup de constructions anarchiques sans permis, ni plan directeur, ni cadastre, ni évacuation d’eaux usées.
Les autorités, particulièrement les différents gouverneurs qui se sont succédé, aux abonnés absents, ont laissé faire malgré toutes les protestations des habitants et des organisations de la société civile. Il est évident que cette gabegie n’aurait jamais existé si la gangrène de la corruption et des passe-droits n’est pas passé par là.
Les autorités autorisent tous les abus
Quand on s’adresse à la municipalité de Ghar El-Melah, les responsables renvoient la balle au gouverneur de Bizerte, arguant que le site n’est pas sous sa dépendance administrative. Ceci n’empêche pas ladite municipalité de profiter de la situation, avec paraît-il l’aval du gouverneur, en délivrant cette année aux gargotiers et plagistes une centaine d’autorisations (je dis bien une centaine!) pour une bande de plage de 2 kilomètres qui ne peut contenir qu’une vingtaine (à quelques milliers de dinars par unité soit une enveloppe totale estimée à 250.000 dinars ) et d’enfoncer encore le clou en donnant en concession à un privé (moyennant un forfait de 100.000 dinars!) un simulacre de parking sur un terrain marécageux non protégé et non gardé permettant aux vacanciers d’avoir accès à la plage contre un ticket d’entrée payant.
Encouragés par les «autorités», puisque payant un droit de jouissance, les gargotes et restaurants rudimentaires situés au bord de l’eau sont en fait de véritables hors-la -loi n’obéissant à aucune réglementation, à aucune tarification, à aucune TVA, et n’ont aucune évacuation sanitaire; ainsi les eaux usées sont dérivées vers la plage ou, pire encore, vers le lac, et les ordures sont enterrées in-situ, dans le sable de la plage, ou déversées dans les criques environnantes transformées en dépotoirs.
Le lac, déjà asphyxié par la jetée du nouveau port qui a dévié les courants marins et ensablé son embouchure naturelle, si vitale, le faisant communiquer avec la mer (le «boughaz»), subit actuellement le poids d’une lourde pollution qui retentit inexorablement sur ses équilibres écologiques. Sa faune maritime se fait de plus en plus rare et la pêche artisanale, qui faisant vivre bon nombre de familles, n’est plus rentable; les oiseaux migrateurs ont disparu, et la culture maraîchère, typique de Ghar El-Melah, par effet osmotique en terrain salé, unique en son genre en Tunisie, est lourdement menacée.
Paillotes et gargotes très particulières
Plus grave, les constructions anarchiques en béton au bord du lac les pieds dans l’eau, carrément sur le domaine publique maritime (DPM) où toute construction est en principe strictement interdite, ont complètement défiguré le site aussi bien du côté du continent (sur la route menant vers la plage) que du côté de la mer. Récemment, sur la presqu’île qui sépare le lac de la mer (connue sous le nom d’El-Hay), une nouvelle activité lucrative a vu jour cette année, avec l’installation, par quelques profiteurs, sur le domaine publique, de nouvelles paillotes et gargotes très particulières, loin de tout contrôle, spécialisées dans des services douteux où les estivants s’éclatent entre festins et bacchanales utilisant une puissante logistique avec des navettes par bateaux et réservation sur internet.
Devant la quasi-absence de réaction des autorités, ce désastre urbain et écologique n’est pas prêt de s’arrêter. La municipalité est à la fois complice et léthargique; le gouverneur de Bizerte, un comparse qui sommeille, l’Agence de protection du littoral (sic !) fait la sieste et le ministre de l’Environnement sortant roupille. Au train où vont les choses, outre la défiguration déjà actée du site, l’agression des bords du lac de tous les côtés et l’incivisme rampant de nos chers concitoyens vont inéluctablement détruire les équilibres écologiques du lac et aboutir à son agonie.
Je lance ici un énième appel aux autorités et en premier lieu au nouveau ministre de l’Environnement, Riadh Mouakher, pour aller vérifier au plus vite l’état des lieux et prendre de toute urgence les mesures idoines afin de limiter les dégâts et préserver ce qui reste de la splendeur hélas perdue du site dont peu de gens connaissent l’histoire millénaire.
En parodiant le fameux anathème de Caton l’ancien, en remplaçant Carthago, on arrivera, au train où vont les choses, un jour, à dire «Rusucmona* Delenda est» !
* Rusucmona est le nom phénicien de Porto Farina (Ghar El-Melah).
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