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L’égalité successorale fera-t-elle éclater l’alliance Ennahdha – Nidaa ?

La proposition présidentielle pour l’établissement de l’égalité successorale risque de troubler quelque peu le consensus de façade entre Ennahdha et Nidaa.

Par Jamila Ben Mustapha *

La proposition présidentielle concernant le projet d’établissement de l’égalité successorale entre l’homme et la femme, n’en finit pas de provoquer des remous et de dévoiler ses multiples conséquences.

Elle a d’abord le mérite de susciter un débat véritable entre ceux qui la soutiennent et ceux qui la critiquent.

Elle contribue aussi à souligner le rôle avant-gardiste de la Tunisie parmi les nations arabes : notre pays a été, en effet, le premier à adopter l’abolition de l’esclavage en 1846, le Code du statut personnel et le droit de vote pour la femme en 1956 ainsi que son droit à l’avortement en 1973…

Une alliance aux conséquences néfastes

Mais elle aura peut-être pour effet de troubler quelque peu le consensus de façade entre Ennahdha et Nidaa, deux partis ayant, au départ, des projets de société tout à fait opposés.

Initié tout d’abord pour contribuer à éviter la guerre civile, ce consensus a eu l’immense inconvénient d’empêcher l’identification des commanditaires de l’assassinat des dirigeants de gauche Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi, des responsables des réseaux spécialisés dans l’envoi des jihadistes en Syrie, ainsi que d’entraver la campagne de lutte contre la corruption lancée par le gouvernement et que ces deux partis ne sont pas en train de soutenir activement.

Cette alliance de fait entre eux a aussi le gros désavantage de mettre à mal le processus démocratique naissant en permettant à ces deux partis de «faire la loi» au sens propre aussi puisqu’ils constituent une majorité écrasante à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

Sous les régimes d’Habib Bourguiba et de Zine El Abidine Ben Ali, nous avions un parti unique ou quasi unique. On pourrait trouver qu’il a été remplacé, depuis 2014, par une formation majoritaire à deux têtes.

Cette entente basée sur des intérêts bien compris empêche aussi la nécessité d’une nette démarcation entre les deux tendances politiques fondamentales en Tunisie : le conservatisme, et le modernisme si mal représenté par Nidaa.

Concernant les actions des gouvernants, nous sommes passés, en Tunisie, de l’attitude d’éloge systématique à celle d’une suspicion tout aussi systématique. À ceux qui soutiennent cette initiative, on les accuse d’avoir la mémoire courte et d’être des citoyens éternellement bernés. Or, on a à juger les actes d’un homme politique au cas par cas, les critiquant si cela est nécessaire et les acceptant s’ils vont dans l’intérêt du pays.

Les mauvais arguments des islamistes et des autres

Quant aux arguments avancés contre cette proposition, ils sont au nombre de quatre : elle risque d’être un ensemble de paroles non suivies d’application, vu la force des oppositions de toutes sortes qu’elle va rencontrer; elle répond à des préoccupations électoralistes; elle ne vient pas au moment opportun; et enfin, le temps est plutôt à la concentration sur les problèmes d’ordre économique.

À propos du premier point, lorsque des paroles équivalent à la transgression d’un tabou et contribuent à faire sauter un verrou vieux de plusieurs siècles, elles dépassent le simple niveau linguistique pour équivaloir à un début d’acte. Le débat est maintenant ouvert et la bataille pour la réalisation de ce projet peut démarrer.

Ensuite, quant une initiative va dans le sens de l’histoire, elle est bonne à prendre quelles que soient les intentions prêtées à son auteur (électoralistes ou pas) et le moment où elle surgit est toujours le bon.

On retrouve étonnamment, à cette occasion, la focalisation sur les priorités économiques chez les partisans d’Ennahdha comme argument avancé contre l’égalité successorale, eux qui ne jurent plus, à ce propos, que par ce facteur, alors que leurs préoccupations véritables se rapportent plutôt aux mœurs et au poids de la religion dans la société.

Le mérite de la mise en avant du problème de l’égalité dans l’héritage est que les dissensions des uns et des autres se révèlent au grand jour et que nous connaissons, aujourd’hui, une situation politique plus saine qu’hier; que chacun se dévoile : les conservateurs de toujours, les nouveaux faux modernistes mus par leurs intérêts matériels et les vrais défenseurs des droits humains.

* Universitaire et écrivain. Son dernier roman ‘‘Rupture(s)’’ a recu le Prix Découverte Comar.

 

 

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