Après Ben Salem, Briki, Jalloul et Zribi, à qui le tour ?
D’un limogeage à l’autre, et au rythme où vont les nominations injustifiées et les destitutions éclaires, le gouvernement Chahed va se trouver bientôt réduit en charpie.
Par Yassine Essid
Au point où nous en sommes et où les choses iraient désormais, nous ne voyons pas pourquoi les rescapés de l’actuel gouvernement, y compris leur chef, Youssef Chahed, ne bénéficieraient pas, après le limogeage de deux d’entre eux, d’une assistance psychologique.
Après Abdeljalil Ben Salem, ex-ministre des Affaires religieuses, limogé le 4 novembre 2016, et Abid Briki, ex-ministre de la Fonction publique et de la Gouvernance, remercié fin février 2017, la manière brutale avec laquelle le ministre de l’Education nationale, Neji Jalloul, et la ministre des Finances, Lamia Zribi, furent destitués de leur dignité, le 30 avril 2017, avait quelque chose de scandaleux.
Cellule d’écoute de ministres en souffrance
Pour des événements aussi choquants pour leurs collègues, des cellules devraient être mises en place après chaque remaniement ministériel partiel afin de prendre en charge les survivants qui seront inévitablement victimes d’un stress post-traumatique. Des spécialistes des névroses politiques, accompagnés éventuellement d’une infirmière, interviendraient systématiquement sur les lieux du drame, la Kasbah forcément. Une salle d’écoute prévue à cet effet, permettrait de reconnecter les membres embarrassés du gouvernement, à la réalité par une présence rassurante et une mise en mots de ce qui vient de se passer.
On leur expliquera ainsi que la situation varie selon que le ministre limogé est perçu comme responsable de ce revers, auquel cas il l’aurait bien cherché, ou qu’il ne soit au contraire que la victime expiatoire envoyée au sacrifice pour une négligence ou une faute bénigne. On leur dira que ce n’est guère leur faute, qu’ils ont fait ce qu’ils pouvaient et qu’il ne s’agit que de mesures dont on peut désapprouver le bien-fondé, mais qui demeurent inhérentes au métier à haut risque du politicien qui n’est point marqué du sceau des intouchables. Un métier de surcroît aussi précaire qu’ingrat.
Dans le cas où des symptômes de découragement, de lassitude voire de révolte contre ce qui apparaît aux yeux de certains d’entre eux comme une injustice insupportable, il est alors vivement recommandé d’aborder profondément l’émotion afin de les aider à surmonter un tel drame, les rassurer en leur rappelant que les ministres passent, que leur fonction est éphémère, qu’il y a une autre vie après le pouvoir aux fins de préserver l’efficacité et la bonne marche de la gouvernance.
Y a-t-il une vie après le pouvoir ?
Quant aux inconsolables ministres limogés, qui sont passés brutalement de l’ivresse du pouvoir, les avantages qui vont avec, la déférence et la considération respectueuse des honnêtes gens à leur passage, à la solitude de la marginalisation qui les oblige à raser les murs ou à rêver d’exil, le traitement prescrit est autrement plus sérieux. Ceux-là seront soumis à un sevrage assisté afin de prévenir toute complication. On procédera, pour commencer, par une désensibilisation décroissante pour leur éviter les troubles de manque qui finiront de se manifester chez certains d’entre eux particulièrement perturbés.
Des émotions violentes, parfois explosives ou paralysantes, seront identifiables suite à un diagnostic rapide vu que leurs cas sont bien accentués: ils lancent des propos en l’air, font usage de paroles médisantes, de messages incendiaires, menacent de tout dire sur le népotisme, le favoritisme et les emplois fictifs octroyés par la présidence de la république à des médiocres incompétents, dénoncent les privilèges indus dont certains conseillers du Premier ministre bénéficient aux dépens du contribuable, avertissent l’opinion publique de révéler les dossiers délicats de corruption dans lesquels certains de leurs anciens collègues seraient impliqués et bien d’autres incohérences qui laissent indifférentes les autorités.
Des traitements spéciaux s’avèrent dans de tels cas inévitables, tels les sédatifs et les anxiolytiques. Enfin, pour réduire toute cette agitation, il faut surtout leur éviter l’isolement. Un entourage bienveillant est alors fortement recommandé.
Pour tous ceux qui font l’objet de déchéance d’une haute fonction, il y a évidemment l’art et la manière. Destituer un ministre de l’Education de sa responsabilité la veille des examens de fin d’année, c’est comme relever de son commandement un officier d’état-major en pleine bataille. Plus grave, un gouvernement particulièrement affaibli, formé d’incurables niais, aurait donc, de guerre lasse, cessé d’éluder les injonctions répétées d’un syndicat du secteur éducatif constitué d’un groupuscule d’odieux maîtres-chanteurs aidés, il faut l’avouer, par un Premier ministre plus que jamais frileux.
Dans le cas de la ministre des Finances, son limogeage est d’abord imputable à la maladresse complète, désormais bien installée, dans le choix des grands commis de l’Etat. En majorité dépourvus de toute doctrine, incapables d’imaginer une ombre d’action, d’illustres inconnus promus à des fonctions ministérielles, se retrouvent aussitôt réduits, en dépit de la grandeur de leur fonction, à de petits personnages encombrants, insignifiants, bien que censés présider aux destinées de l’Etat.
Devinez qui va être limogé demain ?
Il faut vraiment faire preuve d’une candeur intrépide pour leur donner le titre de ministre. Cependant, si Néji Jalloul, qui a fait de l’ambition politique sa principale doctrine, car tourmenté à l’infini par l’angoisse de perdre son statut de ministre et fut la cible de l’attitude intransigeante de l’UGTT, la ministre des Finances, quant à elle, est coupable de son manque évident de prudence et de circonspection, on dira légèreté. Elle n’a pas eu la lucidité de jugement des gens intelligents qui savent décliner une fonction qui dépasse leurs compétences. Ses déclarations irresponsables sur l’effondrement inéluctable de la valeur du dinar, sans égard quant aux effets de tels propos sur la compétitivité des entreprises déjà bien mises à mal par l’état d’anarchie que traverse le pays, avaient provoqué la colère du patronat.
D’ailleurs, au sein même du gouvernement, l’un de ses collègues, ministre des biens publics, avait exigé publiquement sa démission. Du jamais vu !
Voilà donc les deux partenaires sociaux, l’Utica et l’UGTT, les centrales patronale et syndicale, entretenant traditionnellement des rapports conflictuels, qui se retrouvent, par une grâce inespérée, réconciliés et récompensés la veille du rituel du 1er mai, en dépit des valeurs opposées qu’ils défendent par leurs incessantes incantations. Les uns, sur les impératifs du progrès économique et la valeur du sacrifice, les autres, sur l’indispensable préservation des intérêts et de la dignité du travailleur.
Après des mois de vaseux barbotages, notre valeureux chef du gouvernement se retrouve d’autant plus éloigné des fermes résolutions proclamées lors de son discours d’investiture et qui se voulait le fer de lance d’une Tunisie fière d’elle-même. Le revoilà, debout cette fois devant l’inconnu total, incapable de résister à la facilité qui consiste à lutter contre la déflagration politique par les éternels limogeages suivis de nominations de fidèles, qualifiées toujours de gens de confiance, sans être forcément des personnes de courage ou de compétence. Des valses-hésitations qui finissent toujours mal.
La disparition totale de tous les repères, la déroute du parti du gouvernement, l’incapacité de faire face à une agitation sociale qui prend chaque jour de l’ampleur, préfigurent d’autres drames qui finiront bien un jour par se cristalliser sur un limogeage au sommet.
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