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Bloc-notes : Pour une Francophonie politique et diplomatique !

Les présidents Caïd Essebsi et Macron à Erevan.

C’est à quoi appelle la secrétaire générale sortante de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) dans un message de défi aux décideurs de l’institution avant son éviction dictée par Paris. Or, la francophonie a bien besoin de se refonder à la veille de son cinquantenaire.

Par Farhat Othman *

Ce sera dans deux ans, en 2020, qu’aura lieu, à Tunis, le sommet du cinquantième anniversaire. D’ores et déjà, la Tunisie, au diapason de toute la famille francophone, assure que ce XVIIIe rendez-vous au sommet des chefs d’État et de gouvernement francophones est appelé à donner un nouveau souffle à l’œuvre des pères fondateurs qu’est la francophonie. Mais comment ? C’est bien la question !

De l’ACCT à l’OIF

Rappelons que la Francophonie, à l’origine, se voulait une «communauté de destin et de solidarité», avant de perdre quelque peu son âme en devenant l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) dont le XVIIe sommet s’est achevé ce 12 octobre 2018 à Erevan.

C’est le 20 mars 1970, à Niamey au Niger, que ce qui s’appelait alors Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) a vu le jour sous l’impulsion coordonnée des présidents africains Habib Bourguiba, Léopold Sedar Senghor et Hamani Diori, et du prince cambodgien Norodom Sihanouk.

Depuis, la petite entité n’a cessé d’évoluer et de prendre du poids, passant des 21 pays à sa fondation à 88 États et gouvernements au lendemain du dernier sommet : 54 membres, 7 membres associés et 27 pays observateurs.

En effet, à la clôture du sommet d’Erevan, la Gambie, l’Irlande, Malte et la Louisiane ont adhéré à l’OIF avec le statut d’observateurs, au même moment où les Émirats arabes unis, le Kosovo et la Serbie passés du statut d’observateur à celui de membre associé.

Rappelons qu’en 1996, l’ACCT est devenue l’Agence de la Francophonie avant de se transformer, en 2006, en Organisation internationale de la francophonie, notre OIF actuelle, qui s’ouvrait alors encore plus aux adhésions sans plus exiger nécessairement que les membres fussent entièrement ou largement francophones. Le critère principal des débuts a mué en l’action pour le rayonnement et l’approfondissement des valeurs véhiculées par le français et la culture française dans sa dimension internationale, et ce au travers d’une action diversifiée ne rechignant plus, au-delà de la dimension culturelle et technique originelle, aux aspects politiques et économiques.

Ainsi, ayant déjà pris de l’étoffe, le modèle d’origine se trouve-t-il aujourd’hui en manque de souffle eu égard aux ambitions des pères fondateurs et des défis du temps. On parle donc de mission à renouveler, mais l’on ne sait trop encore comment, le sommet d’Erevan en ayant été témoin sur la question de la politisation en plus ou en moins de la francophonie. On y reviendra.

Cela n’empêche la Tunisie d’entendre prendre d’ores et déjà à cœur la mission de doter la francophonie, lors de son sommet anniversaire en 2020, d’une dimension originale; en tout cas, elle le manifeste de la plus belle manière avec sa présence pour la première fois au plus haut niveau à un sommet francophone. Ce qui est, assurément, une anomalie réparée, faut-il le noter, pour un pays fondateur.

Toutefois, doit-en s’en étonner quand on sait que la Tunisie, il n’y a pas longtemps, s’est payé le luxe de décliner l’offre du secrétariat général ? Au vrai, malgré le rôle historique initial de la Tunisie au sein de la famille francophone, on continue à avoir en ce pays une attitude ambiguë vis-à-vis de ce qu’on assimile trop vite et trop souvent à une mauvaise lecture du passé par un comportement faussement nationaliste.

Or, l’OIF est aujourd’hui la plus importante organisation universelle après l’Onu. Outre le fait de ne plus regrouper que des pays exclusivement francophones, l’usage du français n’y étant plus le critère d’adhésion, elle axe son action sur la volonté de contribuer à répandre les valeurs que véhicule l’esprit français en tant que communion dans un humanisme universel, les droits de la femme et des minorités brimées et la promotion des principes démocratiques pour un univers de paix et de prospérité dans le cadre d’un développement humain durable supposant la pus large et la plus agissante solidarité internationale.

Malgré un tel esprit, resté plus théorique que pratique, il est vrai, force est de constater que la Tunisie a nourri, et semble continuer à le faire encore chez les acteurs au pouvoir depuis 2011, une sorte de complexe à l’égard du français et de son usage, une conception erronée et anachronique, qui ne marque pas moins l’imaginaire des jeunes Tunisiens détournés de plus en plus du français assimilé à la langue de l’ancien colonisateur et aussi d’un pays arrogant qui les rejette. Comment donc contrarier un tel désintérêt pour le français, et partant la francophonie?

