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La Tunisie dans le viseur de Daêch (1/4)

Tunisie-Garde-nationale

Premier volet d’une série de 4 articles au titre générique ‘‘L’Etat minimum et la 3e génération du jihad’’, sur la lutte contre le terrorisme en Tunisie.

Par Malik Ayari*

L’armée des invisibles est horizontale, sans hiérarchie, et se propage de façon omnidirectionnelle. Auto-radicalisés à domicile, ou radicalisés à distance depuis la Syrie ou l’Irak, les jihadistes ciblent désormais l’ennemi proche, le «tyran» («taghout» en arabe).

Le nouveau jihad, d’Al-Qaïda à Daêch

La Tunisie, jadis ménagée par les jihadistes comme terre de prédication («ardh daawa»), s’achemine vers le statut peu envié de domaine de la guerre («dar el-harb») à la faveur de la folie meurtrière de l’Etat islamique (Daêch).

«Nous sommes désormais à la 3e génération du jihad où à la verticalité d’Al-Qaida (Ben Laden payait les billets d’avion, l’entrainement au pilotage et sélectionnait les équipes), Daêch oppose l’horizontalité, une stratégie analogue à celle du rhizome révolutionnaire théorisée par Deleuze», analysait Gilles Kepel.

Abou Moussa Al-Souri, l’homme qui avait opérationnalisé ce nouveau jihad, l’avait bien compris et c’est cette dynamique qu’il a cherché à promouvoir en réaction au 11 septembre d’Oussama Ben Laden avec qui il était en désaccord sur la stratégie à adopter: l’Amérique disait-il, ennemi lointain, était encore trop forte, trop puissante pour que l’on puisse s’y attaquer frontalement.

L’Europe, avec ses immigrés marginalisés et les régimes «impies» d’Afrique du nord, véritables ventres mous, présentaient beaucoup plus d’attraits en tant que cibles, du fait de leur proximité.

La Tunisie, naviguant douloureusement sur la voie de la transition, constitue désormais la quintessence même de ces cibles: frapper l’ennemi proche et l’ennemi lointain en même temps.

La Tunisie constitue la base arrière rêvée au Maghreb, notamment pour Daêch en Libye, à l’image de la Turquie pour Daêch en Irak et en Syrie. La menace est lourde.

Pour se défendre, la tentation est grande pour la Tunisie de compter, légitimement, sur l’aide extérieure en continuant à capitaliser sur l’image de plus en plus élimée de bon élève du désormais labellisé «printemps arabe».

L’attentat de Sousse, le 26 juin 2015, est un indicateur de la montée en puissance de la stratégie jihadiste visant justement à couper les capacités d’interaction de la Tunisie avec l’extérieur, comme le soulignait Alain Chouet, ancien directeur de la DGSE, à propos de l’attentat du Bardo, le 18 mars 2015, qui constituait, disait-il, «le prolongement de la stratégie d’Ennahdha» (mais ça n’est pas le propos ici).

Le pays se retrouve très affaibli par cette épreuve, mais non dénué de ressources. Limiter la menace est encore possible, pourvu d’accepter la complexité et le caractère multiforme que requiert la riposte.

Quatre ans de «daêchisation» rampante

Un diagnostic, si possible partagé, est le préalable à tout protocole thérapeutique. Il a pourtant constitué le parent pauvre de la transition démocratique en Tunisie, la classe politique faisant preuve de peu d’empressement dans le traitement de la question du terrorisme.

L’Assemblée nationale constituante (ANC), véritable foire d’empoigne, n’a pas voulu créer la profondeur de champ nécessaire à un débat apaisé sur le risque jihadiste.

Déni et manœuvres politiciennes ont ainsi présidé au processus, privant la société tunisienne des repères nécessaires à la prévention contre ce cancer, dont les métastases menacent aujourd’hui l’ensemble du corps social.

Le courage politique est une denrée rare en ce moment en Tunisie: parmi les mesures plus au moins concrètes annoncées par le chef du gouvernement Habib Essid figure ainsi une conférence nationale sur le terrorisme, après plus 4 ans de «daêchisation» rampante. Un terrible gâchis.

Le constat actuel interpelle ainsi par son caractère complexe et multiple.

(A suivre)

Demain : La Tunisie face au brasier Libyen (2/4)

* Expert en prévention des conflits au Sahel, diplômé de l’Université de Paris I en droit international et sur le monde arabe, et de l’Institut Bioforce en gestion de projet humanitaire international.

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