Sept Premiers ministres en 7 ans: Ghannouchi, Caïd Essebsi, Jebali, Larayedh, Jomaa, Essid et Chahed.
Même si ce n’est pas la seule raison, l’instabilité gouvernementale depuis 2011 a considérablement affaibli économiquement la Tunisie.
Par Jamel Dridi
La preuve est apportée par la plus importante étude scientifique menée sur la question. Et les statistiques qui vont suivre sont, à cet égard, édifiantes.
Durant l’ère politique de Bourguiba, qui a duré 30 ans (de 1957 à 1987), il y a eu 5 premiers ministres, soit un changement de gouvernement tous les 6 ans en moyenne.
Durant le règne de Ben Ali, qui a duré 24 ans (de 1987 à 2011), il y a eu 3 premiers ministres, soit un changement de gouvernement tous les 7 ans en moyenne.
Depuis 2011, c’est-à-dire en 6 ans, il y a eu pas moins de 7 premiers ministres et 9 gouvernements, soit un changement de gouvernement tous les 8 mois en moyenne.
L’instabilité gouvernementale tue la croissance
La preuve scientifique, si l’on peut dire, entre la stabilité gouvernementale et la croissance économique a été apportée en 1996 par ce qui est considéré comme étant l’étude la plus importante sur la question.
Cette étude (appelée Alesina) menée par les professeurs Alberto Alesina de l’Université d’Harvard, Sule Özler de l’Université de Californie, Nouriel Roubini de l’Université de New York et Phillip Swagel de l’Université Northwestern aux Etats-Unis, a portée sur 113 pays sur la période allant de 1950 à 1982.
Ces chercheurs ont étudié le lien existant entre l’instabilité politique des pays et leur croissance économique, le dynamisme des investisseurs locaux et l’attraction des investisseurs étrangers.
Leurs conclusions sont sans appel. Comme l’on peut sans douter l’imaginer, les pays avec des gouvernements stables sur la durée réalisent des taux de croissance en moyenne 3 fois supérieurs à ceux de gouvernements éphémères.
Et l’un des exemples les plus édifiants que citent ces chercheurs est celui de l’Argentine. En 1965, ce pays faisait partie des 20 pays les plus riches du monde, avec un niveau de PIB supérieur à celui du Japon. Mais entre 1965 et 1995, il a connu une forte instabilité politique, marquée par plusieurs coups d’État. Le Japon, au contraire, a connu un climat de forte stabilité politique. Résultat des courses : en 2000, le Japon était l’un des pays les plus puissants du monde quand l’Argentine était KO économiquement, à la merci des diktats des institutions financières internationales.
L’instabilité politique est donc un obstacle majeur à la croissance économique. Des changements gouvernementaux nombreux conduisent souvent à des politiques publiques qui ne s’inscrivent pas dans la continuité des précédentes.
Ce qui conduit les agents économiques, à adopter une attitude attentiste en reportant ou en annulant toute initiative susceptible d’accroître le volume des investissements et à rechercher des pays plus stables pour y investir et entreprendre.
Le cercle vicieux est enclenché
L’instabilité politique a des conséquences encore plus pernicieuses. Le pire est que se met en place un cercle vicieux car une faible croissance économique due à une instabilité politique tend à augmenter la probabilité qu’un pays devienne encore plus instable.
En effet, l’insatisfaction populaire et des élites, due à une économie faible, crée des tensions et des incitations à des activités antigouvernementales dures (actions syndicales, protestations populaires…) rendant plus plausibles les possibilités des changements de gouvernement ou même les coups d’État.
Toujours selon les résultats de l’étude précitée, le taux moyen de croissance économique s’élève à 2,8% pour l’ensemble des 113 pays de l’échantillon sur la période allant de 1960 à 1982, pour une année où il n’y a pas eu de changement gouvernemental.
Ce taux chute de moitié ou devient négatif quand il y a un changement gouvernemental fréquent. Dans le cas d’un changement brutal, comme un coup d’Etat, ou une démission forcée du Premier ministre, le taux devient carrément négatif.
Au final, en Tunisie, des gouvernements à la durée de vie plus longue que les 10 mois qu’ils ont connu jusque-là est une condition nécessaire pour créer la confiance et permettre le retour des investisseurs et l’engagement des acteurs économiques locaux et étrangers.
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