Quelle OIF demain ?

Organisation performante avec un rôle indéniable dans le concert des nations sur différentes plans, pas seulement culturels et éducatifs, mais aussi économiques et politiques, l’OIF est appelée à ne plus se cantonner dans le rôle de levier pour les investissements financiers en négligeant la dimension concrète de tels investissements, humaine en l’occurrence. Ce que concrétiseraient des initiatives innovantes, en prise avec le réel, comme l’idée de visa francophone de circulation dont il sera question plus loin.

D’ailleurs, la thématique principale du dernier sommet a été, entre autres grands enjeux mondiaux, le vivre ensemble avec, en un focus capital, la contribution de la Francophonie pour y répondre. Hélas, le sommet n’y a pas apporté de réponse utile, s’étant retrouvé dominé, sur fond de querelle de personnes entre la secrétaire générale sortante et celle imposée par la France, par la question de la nature de la francophone : plus politique et diplomatique ou non.

L’avis tranché de Madame Jean est que la francophonie ne sera sauvée que par une plus grande mutation politique et diplomatique. Ce ne fut pas une simple manière de montrer du dépit, son ambition d’être reconduite pour un second mandat ayant été contrariée par la volonté de la France d’imposer sa candidate rwandaise. Car ce diktat français était déjà de nature hautement politique, comme l’intention qu’il ne cache guère d’améliorer les rapports de la France avec le Rwanda. De plus, les textes adoptés lors du sommet sont tous à connotation politique ou presque. Outre la grande thématique précitée ayant donné lieu à un Appel pour le vivre-ensemble, deux textes techniques sur les maladies tropicales négligées, le transfert de connaissance et la valorisation de la recherche, et un troisième, culturel, sur la participation, le sommet d’Erevan n’a adopté que des textes politiques : Stratégie pour la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, résolutions sur les situations de crise, de sortie de crise et de consolidation de la paix, l’éducation à la citoyenneté et aux droits de l’Homme et les Principes de Paris sur les droits de l’Homme.

Pour sa part, dans sa première déclaration, si la nouvelle patronne de l’OIF a fait état de son objectif de faire que l’institution pèse plus lourd sur l’échiquier mondial, elle se montre toutefois modeste, disant qu’elle ne fera que réorienter un petit peu l’OIF. Or, c’est de refondation qu’a besoin la francophonie!

L’idée force du nouveau secrétariat général relève de la technique interne consistant à rapprocher les rouages officiels de la Francophonie des pays membres et ce de manière pragmatique. On dit d’ailleurs de Louise Mushikiwabo qu’elle a surtout usé de pragmatisme durant ses près de dix années à la tête de la diplomatie rwandaise durant quasiment une décennie au service du président Paul Kagame. Or, tout comme lui, elle est aussi responsable du bilan du régime en matière des droits et des libertés de son pays, un bilan peu brillant, allant à l’encontre des valeurs démocratiques et des droits de l’homme, supposées défendues par l’OIF. C’est sur quoi a tenu à attirer l’attention la secrétaire générale sortante lors de son discours clôturant la cérémonie d’ouverture avec un discours offensif centré sur les valeurs historiques de l’OIF.

Amère et désabusée, Michaëlle Jean a d’ailleurs fait un discours lyrique, très politique, particulièrement combatif, entendant prendre date avec des paroles pour l’histoire.

Rappelant les combats politiques de la Francophonie pour la paix, la démocratie, et les droits de l’homme, elle a appelé à politiser pour de bon l’OIF, réclamant plus de politique, affirmant : «Disons-nous bien que l’immobilisme, l’atermoiement, et les compromis sont déjà une forme de régression. Car une organisation qui ruse avec les valeurs et les principes est déjà une organisation moribonde». Jouant à Cassandre, elle a fait référence indirecte à la situation dans le pays de la nouvelle responsable de l’institution, disant : «De quel côté de l’histoire voulons-nous être ? Sommes-nous prêts à accepter que la démocratie, les droits et les libertés soient réduits à de simples mots que l’on vide de leur sens au nom de la « realpolitik », de petits arrangements entre Etats ou d’intérêts particuliers ? Sommes-nous prêts à laisser gagner le relativisme culturel, alors que nous devrions saisir l’occasion de son 70e anniversaire pour marteler que la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 n’est pas une production occidentale ? Elle est l’expression de la quintessence de cette part d’humanité inaliénable que nous avons tous et toutes en partage. Sommes-nous prêts à laisser l’égoïsme à courte vue, les approches exclusivement comptables de la coopération internationale, les investissements prédateurs ou la corruption l’emporter sur l’exigence de solidarité, sur des partenariats véritablement gagnant-gagnant ? Le moment est venu (…) de choisir entre réagir ou laisser faire, progresser ou régresser.»

