M. Chahed a eu un mot d’esprit en France, parlant du couple franco-tunisien filant le parfait amour. S’agissant d’un couple de même sexe, il aurait implicitement indiqué l’inévitable dépénalisation de l’homosexualité en Tunisie.
Par Farhat Othman *
Ce serait une manière judicieuse de se distinguer des vues rétrogrades de son soutien Ennahdha, s’inscrivant du coup en faux contre sa supposée dépendance de ce parti, tout en confortant son pouvoir et sa stature légaliste, confirmant ainsi, pour les partenaires occidentaux de la Tunisie, être l’homme de la situation dans le pays.
Une homophobie institutionnelle
Ainsi en finira-t-on enfin avec ce crime colonial ! Car on n’emprisonne plus seulement les gays, comme cela se fait toujours chez nous; on les tue aussi, ainsi qu’on vient de l’enregistrer dans l’Algérie voisine.
Or, c’est le discours officiel qui alimente le crime en prétendant que la demande de dépénalisation de l’homosexualité piétinerait les valeurs de la société musulmane, les fondements et les spécificités des peuples maghrébins qui seraient conservateurs.
Une telle homophobie institutionnelle ne relève pas seulement de la fausseté; elle est aussi une incitation au crime, sinon une complicité objective avec les criminels. Aussi, il importe au plus vite d’y mettre un terme par l’abolition de la loi coloniale illégale incarnée, en Tunisie, par l’article 230 du Code pénal.
Car le dernier crime homophobe, faisant une nouvelle innocente victime dans une cité universitaire algérienne, ne sera pas le dernier, hélas! On doit bien se rendre à l’évidence qu’il ne représente que la face apparente de ce phénomène trop grave qu’est la poussée des extrémismes homophobes au Maghreb au nom d’une religion bafouée. Aussi, n’est-il plus permis de continuer de l’ignorer ou, ce qui est bien pis, d’en parler imparfaitement comme le font tout autant les autorités et les militants.
Effectivement, si les homophobes se réclament du respect des valeurs d’un islam qu’on prétend à tort homophobe, aucune voix juste ne conteste un tel mensonge, ni les autorités officielles ni les militants anti-homophobie, tous s’inscrivant dans cette logique criminelle, versant de la sorte dans la désinformation.
En ne prenant pas la peine de dénoncer la fausseté absolue des propos homophobes, en rappeler le caractère mensonger, on les cautionne aussi bien du côté du pouvoir que de la société civile. Ce qui est, par ailleurs, à reprocher surtout aux militants anti-homophobie; d’autant que, chez ces derniers, on verse même dans l’islamophobie. Ce qui dénature leur combat, les faisant apparaître aux yeux des masses comme étant au service de l’étranger, agissant contre les traditions du pays, ne s’adonnant qu’à un business de l’homophobie, comme d’aucuns le font pour la charité.
Une anti-homophobie laïciste
C’est le décalage abyssal entre les retombées d’une médiatisation qui ne se soucie pas de la cause réelle du crime de l’homophobie qui le rend encore plus cruel et néfaste pour les innocents gays qui n’ont pas choisi leur type de sexe, certes minoritaire, mais parfaitement naturel.
En effet, si les larges masses ne prêtent pas attention à la légitimité de cette cause, c’est qu’elles la jugent dictée par les ennemis de l’islam, croyant sur parole les homophobes. Et elles le font d’autant mieux que le discours homophobe n’est ni discuté par les militants, sinon d’un pur point de vue strictement juridique, ni surtout contesté au vu d’une saine lecture de la religion de la majorité de la population. Ce qui relève de l’irrespect sinon de l’irresponsabilité.
Au vrai, c’est cela qui dessert la cause anti-homophobie, nourrissant les drames atroces défrayant l’actualité et devant se multiplier, chaque partie campant sur ses positions dogmatiques, pensant dur comme fer être seule à détenir la vérité. D’un côté, on a les homophobes qui se réclament de la défense de la religion, ou font semblant de le faire, pour tromper les larges masses. De l’autre, on a les laïcistes qui ne réalisent pas qu’en ne militant que pour la laïcité ainsi qu’ils persistent à le faire, ils ne font que pérenniser l’homophobie dans des pays où c’est la constitution, texte juridique suprême, qui impose le respect des valeurs de l’islam.
D’où l’impérative nécessité de devoir distinguer enfin la religion musulmane de l’homophobie. Les associations pour la dépénalisation de l’homosexualité ont l’obligation de ne plus se limiter à ne pas vouloir parler de religion, l’excluant dogmatiquement et par principe. Cela traduit de leur part, pour le moins, un anticléricalisme affiché, sinon une véritable islamophobie. C’est bien cette stratégie, copiée jusqu’à la caricature, sur un Occident laïque qui est la cause directe des dérives actuelles, le rejet informel et quasiment toléré muant en violences criminelles.
