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Bloc-notes: Il est temps d’appliquer en Tunisie l’islam correctement interprété!

Marche nationale pour légalité entre l’homme et la femme, Bardo, samedi 10 mars 2018.

Aucune politique ne réussira en Tunisie si elle ne s’attaque de front à la fausse interprétation de l’islam et son instrumentalisation; l’égalité successorale doit donc être réalisée au plus vite.

Par Farhat Othman *

On l’a vu avec la salutaire manifestation pour l’égalité des sexes en matière successorale, des voix injustes et haineuses — se prétendant parler au nom de l’islam, pourtant foi de paix et de justice — se sont levées pour s’y opposer, colportant leurs faussetés sur une foi qu’ils caricaturent tout en en violant l’esprit humaniste et rationaliste universel.

On a aussi vu se taire ceux qui peuvent aider à sortir le pays d’une telle ignominie pour ne pas avoir à découvrir leur fond de pensée qui ne diffère pas ou si peu des vues de pareils faussaires. Car ils refusent tout autant l’égalité successorale au nom du tabou de la sacralité formelle du texte coranique, alors qu’elle est plutôt dans ses visées.

Erreur sur la religion

Une telle violation de l’islam véritable prônant, comme on le sait, une parfaite justice absolue entre les créatures, s’explique par le grave fait que les uns et les autres se trompent lourdement sur la nature du sacré en islam qui est moral et fonctionnel et non matériel, attaché à la lettre des mots et négligeant l’esprit. Or, l’esprit est supérieur à la forme matérielle et donc aux mots qui ont besoin d’être interprétés selon leur esprit et leur visée.

Le plus grave est que de tels intégristes dogmatiques arrivent encore à tromper les larges masses par leur discours haineux pour le genre humain et surtout pour le génie de leur foi, se découvrant donc les meilleurs complices des ennemis de l’islam. Par conséquent, il est impératif de multiplier les actions afin de sortir le pays au plus vite d’un tel obscurantisme, et ce en agissant pour la réforme de ses lois qui se prétendent faussement conformes à l’islam alors qu’elles en violent l’essence, comme en matière de cette égalité successorale que les visées de la Loi religieuse imposent, l’islam étant justice.

En effet, réaliser l’égalité successorale, c’est réaliser le principe absolu de l’équité en islam plutôt que de chercher seulement à octroyer une part supplémentaire à la femme.

Au vrai, il ne s’agit pas d’avoir une vision mercantiliste de la question, mais bien plutôt une attitude de principe en se posant la question suivante : est-ce que l’islam est la foi de la justice ou non?
Si l’islam est la foi de la justice, ce qui tombe sous le sens, alors il n’y a aucune autre alternative que de finaliser ce que Dieu a indiqué comme direction à suivre : aller vers la totale égalité entre ses créatures qui sont parfaitement égales sauf en termes de piété.

Il est donc navrant que ceux qui se prétendent pieux parmi les musulmans, et même se disant les plus pieux, nos religieux intégristes, se révèlent être les meilleurs ennemis de l’islam et de ses visées égalitaires au nom d’un formalisme absolument contraire à l’esprit de notre foi.

En finir avec le commerce religieux

Le plus navrant, c’est que ceux qui peuvent contrer une telle dérive intégriste ne le font pas, car ils l’instrumentalisent pour leurs visées politiciennes. Ainsi comptent-ils sur une religiosité rampante en vue de contrôler les esprits et servir leurs ambitions. De la sorte, on voit bien se répandre dans la société des manifestations de plus en plus intolérantes au vivre-ensemble paisible qui caractérisait le pays en conformité avec l’âme hédoniste du Tunisien qui aime vivre et laissez vivre.

Outre ce voile, désormais quasiment partout, et qui n’a rien à voir avec l’islam, étant une pure habitude et nullement une obligation, on assiste donc à des comportements répréhensibles au nom de l’islam alors qu’ils le violent. Témoin ce qu’on ne manque pas de relever de temps en temps, comme cet incident récemment enregistré à Nabeul à la caisse d’un supermarché où la caissière a refusé d’enregistrer les achats d’un client au prétexte qu’elle ne peut toucher à l’alcool, puisqu’il y avait de la bière parmi les achats.

C’est sur une telle fausse compréhension populaire de l’islam que nos tartuffes politiciens et machiavéliques religieux comptent imposer leur ordre moral dans le pays, en trompant les masses sur leur foi, leur faisant croire à ce qui n’y existe pas.

