Sans une ouverture large sur l’usage de la langue anglaise, les congrès de médecine en Tunisie s’apparenteront toujours à un dialogue confiné dans la sphère francophone.
Par Dr Mounir Hanablia *
Comme chaque année, le congrès national de la de la Société tunisienne de cardiologie et de chirurgie cardiovasculaire (STCCCV), la grande foire de la cardiologie, qui se déroule du 23 au 26 novembre, à Hammamet, réunit les plus grandes compétences du pays pour communiquer les résultats des derniers travaux scientifiques menés dans les différents services hospitalo-universitaires, et traiter de certains sujets suscitant des discussions ou bien simplement nécessitant la recherche de consensus, sinon pour attirer l’attention sur les nouveautés, ou rappeler les normes reconnues ayant cours et dont le respect ne souffre aucune discussion.
La participation étrangère, particulièrement française, à cette grand-messe s’avère généralement assez consistante. Il faut reconnaître que les professeurs en médecine français invités possèdent généralement un potentiel pour emporter l’adhésion assez remarquable né en grande partie de l’aisance avec laquelle ils manipulent leur propre langue, mais aussi la parfaite maîtrise des connaissances dont ils font preuve et qui nécessite de la part de l’auditeur un esprit d’autant plus critique que souvent le modérateur ne fait qu’exprimer son expérience ou son opinion propre, qui elle ne fait nullement partie du consensus.
Les médecins tunisiens et la langue française
Le lien intriqué entre l’information scientifique et la langue dans laquelle elle est communiquée est quand même suffisamment important pour ne pas être ignoré, et en Tunisie il a été la conséquence de l’histoire de l’enseignement de la médecine, les premiers médecins, ceux qui ont eu la charge de créer puis diriger les premiers services hospitaliers du pays, et qui ont créé les premières facultés de médecine, étaient tous issus des facultés françaises, et plus tard, ils ont continué à envoyer ceux qu’ils considéraient comme étant les meilleurs parmi leurs étudiantes se former dans les services de leurs collègues et anciens camarades de facultés français.
Il faut reconnaître que beaucoup de médecins français avaient réciproquement accompli leur initiation professionnelle dans certains domaines comme le cathétérisme dans des services de notre pays ce qui leur avait permis d’acquérir une expérience pratique qui plus tard avait facilité grandement leur réussite professionnelle et la reconnaissance de leurs compétences.
Mais naturellement le nombre de Français ayant accompli leur service militaire dans des services de médecine tunisiens est demeuré très minime comparativement à ces dizaines de médecins tunisiens ayant acquis les dernières connaissances théoriques et techniques dans des services français.
La recherche médicale en Tunisie se fait presque exclusivement en français.
Cependant dans le domaine de la cardiologie et de la chirurgie cardiaque les patients tunisiens avaient pendant des années bénéficié de prises en charge délivrées par les caisses de prévoyance sociale de notre pays afin de se soumettre à des actes curatifs en France, mais avec le temps le nombre toujours croissant de ces interventions avait fini par imposer de très lourdes charges financières auxquelles l’autorité politique, après 1987 il faut le reconnaître, décidait finalement de se soustraire en créant des services hospitaliers tunisiens possédant les compétences et les équipements requis pour une prise en charge optimale des malades.
La cardiologie tunisienne dans la sphère de la francophonie
Malgré cela, et pour les raisons précitées, l’influence française en particulier dans le domaine de la cardiologie était demeurée d’autant plus puissante que les travaux de recherche réalisés en Tunisie devaient, pour acquérir un label de sérieux et de crédibilité, être publiés dans des revues scientifiques françaises, et que dans le cursus universitaire tunisien les travaux publiés dans des revues françaises bénéficiaient de bonifications beaucoup plus importantes que celles des revues tunisiennes. Et ceci démontrait clairement qu’à l’échelon mondial, la cardiologie tunisienne n’acquérait sa légitimité qu’en tant que sous-produit de la cardiologie française.
Mais ce fait , aussi bénéfique qu’il eût été, avait son inconvénient, qui était d’interdire à la cardiologie tunisienne l’accès aux grandes manifestations internationales nécessitant une maîtrise parfaite de la langue anglaise, et ce n’est que ces dernières années que les nouvelles générations, en particulier avec la mondialisation et l’afflux de produits pharmaceutiques et technologiques issus des quatre coins du monde, ont commencé à communiquer en anglais dans les congrès, mais c’est un phénomène qui pour le moment demeure marginal et qui peut être prendra de l’ampleur avec le renouvellement des générations.
Il faut avouer à ce propos que rares ont été les chefs de service qui avaient tiré tout leur prestige de leurs relations avec la France et de leur maîtrise de la langue française, à faire l’effort pour se convertir à l’usage de l’anglais, et le prix à payer pour la cardiologie tunisienne en avait été son confinement dans la sphère provinciale de la francophonie.
C’est que, en fin de compte, si la Tunisie a pendant plusieurs années pu bénéficier pour ses étudiants en spécialités médicales de formations en France de haute qualité, le prix à payer en avait été finalement la promotion de la langue française. Qui plus est la cardiologie en particulier était devenue pour des raisons de parrainage par des personnalités proches des plus hautes sphères politiques, un peu la vitrine scientifique moderniste que le régime politique du pays désirait projeter à l’extérieur dans un but de propagande et de légitimation. Et c’était là une nouvelle fois, un usage politique de la médecine.
Abstraction faite de tout le formalisme entourant l’organisation de ces congrès et s’apparentant souvent à des cérémonies religieuses, consacrant par des rites stéréotypés une hiérarchie tirant sa légitimité essentiellement de la communication scientifique, force est de constater que sans une ouverture large sur l’usage de la langue anglaise et l’esprit critique l’accompagnant, les congrès de médecine dans notre pays s’apparenteront toujours à un dialogue fermé entre, d’un côté de la Méditerranée, une élite scientifique en mal de reconnaissance, et de l’autre, une élite nostalgique d’une grandeur disparue de son pays .
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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