Michaëlle Jean a même terminé par ce qui a été perçu comme un avertissement, mettant tout un chacun devant ses responsabilités en s’adressant aux chefs d’Etat et de gouvernement présents : «C’est sous votre impulsion que la francophonie, au fil de ces quelque 50 ans, a renforcé ou élargi ses missions (et) s’est affirmée comme une francophonie politique et diplomatique… C’est sous votre impulsion que nous nous sommes dotés de textes normatifs et de références exigeantes sur la pratique de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone, ainsi que sur la prévention des conflits et la sécurité humaine. C’est en cela que le bilan de mon mandat, que je vous présenterai… est aussi votre bilan». Aussi, si son bilan a amené éviction, c’est l’échec de l’ensemble de l’OIF, entend-elle dire !

Pour un visa francophone de circulation

«Vivre ensemble dans la solidarité, le partage des valeurs humanistes et le respect de la diversité : source de paix et de prospérité pour l’espace francophone», c’est ce que fut, on l’a dit, la thématique principale du XVIIe sommet de la Francophonie. Les actes du sommet d’Erevan ne concrétisent pas ce qui fut son fil rouge. Il leur manque des actes au symbolisme certain, susceptibles de frapper les imaginaires, d’agir sur l’inconscient collectif. Ce qui a été décidé ne reflète en rien, et de manière tangible, leur conviction que le vivre ensemble autour de valeurs humanistes est impératif, comme ils disent, car contribuant au renforcement de la cohésion des sociétés, y apportant paix et prospérité dans l’espace francophone. Or, ils affirment parfaitement bien admettre que le «vivre ensemble» auquel ils appellent implique une approche solidaire des problèmes rencontrés au sein de l’espace francophone, devant reposer sur les valeurs universelles de paix, de démocratie, de respect des droits humains et de la diversité culturelle qu’est censée porter depuis toujours la francophonie.

Cela ne suppose-t-il pas que les pays francophones retiennent la libre circulation humaine comme principe cardinal dans les rapports interétatiques dans l’espace francophone et décident de généraliser, la libre circulation humaine? Ce qui impose de l’étendre à la France, inclusivement ou non, dans l’UE. Quitte à ce qu’on en réserve le bénéfice, en un premier temps, à un espace de démocratie francophone qui ne soit ouvert qu’aux pays démocratiques. N’est-ce pas une excellente façon d’encourager la transition vers la démocratie?

Or, il existe bien un outil pour cela : le visa biométrique de circulation qui, outre d’être connu et utilisé dans les relations diplomatiques, mais de façon limitée, est parfaitement respectueux des réquisits sécuritaires européens outre d’être la meilleure parade à la clandestinité qui est encouragée par la fermeture des frontières.

Aussi, les autorités tunisiennes, en tant que pays fondateur et surtout hôte du prochain sommet, doivent-elles se saisir de cette idée et l’imposer comme acte majeur de travail pour le sommet du cinquantenaire. Car ils disent bien faire le bilan pour repartir sur de nouvelles bases, parlant même de refondation.

Comment cependant refonder sans envisager le passage d’une organisation éclatée, qui n’est certes guère plus axée son socle linguistique, mais n’ayant pas le socle d’une aire unifiée, donnant consistance à la plateforme multilatérale d’envergure qu’elle est devenue.

Dans la lignée de la francophonie historique, concentrée sur les questions linguistiques, culturelles et éducationnelles, on continue de parler des mêmes thématiques, bien qu’autrement labellisées, comme d’évoquer plus qu’avant la jeunesse, la femme, le numérique et surtout l’économie. Qu’est-ce une francophonie économique ou valorisant jeunes et femmes si elle n’est pas déjà politique et diplomatique?

Ce sont bien des États du Sud, dont la Tunisie, qui ont fondé ce qui est devenu cette plateforme volontariste sur la scène internationale dotée de moyens importants, mais demeurant au service de la France. Or, le français, langue internationale, n’a pas vocation à être ce qu’il est devenu, une arme au service d’un impérialisme culturel.

Aussi, la Tunisie doit-elle user tant pour sa qualité de pays hôte du prochain sommet historique que de pays fondateur, de son autorité morale pour le maintien de l’esprit solidaire d’origine de l’organisation et ses visées historiques de communauté de destin en les concrétisant par des initiatives spectaculaires dans l’air du temps. La liberté de circulation humaine sous visa biométrique en est une qui permet à la francophonie d’assumer pleinement sa nature désormais politique et diplomatique au vu de son action.

* Ancien diplomate, écrivain.

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