En Tunisie, les intégristes religieux n’ont cessé de se renforcer en satellisant ou en vampirisant les supposés démocrates.
Par Farhat Othman *
De là à parler d’une alliance entre eux et ce qui ne serait qu’un salafisme profane, il n’y a qu’un pas que les derniers projets de loi obligent à sauter.
Stratégie islamiste retorse
Déjà, du temps de la défunte troïka, une telle alliance était évidente; ce qui a permis au parti Ennahdha de tout faire ou presque avec la caution morale de supposés alliés démocrates. Ce fut bien une fausse alliance où l’intégrisme religieux a dominé le pays. La preuve en est que la législation scélérate de la dictature est restée en l’état ou presque.
Cela a continué avec le parti dit libéral, arrivé premier aux dernières élections. Son péché mignon porté sur les affaires a, en effet, donné aux islamistes une énorme marge de manœuvre pour le manipuler à sa guise; ce dont ils ne se sont pas privés, au point de faire éclater le parti.
Une telle stratégie de la part de nos intégristes est gagnante à force de ruse tortueuse. Or, elle ne s’est pas limitée à la manipulation des partis politiques, puisqu’elle a su s’imposer aussi aux associations de la société civile, y compris les plus véhémentes dans leur opposition au parti Ennahdha. Ce dernier a effectivement usé à merveille du dogmatisme de ses adversaires et de leur laïcisme islamophobe pour arriver à ses fins, tout en sauvegardant son propre dogmatisme.
Stratégie associative islamophobe
Il suffit d’observer la gestion des récents projets de loi dans des matières sensibles pour réaliser à quel point, au vrai, nos associations servent la stratégie islamiste du maintien en l’état de la législation scélérate dans ses dispositions les plus symboliques, bien qu’abolies par la Constitution.
Ainsi assiste-t-on à ce qui ne serait, pour le moins, qu’une complicité objective entre les religieux et les militants des droits humains qu’on voit se satisfaire de l’accessoire dans leurs revendications, au lieu d’aller au principal, se révélant intégristes à leur manière, des salafistes profanes !
Cela s’explique par le fait que ces militants sont sous la coupe d’organisations occidentales qui les soutiennent tout en leur dictant leurs propres choix stratégiques. Or, de tels milieux d’Occident ont bien intérêt à ce que l’islam reste conforme à l’image de la religion obscurantiste qu’ils s’évertuent à donner de lui.
Cela sert, en retour, la stratégie intégriste, lui permettant de se positionner en défenseur de l’islam attaqué par ses ennemis et l’étranger. Ce qui a de l’écho, à bon droit, auprès des masses trompées au nom d’une fausse authenticité.
Illustrons ici une telle alliance entre salafistes religieux et profanes avec trois thèmes sensibles superbement ignorés par les militants alors que le moment n’a jamais été aussi propice pour une avancée majeure sur le plan législatif, faisant sauter le verrou religieux et moral dans nos lois.
Égalité successorale
Le projet de loi de lutte contre les violences faites aux femmes illustre à merveille cette néfaste stratégie qui, directement ou indirectement, sert les intérêts de l’islam intégriste. Rappelons que c’est un projet qui n’est pas propre à la Tunisie et qu’on retrouve au Maroc et ailleurs. Il s’agit donc d’un produit formaté par des officines occidentales servant leurs visées islamophobes en pays d’islam.
Comment, en effet, prétendre s’attaquer à des violences mineures quand on ferme les yeux sur la première violence qui soit, celle de l’inégalité successorale dans nos pays? Est-ce raisonnable?
Bien évidemment, les militants peuvent toujours rétorquer que la question est trop sensible pour s’y attaquer; mais est-ce sérieux? Cela veut-il donc dire que l’on ne cherchera pas à obtenir l’égalité successorale en islam? Pourquoi alors en parer? Or, c’est possible, bien plus que jamais. Faut-il ne pas se laisser rouler dans la farine par les intégristes ou se révéler être leur complice objectif !
Viol de mineur
Dans ce même ordre d’idée consistant à parler du moins important pour ne pas avoir à évoquer le principal, on se focalise sur le viol de mineur que représente l’article 227 bis du Code pénal. Or, c’est un viol juridique pour l’essentiel, en ce sens qu’il a souvent lieu sans violence et avec consentement. C’est que, légalement et à juste titre, le consentement du mineur est nul.
