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Projet avorté d’«émirat» dans la rive sud de Montréal

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Nabil Warda et le siège de sa société à Montréal. 

Un promoteur immobilier musulman a voulu lancer un projet immobilier pour créer ce qui pourrait ressembler au noyau d’un «émirat islamique» à Montréal, au Canada.

Par Jamila Ben Mustapha *

Les pays ayant une grande tradition d’immigration comme le Canada se trouvent obligés de faire face au problème suivant: les populations nouvellement arrivées doivent-elles s’intégrer totalement dans la société d’accueil en épousant ses valeurs? Jusqu’à quel point peuvent-elles continuer à y manifester leurs spécificités culturelles? Un juste milieu est-il concevable entre les valeurs du pays qui les héberge et celles de leur culture d’origine?

Un projet immobilier halal

Ces questions viennent inévitablement à l’esprit quand on pense au projet initié par Nabil Warda, un Canadien d’origine égyptienne, fiscaliste auditeur de son état, promoteur immobilier à Brossard, ville située au sud de Montréal.

 
Il a voulu créer un quartier résidentiel réservé à une centaine de familles musulmanes qui auraient acquis leur logement selon les principes des finances islamiques, c’est-à-dire en bénéficiant de prêts sans intérêt, et où elles auraient vécu en partageant des «valeurs communes», but principal pour lequel cette initiative a été présentée.
Cette proposition, sans doute attrayante aux yeux du promoteur, aussi bien pour des raisons idéologiques que financières, a suscité, vers la mi-novembre, une vive polémique au Québec.

Envisagée sur un plan pratique, la question qu’on aurait à résoudre si ce projet prenait forme, serait de savoir si un non-musulman exprimant le désir d’habiter dans ce quartier, pourrait essuyer un refus au nom d’un critère religieux? Cela n’est pas possible car cette attitude contreviendrait à la charte des droits et des libertés du Québec qui refuse toute discrimination, religieuse notamment.

Ce débat a été clos le 14 novembre dernier par le premier ministre québécois, Philippe Couillard, qui a refusé net ce projet en affirmant : «Il n’est pas question de faire de la discrimination. La discrimination, cela va dans tous les sens. L’inclusion va dans tous les sens. On favorise la mixité de l’habitation autant pour les communautés culturelles que les religions. C’est fondamental pour nous.»

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Pour Nabil Warda, son projet vise à amener un peu de chaleur humaine dans les résidences. 

D’insolubles contradictions

En effet, ouverture et fermeture sont des attitudes possibles au sein de la population d’accueil, mais aussi de la population immigrée. Le projet de M. Warda pousse ainsi à tenir compte de la notion de réciprocité, le refus de l’autre risquant d’apparaître de chacun des deux côtés.

Du point de vue de la population immigrée, comment peut-on souhaiter s’établir ailleurs et exiger un traitement à part, aller contre les principes généraux de l’égalité et du respect de l’autre dans sa différence?

Peut-on désirer résider à l’étranger, puis remettre en question les règles du vivre-ensemble et tourner le dos au pays d’accueil en voulant créer une micro-société qui fonctionnerait selon d’autres normes que les siennes?

Il est vrai que cette population doit éviter deux écueils – s’ouvrir à l’autre quitte à perdre son identité ou s’enfermer sur soi quitte à rejeter l’autre – et trouver un juste équilibre entre ces extrêmes.

Souhaiter créer un ghetto propre à soi vous met ainsi dans d’insolubles contradictions. D’une part, on se plaint d’être rejeté comme immigré si on souffre de racisme, de l’autre, on peut être tenté de s’isoler de la société d’accueil et ériger ses propres frontières en reproduisant en miroir, la même attitude de rejet.

Certes, le pays d’immigration a l’obligation d’accueillir dans de bonnes conditions, les populations désirant s’installer chez lui. Mais ces dernières aussi sont astreintes à des devoirs. Elles ne peuvent pas se complaire seulement dans le rôle de victimes en tant que minorités pouvant être mises à l’index, mais risquent de se trouver aussi l’objet de vives critiques si elles veulent outrepasser leurs droits et imposer leurs propres règles à la société d’accueil.

Parallèlement au projet avorté de Brossard, à peu près au même moment, a été décrétée par les Israéliens à l’autre bout du monde, à Jérusalem-Est, l’interdiction de l’appel à la prière dans les mosquées palestiniennes. Voilà que les habitants de cette ville ont réagi, le vendredi 18 novembre, en montant sur leurs toits pour faire cet appel de façon collective : beauté et originalité de cet acte de défi!

Il est évident que nous avons là, deux situations opposées : dans la seconde, il s’agit d’une manifestation de résistance, d’une revendication légitime d’identité en réaction à un étouffement de la liberté de croyance et d’expression, de la part de populations brimées sur leurs propres terres séculaires par un occupant venu de l’extérieur, et qui veut imposer sa loi. En définitive, les uns veulent s’affirmer un peu plus qu’il ne faut, sur la terre des autres. Les autres sont bâillonnés sur leurs propres terres.**

* Universitaire.

** Le titre est de la rédaction. 

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