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De Gouyette à Poivre d’Arvor : Petite leçon de diplomatie pour les nuls

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La levée de bouclier suscitée par les récentes déclarations de Poivre d’Arvor traduit une susceptibilité improductive et une méconnaissance de la diplomatie.

Par Assâad Jomâa *

L’un des avatars de la «kermesse» postrévolutionnaire : tout le monde estime être autorisé à statuer sur tout, n’importe comment. Dans le cas d’espèce, ce dysfonctionnement est non seulement préjudiciable aux intérêts de la Tunisie, mais, plus grave encore, il risquerait de porter atteinte à la sécurité nationale.

Examinons les faits pour commencer. Dans une déclaration à RTL à l’issue de la Conférence des Ambassadeurs au Quai d’Orsay, Olivier Poivre d’Arvor, qui a récemment débuté sa fonction à la tête de l’ambassade de France en Tunisie, est revenu sur sa nouvelle nomination et sur sa succession à François Gouyette, déclarant : «Ma mission principale est d’assurer la sécurité des Français qui se trouvent en Tunisie. Il y a 30.000 ressortissants, presque 15.000 jeunes dans des lycées français. Ce sont des cibles. Il faut pouvoir les protéger, notamment dans les pays comme la Tunisie dont on sait qu’ils sont fournisseurs de jihadistes».

Une susceptibilité déplacée et improductive

Une véritable levée de boucliers s’en est suivie. Et les vieux démons resurgirent. Les internautes s’en donnèrent à cœur joie. Les médias se mirent de la partie. Certains «représentants du peuple» surenchérirent. La fibre «nationaliste» des partis politiques fut exacerbée. Et tout ce beau monde, s’autoproclamant experts ès diplomatie, fit chorus à une indignation aussi légitime que généralisée. «Attitude fort peu diplomatique», «propos inamicaux pour ne pas dire néocolonialistes», «l’honneur des Tunisiens a été bafoué», «la souveraineté nationale jetée aux orties», pouvait-on lire ça et là.

Une meilleure connaissance du mode de fonctionnement du Quai d’Orsay et de la diplomatie en général aurait suffi à éviter pareil tohu-bohu. Pour faire court, celui-ci ne se distingue de la «Grande Muette» que par sa volubilité, sinon pour tout le reste c’est du pareil au même. Le mot d’ordre y est invariablement: discipline, rigueur et service de l’Etat.

L’on comprendra que, dans ces conditions, le diplomate français n’était sûrement pas en mal d’épanchement, confessant sur les ondes de RTL quelque état d’âme. Il rendait publiques les instructions qu’il avait reçues. Celles-ci étant étayées par des rapports classés sous la rubrique «Secret défense», elles ne peuvent être formulées qu’en termes de réconfort et d’apaisement à l’adresse des Français résidant en Tunisie.

Quels enseignements devrions-nous, Tunisiens, en tirer? Telle est la véritable question. Quant à s’en offusquer, ce serait non seulement faire preuve de susceptibilité déplacée, mais surtout totalement improductive. Or, le problème est de taille. Il y va de notre sécurité nationale.

Décodés à bon escient, les propos du diplomate français sont les signes avant-coureurs d’une zone de hautes turbulences au plan sécuritaire. Le problème du voisin libyen, bien-sûr, mais aussi, à bien entendre le message de M. Poivre d’Arvor, l’évolution de la situation syrienne. Vos «enfants» envoyés dans ces contrées feront du grabuge une fois rentrés au bercail… Préparez-vous y ! Et s’agissant de ces deux dossiers en particulier, les services secrets français savent de quoi ils parlent !

Caressez-le dans le sens du poil et il n’y verra que du feu

En lieu et place, nous nous en sommes offusqués. Ce qui nous a valu la tartine du prédécesseur de M. Poivre d’Arvor, François Gouyette, qui nous réchauffé le plat du «printemps arabe» mélangé à la sauce du «merveilleux peuple tunisien». «La Tunisie est-elle… une exception au sein du monde arabe? Certainement. L’expérience de la transition démocratique a réussi. Il reste à transformer l’essai aux plans économique et social. Quatre ans, c’est peu, somme toute, pour accomplir ce chemin», déclara l’ex-ambassadeur de France en Tunisie dans une interview qu’il a accordé au journal ‘‘Le Point Afrique’’. C’est qu’après avoir passé quatre ans parmi nous, il est en parfaite maîtrise de la psychologie du Tunisien : caressez-le dans le sens du poil et il n’y verra que du feu. Et, ce faisant, il n’avait pas tort. Les offusqués d’hier se frottent, aujourd’hui, les mains d’aise : la France s’étant platement excusée, pensent-ils, indécrottables.

En fait, c’est bien M. Poivre d’Arvor qui a rendu service aux Tunisiens, en attirant leur attention sur les risques sécuritaires qu’ils encourent, et c’est bien M. Gouyette (sur le départ faut-il le rappeler ?) qui les a bernés.

Petite leçon de choses quoi !

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