Il n’empêche, qu’au départ, l’intention de l’article n’est pas mauvaise, puisqu’il ne s’agit pas, en général, du viol classique, mais de rapports souvent consentis par le mineur, même s’ils ne constituent pas moins un viol.
Surtout, on ne peut ignorer la réalité sociale qui est celle du déni du droit au sexe aux jeunes, y compris les adultes consentants. De plus, les jeunes de treize ans sont aujourd’hui sexuellement mûrs et ne supportent plus la misère d’un sexe interdit qu’on leur impose.
N’aurait-il pas été plus judicieux, honnête et sain, de s’attaquer à une telle misère sexuelle chez les jeunes, et aussi chez les adultes, au lieu de créer de toutes pièces une fausse réalité, n’ayant d’existence que théorique, étant surtout idéologique, déconnectée de notre réel social ?
Abolition de l’homophobie
L’article 227 bis est loin d’être le plus scélérat du Code pénal; il y en a de bien plus, telle cette horreur qu’est l’article 230. Pourquoi donc ne pas commencer par lui qui, outre l’homophobie et les tests anaux, autorise le test de virginité?
Il est totalement inique et aberrant que le projet de loi actuellement examiné par le parlement sur les violences faites aux femmes, dénombrant des articles du Code pénal à abolir, s’arrête curieusement à l’article 227 bis sans oser aller au-delà. Quelle logique emporte une telle démarche, sinon une totale déconnexion des réalités du pays dans une complicité intégriste agissante?
Ce projet est une autre illustration éloquente du lobbying orienté des Ong en Tunisie tenues de justifier les fonds perçus auprès de leurs sponsors par l’obtention d’un impact précis sur les seuls thèmes jugés pertinents selon les impératifs occidentaux. On ne fait donc que coucher notre société dans le moule d’une stratégie étrangère à nos réalités. Ce qui renforce fatalement l’intégrisme.
Dépénalisation du cannabis
L’autre exemple d’actualité est celui du projet de réforme de la législation sur le cannabis. C’est encore une preuve de la connivence entre milieux démocrates et esprits rétrogrades. Ainsi, on n’ose pas ce qui tombe sous le sens, à savoir la dépénalisation totale de la consommation du cannabis. Ce qui donne l’occasion aux islamistes de manœuvrer, jouant aux plus libéraux, les moins dogmatiques.
Surtout que rien n’empêche ces derniers de proposer un amendement au projet actuel et de le voter; car ils disposent bien d’un nombre suffisant de députés pour le faire. S’ils ne s’en retiennent, c’est qu’ils sont encouragés dans leur jeu d’embrouille par le dogmatisme du camp supposé moderniste.
Libéralisation totale de l’alcool
La même chose est à dire enfin à propos de l’alcool dont la liberté de consommation et de commerce sans restrictions saugrenues (vente le vendredi, par exemple) est tenue en échec par des textes obsolètes, notamment par des circulaires totalement illégales.
Il faut dire que les religieux jouent ici de l’apparence de liberté dans certains commerces pour occulter les restrictions et les empêchements à une telle liberté fondamentale. Là comme ailleurs, ils font état d’un mythique conservatisme social et d’une fausse opposition populaire, qui ne sont que le fait de minorités agissantes, bien minoritaires dans la société, mais soutenues par le parti intégriste.
Aussi, il faut impérativement arrêter de se laisser tromper ainsi et oser enfin mettre les islamistes du parti Ennahdha devant leurs responsabilités. Cela veut dire d’assumer les devoirs d’un parti se devant de se conformer aux impératifs de l’État de droit séparant la sphère publique, où n’entre point la religion, de la sphère spirituelle qui est strictement intime. D’ailleurs, c’est la juste lecture de l’islam ne mélangeant en vérité et en aucune façon les domaines public et privé; et c’est sa laïcité ignorée.
* Ancien diplomate et écrivain, auteur de ‘‘L’Exception Tunisie’’ (éd. Arabesques, Tunis 2017).
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