En effet, prétendre que l’islam a interdit de toucher à l’alcool, c’est prêter foi aux faussetés colportées en son nom pour violer son esprit de tolérance. Car SEULE l’ivresse est interdite en islam !

Comment, d’ailleurs, refuser de toucher l’alcool quand l’archange Gabriel lui-même l’a fait en offrant un verre d’alcool au prophète durant son voyage nocturne ? Or, AUCUN intégriste ne saurait nier ce fait avéré !

Il est impératif, par conséquent, de rappeler cela au large public; et c’est de la responsabilité des politiques objectifs, mais aussi des militants qui ne doivent pas se contenter d’en appeler aux principes généraux des droits de l’homme et de l’humanisme. Les militants laïcistes doivent se faire violence en osant le faire aussi et surtout au nom de l’islam en application de la Constitution afin de ne pas être taxés d’agir contre l’islam au service d’un Occident de plus en plus islamophobe.

Car, oui, la Tunisie est un État dont la religion est l’islam ! Mais l’islam est un humanisme, et cet humanisme est INTÉGRAL. Aussi, il n’est d’islam que tolérant et respectueux des droits et libertés de chacun dans le cadre d’un vivre-ensemble paisible et serein.

Oui, la Tunisie est un État civil, mais cela suppose le respect des valeurs de l’islam qui ne sont pas ce qu’on croit, l’islam étant une foi libertaire, venue en tant que révolution contre tous les dogmatismes, instituant un ordre juste où il n’est pas d’église ou de synagogue, le rapport entre le fidèle et son Dieu étant et devant être direct, sans nul intermédiaire.

La responsabilité des autorités publiques

Tout en rappelant ce qui précède, il nous faut aussi agir sans rémission à assurer et renforcer les droits et libertés partout dans le pays en affichant et soutenant la nécessité de leur respect, comme d’autoriser partout le libre commerce et la consommation sans faux-semblants de l’alcool. C’est du courage que cela nécessite et il est d’autant plus impératif qu’il touche à l’ordre public et est le meilleur antidote au désordre moral qu’on veut imposer à une société nullement conservatrice comme on veut le faire croire. Ce sont bien ceux qui invoquent un tel faux conservatisme qui le sont, et ce afin de protéger leurs privilèges et réaliser leurs vues obscurantistes.

Cela relève donc de la responsabilité de l’État qui doit veiller à ce que le discours religieux soit conforme à la parole de vérité et à l’éthique. Qu’attend donc le gouvernement pour l’ordonner dans le cadre des prêches du vendredi de ses fonctionnaires, ces imams payés sur le budget de l’État et qui osent tromper sur la religion des masses et violer même la loi ? Et qu’attend le ministre des Affaires religieuses pour oser rappeler le vrai et sévir contre ceux qui propagent de fausses idées, comme celles qu’on colporte sur la nécessité de réaliser l’égalité successorale au nom de l’islam?

Le mufti ne s’est-il pas enfin prononcé dans ce sens en confirmant l’appel présidentiel? Comment le ministre du gouvernement n’agit-il pas de même en ayant même le courage de sanctionner toute voix discordante en la matière? Car c’est une dissidence grave de conséquences non seulement sur la paix civile et l’ordre public, mais aussi sur le salut et le devenir de l’islam lui-même livré aujourd’hui aux pires turpitudes. Et pourquoi le gouvernement n’ose-t-il pas réaliser de suite l’égalité successorale et l’abolition de toutes les lois scélérates supposées faussement inspirées par l’islam alors qu’elle est le produit d’une lecture dépassée de l’islam, inspirée par la tradition judéo-chrétienne, les fameuses israilyet?

Applique-t-on en Tunisie le Coran ou la Bible ? Il est temps d’ouvrir le débat à ce sujet ? Car l’esprit du Coran, qui ne s’interprète qu’au vu de ses visées depuis Chatibi, est pour l’égalité successorale et de lois justes pour tous ! Alors, verra-t-on confirmée par une loi en matière de succession la prétention de l’islam a la justice entre les fidèles, nonobstant leur sexe ? Un projet de loi consensuel existe, qu’il soit donc proposé par le gouvernement sans plus tarder !

* Ancien diplomate et écrivain. Son dernier ouvrage en arabe ‘‘Les conquêtes tunisiennes’’ vient de paraître aux éditions L’Ord du Temps, Tunis, 2018.

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