C’est plus qu’impératif alors que jamais la vie des gays n’a été aussi mauvaise en terre d’islam, notamment au Maghreb, particulièrement en Tunisie et au Maroc. Certes, ils vivaient en cachette, ne s’affichaient pas ou si peu, mais avaient la paix et n’étaient pas stigmatisés, puisqu’ils n’existaient tout simplement pas.
La bisexualité arabe
De fait, il n’est pas faux de prétendre qu’il n’y a pas chez les Arabes d’homosexualité ou homosensualité, terme à privilégier, étant moins connoté sexe, car l’homosensualité (homosexualité) est bien plus que du sexe, des sentiments et au pis une sensualité; d’où le terme précité et encore mieux celui d’érosensualité. En effet, le sexe arabe est plutôt marqué, dans sa globalité, par la bisexualité.
Par ailleurs, il a été démontré que l’islam n’a jamais été homophobe; ce sont les jurisconsultes qui ont créé l’anathème actuel à partir de la Bible qui considère le sexe gay comme étant contre nature. Quant au Coran, dont on cite à loisir et bien à tort les versets relatifs aux gens de Loth, il ne comporte justement que ces récits qui ne fondent nullement la catégorie de l’illicite en islam, son légalisme exigeant qu’elle soit assise sur une prescription expresse. Ce sont les jurisconsultes qui ont fondé, par syllogisme avec l’adultère, le crime homophobe que le Coran ignore.
Il est à rappeler qu’il il y avait bien des homosexuels (homosensuels) du temps du prophète, comme avant lui, y compris dans son entourage intime, et il n’a pas été rapporté qui les a anathémisés. Le seul cas rapporté d’exclusion de son harem d’un efféminé, accepté pendant longtemps, n’était pas pour ce qu’il était, mais pour un comportement manquant de tact, plein de vulgarité; donc pour mauvaise conduite en société. Par ailleurs, les hadiths cités souvent du prophète sont inauthentiques et doivent être tous rejetés. N’est-il pas significatif, au demeurant, que ni Boukhari ni Mouslem ne mentionnent même pas un seul dire sur ce qu’on a prétendu être la pire des ignominies ? C’est loin d’être anodin !
Les gens de Loth, un peuple de brigands
S’agissant du châtiment réservé aux gens de Loth, il importe d’en finir enfin avec le mythe que cela a été pour raison sexuelle. Déjà, pour une raison de pure logique, à savoir que ce peuple ne pouvait pas être sodomite dans son ensemble, sinon il n’aurait pas constitué un peuple; ce qui tombe sous le sens. Comment donc Dieu aurait-il été injuste, punissant pêle-mêle coupables et innocents?
La seconde raison est historique: le peuple de Loth tout entier pratiquant le brigandage. Il est désormais avéré chez les historiens que la tribu de Loth était composée dans son ensemble de bandits de grand chemin. Au vrai, le Coran réserve le pire des châtiments à un tel crime du fait qu’il est la négation même de son essence d’être paix et d’y veiller dans et entre les cœurs des humains. Comment le faire, s’agissant d’homophobie, sans oser rappeler ces vérités ?
Pour ce qui est de la raison pour laquelle le Coran traite tout le peuple de Loth de sodomites, cela tient aux spécificités rhétoriques de la langue arabe dans laquelle il a été révélé, particulièrement la figure de style permettant de généraliser le particulier pour appuyer le propos satirique ou apologétique.
Aujourd’hui, en Tunisie comme en terre d’islam, il faut être conscient que la guerre contre l’homophobie ne peut se distinguer de l’instrumentalisation de la religion. Aussi, outre les religieux faussaires qui en usent, elle est également le fait de l’Occident qui est leur complice dans leurs mensonges, refusant que l’on use de l’argument religieux.
Comment donc en finir avec l’homophobie en islam ? Pour qui agit avec un minimum de tact et d’éthique, il s’agit juste de rappeler la vérité historique désormais prouvée : si l’homophobie a été biblique, elle ne l’a jamais été dans le Coran sauf par une extrapolation illégitime de jurisconsultes sous l’influence de la tradition judéo-chrétienne. Et elle a été confirmée par l’impérialisme occidental, les lois homophobes actuelles en pays d’islam étant coloniales, comme c’est le cas en Tunisie.
* Ancien diplomate et écrivain.
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